Technologie
Dans des lycées de la région Rhône-Alpes, en France, des robots permettront aux absents de suivre les cours. Rencontre avec le prototype, du nom de QB

Le robot qui remplace les élèves malades
Technologie Des machines vont intégrer des lycéesde la région Rhône-Alpes, en France
Rencontre avec le prototype, appelé QB, à l’occasion de ses débuts en classe
Fin janvier, le lycée de La Martinière-Monplaisir, à Lyon, a accueilli un élève un peu particulier: un robot. QB (son nom en attendant mieux) a rejoint la classe de terminale S SI (sciences de l’ingénieur) du professeur Daniel Alonso. QB a participé activement au cours et a même posé à haute et intelligible voix la question suivante: «Le point A étant le centre de rotation entre 2 et 3, ce point a-t-il une vitesse nulle du solide 2 au solide 3?» «Intervention pertinente, Charlotte», a répondu l’enseignant. Car, derrière QB, se cachait Charlotte Bertino, élève de la classe, installée dans une autre salle de l’établissement face à un PC portable doté d’une connexion ADSL.
Une caméra fixée à QB lui a permis d’assister au cours et, grâce à un petit écran intégré à la tête du robot, Charlotte a pu être vue par ses camarades et le professeur et converser avec eux. Mieux, lors de l’intercours, QB, qui est équipé de roues propulsées par un moteur électrique, a lui aussi arpenté les couloirs. Des «Salut, Charlotte» ont accompagné sa déambulation, comme si les élèves ne s’adressaient pas au robot mais à la jeune fille, dont le visage apparaissait à l’écran, filmé par sa webcam. «A l’aide des flèches du clavier, j’ai pu le faire avancer, reculer, pivoter. Je voyais où j’allais», résume Charlotte.
Le robot lycéen – une première en Europe – a vocation à remplacer en classe les élèves longtemps absents en raison d’une incapacité temporaire (accident, maladie). Il vient d’être officiellement présenté mais ne fera sa rentrée scolaire qu’en septembre prochain, au lycée La Martinière-Monplaisir. Deux autres prototypes équiperont les lycées Claude-Fauriel à Saint-Etienne (Loire) et Joseph-Marie-Carriat à Bourg-en-Bresse (Ain). L’expérience durera deux années et pourrait être reconduite et étendue si elle donne satisfaction.
«Ce robot incarne l’élève en classe, il maintient sa place en cours par la téléprésence. A son domicile, l’élève peut interagir en temps réel par la voix et l’image. Le robot peut même se rendre en récréation ou au restaurant scolaire si l’élève le souhaite. Il perpétue le lien social», explique Bruno Bonnell, président de la société Awabot (installée à Villeurbanne), qui développe des logiciels robotiques et a mis en œuvre le projet de robot lycéen. L’expérience est financée par le Conseil régional de Rhône-Alpes pour un montant de 490 000 euros. «Il s’agit aussi de stimuler l’innovation dans les 300 entreprises directement impliquées dans la robotique en Rhône-Alpes», a indiqué Jean-Jack Queyranne, le président de la région, présent le jour de la démonstration.
QB – qui, selon une élève, «a une jolie tête de suricate» – pèse 15 kilos, a une hauteur ajustable de 80 cm à 2 m. Il dispose d’une autonomie d’environ cinq heures, possède un système de stabilisation gyroscopique, «qui lui confère une faible emprise au sol et une capacité de franchissement importante», précise Florian Nebout, chef de projet chez Awabot. Lorsque QB est connecté, ses deux orbites virent au bleu; s’il est bousculé, ils passent au rouge et un avertissement sonore se fait entendre. Charlotte Bertino, qui fut la première à tester le robot, dit «avoir ressenti être vraiment en classe. J’ai vu l’ensemble de la classe, entendu les bruits ambiants et j’ai même participé aux ateliers de TP.»
On peut néanmoins se demander quelle est la différence entre une simple vidéoconférence et le robot lycéen. «Le robot a une vraie personnalité et il permet de conserver un lien physique entre l’élève éloigné de sa classe et ses camarades ainsi que le corps enseignant», justifie Bruno Bonnell. Cette innovation technologique soulève par ailleurs des questions éthiques, comme celles de la propriété intellectuelle et la crainte de certains professeurs de voir leurs cours diffusés sur des réseaux sociaux. Les adolescents étant en général très au fait de la chose informatique, les concepteurs ont jugé prudent de prévoir des garde-fous afin de prévenir certains dérapages. «Il existe une charte et un cahier de bonne conduite ainsi qu’un mot de passe qui limite l’accès au robot au seul élève autorisé», argue Florian Nebout. Bruno Bonnell ajoute: «Le serveur nous appartient, nous avons une totale maîtrise de l’image et nous pouvons faire appel au cryptage.»
Awabot collabore pour mener cette expérimentation avec l’Institut français de l’éducation et l’Université Lyon 1. Le robot, quant à lui, n’est pas «made in France». Il est commercialisé par la société américaine Anybots, pour un coût de 12 000 euros. Une acquisition qui peut surprendre dans la mesure où Arnaud Montebourg, ministre français du Redressement productif, a annoncé un plan robotique français doté de 100 millions d’euros. Le ministre aurait préféré attendre qu’un robot français soit mis au point mais Bruno Bonnell et ses partenaires rhônalpins ont fait le choix de ne pas perdre de temps. «L’achat du robot ne représente que 8% du coût total du projet, relativise le patron d’Awabot. Nous possédons donc depuis 2012 un matériel qui nous a permis de créer une interface logicielle open source de marque française, qui ne demande qu’à être améliorée.» Les ingénieurs d’Awabot travaillent par exemple sur de meilleures performances, comme une animation «qui ferait lever la main à ce robot sans bras». Le reste du budget sert à accompagner les élèves malades, les familles et le corps enseignant pour aider à la prise en main du robot.
Du temps sera consacré, insistent les techniciens d’Awabot et les responsables des établissements concernés, pour apporter des réponses aux nombreuses questions qui se posent. Des élèves supporteront-ils d’être vus diminués? Le regard des parents sur les cours diffusés en direct ne risque-t-il pas de devenir intrusif? Le robot peut-il inciter un élève souffrant de phobie de l’école à rester à la maison? L’utilisation du robot pourrait-elle inciter les camarades de classe à ne plus passer après les cours?
Laurence Etcheberry, vice-proviseur du lycée lyonnais, tempère: «Il y a une vraie émulation en ce moment, à se demander si certains ne souhaitent pas qu’un élève tombe vite malade. Mais nous avons deux années devant nous pour réfléchir autour de ce projet pédagogique.» Les élèves hospitalisés, atteints de maladie grave ou de handicaps lourds continueront pour leur part à bénéficier des dispositifs mis en place par l’Académie de Lyon, comme l’intervention d’enseignants à leur chevet ou dans les institutions.
«QB permet de conserver un lien physique entre l’élève éloigné de sa classe et ses camarades»