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«La Ritaline a changé ma vie»

4% des adultes seraient atteints du trouble du déficit d’attention avec hyperactivité (TDAH), une pathologie qu’on a longtemps crue réservée aux enfants. Le traitement à base de méthylphénidate, un psychostimulant, a des effets parfois spectaculaires. Témoignages

La Ritaline et ses déclinaisons pour adultes, Concerta et Focaline, sont des psychostimulants à base de méthylphénidate — © KEYSTONE
La Ritaline et ses déclinaisons pour adultes, Concerta et Focaline, sont des psychostimulants à base de méthylphénidate — © KEYSTONE

Médicament miracle ou tranquillisant social? La prescription de Ritaline pour les enfants souffrant du trouble du déficit d’at­tention avec hyperactivité (TDAH, qu’on appelle couramment «tada») suscite le débat depuis quinze ans, nourri par de nombreuses interventions parlementaires (lire ci-dessous). C’est moins connu mais le TDAH concerne aussi les adultes. Avec des symptômes plus dif­ficiles à appréhender que chez ­l’enfant, souvent cachés derrière d’autres pathologies: dépression, anxiété, alcoolisme ou toxicomanie.

Le traitement médicamenteux est identique: les médecins prescrivent de la Ritaline et ses déclinaisons pour adultes, Concerta et Focaline, des psychostimulants à base de méthylphénidate. Classée dans la catégorie des stupéfiants, délivrée sous ordonnance sous contrôle de la Confédération, la molécule a de plus en plus de succès. De 2007 à 2011, les prescriptions ont augmenté de 15% par an, selon les chiffres de Swissmedic.

Prise de conscience tardive

Pour Michel Bader, privat-docent de la Faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne et spécialiste du traitement du TDAH, cette augmentation s’explique avant tout par la prise de conscience, tardive en Suisse, que le trouble ne concerne pas uniquement les enfants. «Depuis cinq ou six ans, on est dans une phase d’identification de la maladie pour l’adulte. Des gens viennent consulter car ils ont entendu parler du TDAH et se sont reconnus. Il est indispensable d’ouvrir le débat pour assurer une meilleure reconnaissance de ce trouble.»

Selon une étude de l’Institut de médecine sociale et préventive de l’Université de Zurich publiée en 2013 dans la revue PLOS One, quatre jeunes hommes suisses sur cent souffrent de TDAH. Un résultat obtenu sur un échantillon représentatif de 5656 jeunes hommes interrogés lors du recrutement. Des pourcentages comparables ont été obtenus dans plusieurs études internationales.

Chez l’enfant, la prévalence du TDAH est de 6%. «La maladie a tendance à s’amenuiser avec le temps, précise le psychiatre fribourgeois Christophe Kaufmann. 15% des enfants touchés guérissent à l’âge adulte. Les autres conservent des symptômes qui varient selon les individus, ce qui rend le diagnostic difficile. Les «tadas» adultes ont souvent de la peine à s’organiser, à se concentrer quand cela ne les intéresse pas. Ils sont instables, ressentent souvent une intense agitation intérieure et recherchent les sensations fortes.»

Fatigue musculaire et psychologique

De plus en plus de cas sont diagnostiqués à l’âge adulte. C’est le cas de Caroline*, 29 ans, musicienne professionnelle et aspirante avocate. Elle a été diagnostiquée il y a dix-huit mois après avoir été licenciée par son maître de stage. «Cela a été un détonateur, confie-t-elle. Je me suis dit que j’avais un important problème de concentration, que ça ne pouvait pas durer. Ma mère a vu un reportage à la télévision sur le TDAH. Elle m’a conseillé d’aller consulter.»

Quand elle réfléchit à sa trajectoire, la jeune femme regrette de ne pas avoir été diagnostiquée plus tôt. «La Ritaline a changé ma vie. Le traitement me permet de cana­liser mon énergie et ma concen­tration. J’arrive à être efficace et concentrée pendant les horaires de bureau, ce qui m’était totalement impossible avant. Je suis ­enfin détendue musculairement. A l’université, j’étais crispée en ­permanence pour rester attentive. Cela me causait une importante fatigue musculaire et psychologique. Cela m’a aussi permis de stabiliser mon humeur. Je suis également devenue moins agressive, plus tolérante avec les autres.»

Je me sentais submergée et angoissée, jusqu’à faire plusieurs crises de nerfs

Caroline n’a pas été diagnostiquée enfant. «Je m’en suis toujours bien sortie à l’école. Mais j’avais souvent la tête ailleurs. Et j’oubliais constamment mes affaires. Rétrospectivement, il y avait des signaux.» Pour évacuer son énergie débordante, elle a toujours fait «énormément de sport», changeant régulièrement de discipline. «J’ai toujours eu besoin de nouveauté, de voir autre chose.»

Les «vrais» problèmes sont survenus dès le début des études universitaires. «J’ai changé de domicile. J’ai dû arrêter mes activités sportives et musicales pour ne plus faire que du droit. Cela a causé un gros déséquilibre. Mes trois ­années de bachelor ont été très difficiles. J’étais hyper-stressée. Je me sentais submergée et angoissée, jusqu’à faire plusieurs crises de nerfs. C’était le seul moyen de me détendre, et donc de pouvoir travailler. Le diagnostic du TDAH a constitué une libération. Je me suis dit: «Je ne suis pas folle!»

Entourage désemparé

L’entourage proche se sent ­souvent désemparé, comme le sou­ligne Valentine*, maman de Christian*, 23 ans, fraîchement dia­gnostiqué lui aussi. «Enfant, il n’a jamais rencontré de problème à l’école, il réussissait bien. Il était tête en l’air, peu organisé, mais pas hyperactif. C’est devenu un problème au lycée. On s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas. Il n’y arrivait plus. Il ne gérait plus rien. Nous sommes allés consulter. Le psychiatre a mis en évidence un trouble de l’attention sans hyperactivité.»

Après une longue période d’hésitation et de questionnement, le jeune homme a accepté de prendre de la Ritaline. «Cela a eu un effet très positif, souligne Valentine. Il est mieux structuré, il parvient par exemple à gérer ses factures, ce qui lui était impossible avant. Il a aussi beaucoup moins de sautes d’humeur. Je vois quand il a pris sa Ritaline rien qu’en le regardant.»

Risque de prescritpion inappropriée

Valentine précise qu’il a fallu du temps pour que le médecin ­psychiatre trouve le bon dosage. «Comme pour les lunettes, les besoins de chaque patient sont dif­férents, image Christophe Kaufmann. Il faut adapter la médication au cas par cas, histoire de trouver le temps de couverture optimal, d’optimiser les heures des prises, de régulariser l’effet et d’éviter aussi d’éventuels effets secondaires, notamment les troubles du sommeil, de l’appétit et le sentiment d’être «éteint», qui est souvent présent en cas de surdosage.» Face à une pathologie difficile à diagnostiquer, le risque est réel d’avoir des prescriptions inappropriées de Ritaline – en particulier par les médecins qui connaissent mal le TDAH. «Il est indispensable de créer des centres de compétence et des cercles de qualité pour organiser des formations postgraduées comme on l’a fait pour l’enfant et l’adolescent, souligne Michel Bader. Il s’agit aussi de réaliser des études scientifiques sur l’impact des utilisations détournées du méthylphénidate, notamment parmi les étudiants.»

Christophe Kaufmann et Michel Bader luttent avec énergie contre l’idée que la Ritaline puisse être un phénomène de mode. «Il y a dix ans, certains disaient que le TDAH avait été inventé par Novartis pour écouler son médicament, note le premier. C’est un important enjeu de santé publique. Un traitement bien ciblé permet de soulager de réelles souffrances et, ce n’est pas à négliger, de faire des économies substantielles en matière de coûts de la santé.»

* Prénoms fictifs