Le 21 octobre, Médecins sans frontières (MSF) célébrait le millième survivant d’Ebola sorti de ses centres de traitement en Afrique de l’Ouest. Le taux de mortalité de la maladie est évalué à 70% dans la zone la plus touchée (Sierra Leone, Liberia et Guinée) où le virus a fait environ 5000 morts. Sur la quinzaine de patients rapatriés et soignés en Europe et aux Etats-Unis, le taux de mortalité chute à près de 25%. Les patients américains pris en charge à Atlanta ont reçu du sang transfusé d’un autre patient guéri. Les survivants sont-ils immunisés contre le virus? Peuvent-ils aider à soigner d’autres malades? Les données scientifiques sont encore rares; la guérison et le rôle à jouer par les survivants dans la lutte contre la maladie soulèvent de nombreuses questions.

Lors de l’infection par Ebola, les virus pénètrent dans le corps de l’individu, généralement au niveau des muqueuses, après contact direct avec des fluides corporels d’un malade. Les pathogènes se répliquent alors à l’intérieur des cellules avant d’être libérés. S’ensuit la formation de caillots sanguins qui bloquent l’apport en sang oxygéné vers les organes et provoquent les symptômes de la fièvre hémorragique (diarrhées, vomissements, insuffisances rénale et hépatique).

«Pendant la phase critique de la maladie, les patients ont besoin d’être réhydratés avec 10 à 15 litres de liquide physiologique par jour en intraveineuse», explique Laurent Kaiser, médecin-chef du service des maladies infectieuses aux Hôpitaux universitaires genevois (HUG). Selon lui, les hôpitaux américains et européens ont observé que les malades souffraient d’importants déséquilibres des électrolytes tels que le sodium et le potassium. Cette information, mesurée grâce à des équipements spécifiques, permet de compenser les pertes chez les malades.

Or ces équipements utilisés aux Etats-Unis et en Europe font défaut en Afrique de l’Ouest. Ce qui expliquerait une telle différence entre les taux de mortalité africains et occidentaux. «Les traitements de support [réhydratation, électrolytes] aux soins intensifs ont un impact sur la mortalité, confirme le médecin des HUG. Et les centres de soins africains ont besoin de soutien technique pour les donner.»

Par contre, l’efficacité des thérapies expérimentales – comme le ZMapp – données aux malades américains et européens n’est pas connue. Selon Laurent Kaiser: «Les quinze patients rapatriés ont reçu un ou des médicaments expérimentaux, différents pour chacun. Il est donc impossible de dire quel est leur rôle dans la guérison.»

Lorsque la personne soignée n’a plus de symptôme, les médecins parlent de guérison clinique. Mais à ce stade il peut rester des virus circulants, détectables par un test très sensible dit de PCR (Polymerase Chain Reaction). «Les centres de traitement de l’OMS, de MSF et de la Croix-Rouge attendent que plusieurs tests sanguins de dépistage du virus soient négatifs pour délivrer un certificat de guérison aux survivants», explique Benoit Carpentier, porte-parole de la Fédération internationale de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (IFRC). La disparition du virus dans les urines peut prendre jusqu’à une semaine, et maximum quinze jours dans la sueur. Mais même si le virus reste détectable, le survivant n’est pas pour autant contagieux car «il faut une quantité minimale de virus [pour l’être]», précise Laurent Kaiser.

Peu de données existent sur la persistance du virus et ses effets après la guérison clinique. «On manque d’expérience car souvent, dans les pays touchés, il n’y a pas de prélèvements réguliers chez les survivants», précise Laurent Kaiser. C’est pourquoi il est préconisé d’avoir des rapports sexuels protégés trois mois après la guérison clinique pour éviter la contamination par le sperme. Le lait maternel pourrait aussi garder des traces de virus pendant plusieurs semaines. Les survivants aux Etats-Unis font l’objet de recherches poussées pour améliorer ces connaissances, comme l’a indiqué fin août dans une interview au Scientific American Bruce Ribner qui a supervisé les soins des patients américains.

Dans le cadre de ce suivi, les médecins s’intéressent à l’immunité des survivants. En effet, leur sang contient des anticorps qui reconnaissent le virus Ebola et le neutralisent. Ces anticorps ont permis au malade de guérir en bloquant la multiplication du virus. Des évaluations sont en cours pour déterminer si les survivants américains sont protégés contre une seconde infection. Selon Bruce Ribner, il y a une forte chance qu’ils soient protégés contre la même souche du virus mais peut-être pas contre les quatre autres connues.

Cette immunité acquise offre une idée de traitement consistant à prélever les anticorps anti-Ebola dans le sang des guéris pour les injecter aux malades soit sous forme de transfusion de sang complet ou de sérum concentré. «Cette approche est séduisante mais il faut beaucoup de sang de survivants pour avoir assez d’anticorps, commente Laurent Kaiser. Et il faudrait intervenir le plus tôt possible pour ne pas attendre que le virus soit trop abondant chez le malade.» L’efficacité de ce type de transfusion n’est pour l’instant pas prouvée. Une seule étude chez l’homme, publiée dans le Journal of Infectious Diseases en 1999 et effectuée sur des cas d’Ebola de l’épidémie de 1995, a montré une diminution du taux de mortalité chez des malades transfusés. Mais deux études avec des résultats contradictoires chez le macaque, publiées dans JID en 2007 et PNAS en 2012, n’ont pas permis de confirmer cette hypothèse. «On joue un peu aux apprentis sorciers dans l’espoir de bien faire», selon le médecin des HUG. «Si la transfusion de sang est faite dans une structure capable d’éliminer les risques de contamination par les hépatites B et C, et par le VIH, on ne peut qu’espérer les bienfaits dans cette course contre l’épidémie.»

C’est le point de vue de l’OMS qui dans les prochaines semaines veut mettre en place ces infrastructures de transfusion de sang de survivants dans les trois pays les plus touchés, selon une liste de mesures émises par l’organisation onusienne en septembre.

L’«utilisation» des survivants dépasse aussi le cadre clinique. Comme en Guinée où dès le mois d’août des personnes guéries se sont spontanément présentées à l’IFRC pour apporter leur aide au sein de la communauté. «Les personnes guéries sont encore stigmatisées par la population, explique Benoit Carpentier. Certaines d’entre elles veulent aider à montrer qu’on peut survivre à l’Ebola et être complètement guéri.» L’ONG a par ailleurs formé une douzaine de personnes en Sierra Leone la semaine dernière pour qu’elles interviennent auprès de la communauté.