Régime «détox» chez les poissons
toxicologie
Les embryons des poissons zèbres sont capables de se débarrasser de certains composés dangereux. Une découverte qui pourrait amener à revoir la manière dont sont menés les tests toxicologiques

Dans leur milieu aquatique, les poissons sont exposés à toutes sortes de molécules chimiques, naturelles ou synthétiques. Comment font-ils pour se défendre contre cette pollution? D’après une nouvelle étude publiée dans la revue BMC Biology, les embryons de poissons zèbres (Danio rerio) disposent déjà d’un mécanisme spécifique capable d’empêcher l’entrée des composés toxiques dans leurs cellules. Or ce mécanisme de détoxication jusqu’alors méconnu pourrait être rendu inactif par certains polluants. Une découverte qui mérite d’être prise en compte puisque les embryons de poissons sont de plus en plus utilisés pour évaluer la toxicité des produits chimiques.
Les protéines de la famille dites des «transporteurs ABC» sont bien connues des biologistes. Elles existent en effet chez de nombreux êtres vivants et jouent un rôle majeur dans le transport de molécules, à l’intérieur ou vers l’extérieur des cellules. Chez les mammifères, une forme particulière de cette protéine, appelée ABCB1, intervient dans la défense de l’organisme contre les composés toxiques. Elle est aussi impliquée dans certaines résistances aux médicaments.
Stephan Fischer, écotoxicologue de l’Institut de recherche suisse sur l’eau Eawag, et ses collègues ont découvert qu’une protéine du même type existait chez les poissons zèbres, de petits poissons transparents couramment utilisés en recherche dans le domaine de la génétique mais aussi en toxicologie. Cette protéine, qu’ils ont nommée ABCB4, est fabriquée par les poissons dès leurs premières 48 heures de vie, alors qu’ils ne sont encore que des embryons. Les scientifiques la soupçonnaient d’empêcher les composés toxiques de traverser la membrane des cellules en les expulsant vers l’extérieur.
Pour s’assurer du rôle de cette protéine, les chercheurs ont commencé par bloquer son action à l’aide d’une substance inhibitrice connue. Ils ont alors découvert qu’un pigment fluorescent passait facilement à l’intérieur des cellules des jeunes poissons, ce qui est impossible en présence de transporteurs ABCB4 actifs. Stephan Fischer et ses collaborateurs ont aussi montré que les embryons de poissons génétiquement modifiés pour ne pas fabriquer de protéines ABCB4 étaient davantage sensibles aux polluants.
«Lorsque nous les avons exposés à des substances toxiques issues de plantes ou d’hydrocarbures, la mortalité des embryons de poissons modifiés a été beaucoup plus forte que celle des embryons normaux», indique Stephan Fischer. L’écotoxicologue souligne que ce mécanisme de détoxication par transport actif de polluants était jusqu’alors mal connu chez les poissons.
Or il se trouve que ce mécanisme de nettoyage peut lui-même être bloqué par certaines molécules. «Des substances anodines telles que des composés du musc, par exemple, sont capables d’inhiber les protéines ABCB4, les empêchant de jouer leur rôle de détoxication envers d’autres substances», indique Stephan Fischer. Ce type de composés sont dits «chimiosensibilisateurs» car ils rendent l’organisme plus sensible aux polluants.
Cet effet pourrait bien se produire dans la nature, où les êtres vivants sont exposés à un grand nombre de composés différents en même temps. «C’est ce qu’on appelle l’effet cocktail, explique Nathalie Chèvre, spécialiste de l’écotoxicologie à l’Université de Lausanne. Les différentes substances présentes dans l’environnement peuvent interagir, et dans certains cas une de ces substances peut accroître l’effet d’une autre.»
Stephan Fischer aimerait que ses découvertes soient prises en compte lors de l’élaboration des tests toxicologiques. Les embryons de poissons zèbres servent en effet de plus en plus souvent à tester la dangerosité des molécules chimiques avant leur mise sur le marché. «La démarche actuelle consiste à évaluer l’effet de ces molécules indépendamment les unes des autres; or une substance anodine par elle-même peut changer d’action en présence d’autres substances», affirme-t-il.
Nathalie Chèvre est pour sa part plus circonspecte: «La mise en évidence de l’action des protéines ABCB4 est intéressante d’un point de vue fondamental, mais ces résultats, qui ne concernent qu’un mécanisme spécifique chez une espèce, sont pour l’heure difficilement extrapolables à d’autres espèces, ou à l’évaluation du risque toxicologique à l’échelle d’un écosystème.» L’étude a néanmoins le mérite de pointer du doigt la complexité des phénomènes à l’œuvre en écotoxicologie.
Les composés dits chimiosensibilisateurs rendent l’organisme plus sensible aux polluants