Déjeuner avec Urs Leugger-Eggimann

«Le retour du loup est inévitable»

Mitage du territoire, sécurité alimentaire: le nouveau secrétaire central de Pro Natura se mobilise sur plusieurs fronts

Il est aussi très attaché à la protection des espèces rares

Aujourd’hui, au Bio Bistro de Bâle, il y a deux menus: choucroute ou choucroute. Ne reste qu’à choisir si on la préfère avec un morceau de lard ou une pomme au fromage frais. Ce sera deux pommes. Pas qu’Urs Leugger-Eggimann soit végétarien mais, du mitage du territoire à la sécurité alimentaire en passant par le retour du loup, le nouveau secrétaire central de Pro Natura, qui fête ce lundi ses cent premiers jours de fonction, a déjà plusieurs plats coriaces à se mettre sous la dent. En effet, l’association, créée en 1909 par la bourgeoisie bâloise dans le but d’établir le premier parc national de Suisse, a depuis bien diversifié ses objectifs.

En l’espace de quelques minutes, le bistrot s’est entièrement rempli, et c’est dans un joyeux brouhaha que les convives s’apprêtent – tous – à manger de la choucroute. En attendant, Urs Leugger-Eggimann attaque une salade garantie bio et de proximité. Ou plutôt, il essaie. Car il est vite interrompu pour parler de l’initiative de l’Union suisse des paysans visant à renforcer un approvisionnement alimentaire indigène et durable ainsi qu’à introduire des mesures contre la perte des terrains agricoles. Pro Natura n’est pas très enthousiaste. «Cette initiative veut augmenter la production agricole. La politique agricole décidée pour la période 2014-2017 est un succès parce qu’elle devrait permettre de réduire l’intensité de l’exploitation du sol. Mais de fortes pressions, comme cette initiative, se dessinent déjà pour un retour en arrière lors de la prochaine étape, entre 2018 et 2021.»

Pourtant elle encourage aussi la consommation de produits locaux, comme la salade qui attend stoïquement son heure dans l’assiette d’Urs Leugger-Eggimann. «Bien sûr, nous sommes attachés à la consommation locale, c’est une des raisons pour lesquelles nous sommes aujourd’hui dans ce restaurant. Mais il faut s’engager pour une production bio régionale qui respecte le potentiel de la terre. Pas une augmentation de l’intensité de production, qui a un lourd impact sur la biodiversité.» Quitte à préférer les importations? «Oui, pourvu qu’elles soient produites dans le respect de l’environnement.»

Les Verts s’apprêtent d’ailleurs à lancer une initiative pour que les importations agricoles répondent aux «critères suisses» en la matière. Mais elle ne convainc pas non plus Pro Natura. «Cela revient à dire que les stan dards suisses sont les meilleurs. Or, à notre avis, en termes de protection de l’environnement, notamment concernant l’usage d’engrais, il faut encore les améliorer.»

On vient nous avertir que, si Urs Leugger-Eggimann ne finit pas sa salade, nous ne recevrons jamais nos choucroutes-pommes. Il obtempère puis salue plusieurs convives – des collègues de Pro Natura. Il faut dire que le secrétariat central se trouve à quelques centaines de mètres à peine, dans le même bloc, une ancienne fabrique de métiers à tisser puis de machines en tout genre, qui abrite aujourd’hui, pêle-mêle, luthiers, garderies, centre de yoga et autres écoles de cirque, à l’ombre des panneaux solaires de Pro Natura. «Le déménagement de notre organisation, il y a dix ans, est symbolique de son développement. Avant, nous étions installés dans un quartier bourgeois de Bâle. Ici, nous sommes au cœur de la société, de la vie.»

Pour Urs Leugger-Eggimann l’endroit est aussi symbolique à un autre titre. Ces jours-ci, Pro Natura fustige l’ordonnance d’application de la révision de la loi sur l’aménagement du territoire. Une révision censée mettre un frein au mitage du territoire, qui a été approuvée par le peuple en mars dernier. «Cette votation a été un grand succès. Elle a montré que les Suisses étaient vraiment sensibles à ce thème. Mais l’ordonnance d’application est un retour en arrière, nous ne sommes pas contents du tout.» En cause, la possibilité de continuer à créer de nouvelles zones à bâtir. «Les zones à bâtir non encore construites sont bien assez grandes», commente Urs Leugger-Eggimann. Pour Pro Natura, l’ordonnance ignore aussi des réserves importantes du côté des zones industrielles ou artisanales. «La densification interne est une bonne piste. Comme ici, où la revalorisation d’une ancienne zone industrielle permet une intensification de l’usage du milieu.»

L’association est aussi engagée dans la protection de la faune, un sujet qui tient à cœur au nouveau secrétaire central. Il faut dire qu’il a dirigé entre 2000 et 2007 un projet de redéploiement du castor en Suisse. Un des rongeurs est venu ­l’année dernière, personnellement, lui témoigner sa reconnaissance en montrant son museau dans les eaux de la Birse, non loin du lieu où habite Urs Leugger-Eggimann. Pro Natura vient aussi de lancer en Suisse romande un projet d’aménagement de nouvelles mares pour sauver plusieurs espèces d’amphibiens menacés, comme le crapaud calamite ou le triton crêté. Deuxième propriétaire terrien de Suisse après la Confédération, l’organisation veut créer des espaces sur ses parcelles, mais aussi encourager les communes ou les privés à l’imiter.

Cette semaine, le secrétaire central et ses collègues ont par ailleurs rendez-vous avec plusieurs conseillers d’Etat valaisans pour parler du loup. «Une partie de la population du canton ne veut pas accepter son retour, alors qu’aux Grisons, il n’y a pas de problème. Des mesures de protection sont prises pour protéger les moutons, avec des clôtures ou des chiens, et ça marche. Mais en Valais, cette volonté manque. On nous dit qu’il y a une grande différence entre les alpages des deux cantons, qu’il est beaucoup plus difficile de protéger les moutons valaisans. Mais les raisons de cette différence ne sont pas ­claires pour moi. C’est pourquoi nous allons rencontrer les conseillers d’Etat concernés. Nous espérons les persuader que le retour du loup est un processus naturel inévitable et qu’il est possible d’établir une cohabitation pacifique avec cet animal.»

Le Bio Bistro s’est vidé. Tout le monde – même Urs Leugger-Eggimann – a fini sa choucroute. On vous la recommande.

«Pas besoin de nouvelles zones à bâtir, celles qui ne sont pas encore construites sont assez grandes»