Fin de vie
Il faut repenser les soins palliatifs gériatriques. C’est l’une des recommandations centrales du livre blanc soutenu par le Programme national de la recherche «Fin de vie» (PNR 67) et la Fondation Leenaards. Trois conseillers d’Etat réagissent

A l'occasion du Forum Santé qui se tiendra le 7 novembre prochain à Pully, «Le Temps» consacre un dossier spécial aux séniors et à leurs modes de vie.
En 2016, 62% des décès survenus en Suisse concernaient des personnes âgées de 80 ans et plus. Passé cet âge, la mort est très souvent la conséquence de plusieurs maladies chroniques – comme le diabète, les affections cardiovasculaires ou les maladies neuro-dégénératives – qui s’accumulent au fil des ans, supplantant ainsi les cancers dans les causes principales de décès.
Avec la population qui vieillit, c’est tout le système de santé qui vacille. La délicate question de la fin de vie représente, dans ce sens, un défi de taille. Désormais, celle-ci s’étend sur une plus longue période, ponctuée par des décisions thérapeutiques difficiles à prendre, tant pour le personnel soignant que pour les proches. Parfois inutiles, souvent très coûteuses, les hospitalisations ont également tendance à se multiplier pendant cette dernière étape de l’existence. On estime ainsi que près de 25% des coûts de la santé sont liés aux soins des patients dans la dernière année de vie.
Lignes de rupture
Cette tendance à l’hyper-médicalisation engendre également des lignes de rupture au sein de la société. Si 70% de la population exprime aujourd’hui le désir de mourir à la maison, dans les faits, la réalité est tout autre: 40% des décès ont ainsi lieu dans des hôpitaux de soins aigus, 40% dans les EMS, et seuls 20% surviennent à domicile.
«Notre société et le système de santé ne sont pas encore réellement conscients des changements profonds que le vieillissement entraîne sur la dernière phase de nos vies, décrit Ralf J. Jox, coresponsable de la chaire de soins palliatifs gériatriques du CHUV, à Lausanne. Pour les jeunes générations, la fin de vie sera marquée par des maladies chroniques complexes, des démences, ainsi que des défis psychosociaux liés notamment à la solitude. Il faut, dans ce sens, réussir à parvenir à une vision plus humaniste de la médecine, qui, à ce jour, a tendance à devenir de plus en plus technocrate et mercantile.»
Comment faire face à ces bouleversements majeurs? Trois experts – Ralf J. Jox, Eve Rubli Truchard, coresponsable de la chaire de soins palliatifs gériatriques du CHUV, et Sophie Pautex, responsable de l’unité de gériatrie et de soins palliatifs communautaires des HUG, à Genève –, sont convaincus que la réponse passe par une meilleure collaboration des différents professionnels travaillant autour de la personne âgée en fin de vie, mais aussi par le développement de compétences spécifiques en soins palliatifs gériatriques. Ensemble, ils ont rédigé, avec l’aide d’experts issus de différents milieux de la santé, un livre blanc édictant des recommandations devant permettre au système sanitaire de mieux relever les défis qui l’attendent, et ce dans le cadre du Programme national de recherche sur la fin de vie (PNR 67).
La question de la mort ou du désir de mort reste encore très difficile à aborder pour de nombreux proches et professionnels de soins, alors que les patients concernés sont beaucoup plus ouverts
L’une de ces recommandations est de repenser en profondeur la question des soins palliatifs: «Contrairement à de nombreuses idées reçues, ces derniers ne sont pas synonymes de mort imminente ou d’échec de la médecine, explique Sophie Pautex. Il est tout à fait possible de mettre en place, auprès de certains patients atteints de plusieurs maladies chroniques, un plan de soins personnalisé qui instaure également des soins palliatifs généraux précoces. Cette démarche est d’autant plus utile que plusieurs études sont venues démontrer qu’une intégration plus rapide des soins palliatifs améliore la qualité de vie des patients, la satisfaction des proches, ainsi que le maintien à domicile.»
Briser les tabous
Pour parvenir à un tel changement de perspective, il importe de briser de solides tabous: «La question de la mort ou du désir de mort reste encore très difficile à aborder pour de nombreux proches et professionnels de soins, alors que généralement les patients concernés sont beaucoup plus ouverts», observe Eve Rubli Truchard.
L’usage de directives anticipées, ou d’un projet anticipé des soins – encore trop peu utilisé ou peu connu du grand public — peut, dans ce sens, représenter un moyen de faire part de ses désirs concernant la fin de sa vie, et de limiter les soins que l’on jugerait inappropriés ou l’acharnement thérapeutique. Ces deux outils sont d’autant plus importants que 70% des patients âgés, pour qui des décisions importantes doivent être prises, n’ont pas leur pleine capacité de discernement, en raison, notamment, de démence. «On doit alors reconstituer la volonté présumée des patients en discutant avec les proches ou les professionnels qui les connaissent, ajoute la médecin. Et cette démarche n’est pas toujours évidente.»
Pierre Alain Schnegg: «Répondre aux exigences de demain»
Pierre Alain Schnegg, conseiller d’Etat chargé de la Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale du canton de Berne
«En 2045, un tiers de la population de notre pays sera âgé de plus de 65 ans, et un million de citoyens auront passé le cap des 85 ans. Comme le montrent ces extrapolations, nous allons au-devant de très gros défis. Qui dit vieillissement, dit souvent maladies chroniques et comorbidités. La continuité des soins est essentielle à un traitement optimal: il faut que les personnes touchées puissent bénéficier des prestations requises de manière simple et défragmentée. La concertation et le travail en réseau s’imposent donc.
Bien que de nouvelles formes de coopération soient nées ces dernières années, les structures actuelles favorisent toujours la prise en charge hospitalière. Celle-ci n’est toutefois pas toujours adaptée aux besoins. C’est pourquoi un système de soins intégrés est indispensable: mesures, offres et fournisseurs de prestations doivent être coordonnés, secteurs hospitalier et ambulatoire confondus.
La Direction de la santé publique et de la prévoyance sociale du canton de Berne a déjà pris toute une série de dispositions pour répondre aux exigences de demain, en œuvrant depuis longtemps dans la formation et la sensibilisation. Elle a récemment lancé de nouveaux projets tels que l’essai pilote d’équipes mobiles en soins palliatifs.»
Mauro Poggia: «Renforcer la formation des médecins»
Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé du Département de l’emploi et de la santé du canton de Genève
«Notre société est désemparée face au vieillissement de sa population. La liberté de choisir le moment de sa mort se mue sournoisement en un droit à part entière et il est temps de s’arrêter et de rechercher les moyens que donne la science médicale à une démarche éthique, respectueuse de la libre détermination du patient et du serment d’Hippocrate.
Le devoir du médecin, en véritable partenaire de son patient, devrait l’amener à l’aider à supporter les épreuves que lui inflige une santé défaillante. Certains voudraient aujourd’hui réduire son rôle à celui de récipiendaire de l’unique volonté du patient, en faisant fi de sa propre perception de praticien. Ainsi, dans ses nouvelles directives sur la fin de vie, l’Association suisse des sciences médicales préconise de considérer comme déontologiquement acceptable l’assistance au suicide en présence de «souffrances insupportables».
Qu’est-ce qu’une souffrance insupportable sinon la résultante d’une pesée d’intérêts subjective biaisée par la douleur? Cette dignité légitime, à laquelle chacun est en droit d’aspirer, peut être atteinte grâce à des soins palliatifs de plus en plus performants. Certes, pour pouvoir les proposer, encore faut-il les connaître. C’est ici que la formation de nos médecins doit être encore renforcée. Notre solidarité intergénérationnelle en dépendra.»
Pierre-Yves Maillard: «Il faut aller beaucoup plus loin»
Pierre-Yves Maillard, conseiller d’Etat chargé du Département de la santé et de l’action sociale du canton de Vaud
«Depuis la mise en œuvre du Programme cantonal de développement des soins palliatifs, en 2003, le canton de Vaud a vu plusieurs initiatives se concrétiser: la création d’un service de soins palliatifs au CHUV, l’instauration de deux chaires en soins palliatifs et soins palliatifs gériatriques, ou encore la constitution de quatre unités mobiles extra-hospitalières couvrant l’ensemble du territoire.
Ces différentes initiatives nous ont déjà beaucoup fait progresser dans la prise en charge des patients en fin de vie, mais il importe d’aller beaucoup plus loin. En effet, les soins palliatifs ne sont pas encore suffisamment intégrés à l’ensemble du système de santé, alors qu’ils devraient être au cœur de tous les services médicaux. Les personnes âgées nécessitent, en effet, la mise en commun de différentes compétences, afin que tous leurs besoins puissent être pris en compte, comme, par exemple, la gestion de plusieurs maladies chroniques concomitantes.
Les équipes mobiles devraient également être renforcées et pouvoir intervenir en première ligne, afin d’éviter les hospitalisations inutiles. Nous avons des soins palliatifs bien développés, mais nous sommes une des régions de Suisse où l’on compte le plus d’hospitalisations en fin de vie, parce que notre taux de lits d’EMS est plus bas que la moyenne suisse. Il faut donc renforcer encore le soutien à domicile pour y rendre davantage possible la fin de vie.»