«Allez-y, toussez.» Le stéthoscope sur les oreilles, le médecin écoute et tente de discerner l’état des poumons de son patient. Ce geste, dont les origines remontent à 1815 avec l’invention du stéthoscope par René Laennec, des ordinateurs apprennent à le reproduire à leur manière. Plusieurs équipes de scientifiques travaillent actuellement à la mise au point de logiciels informatiques capables d’identifier des personnes positives au SARS-CoV-2 à partir de la seule écoute de leurs toux.

Les outils numériques basés sur des algorithmes dits d’intelligence artificielle (IA) commencent à apparaître dans la lutte contre la pandémie de Covid-19. Il s’agit le plus souvent d’apprentissage automatique ou machine learning, une forme d’IA dans laquelle le programme apprend à reconnaître quelque chose (sons, images, etc.) à partir d’un grand nombre d’exemples. Dans le cas de l’épidémie, ces outils peuvent établir un diagnostic et un pronostic pour des patients hospitalisés, à partir de leurs images scanner du thorax.

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Mis à part chez ces patients avancés, l’IA n’a jusqu’ici pas été appliquée au diagnostic précoce de la maladie. Cela pourrait changer si ces applications basées sur la toux s’avèrent efficaces. Très peu coûteuses, déployables rapidement et à grande échelle, elles constitueraient un appui majeur dans les stratégies nationales de dépistage. Plusieurs projets similaires ont récemment vu le jour en Inde, au Royaume-Uni, mais aussi aux Etats-Unis et en Suisse, à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).

Coughvid-19

Pour décrocher leur diplôme de docteur ès toussotements, les machines ont dû s’entraîner et passer des tests. Les chercheurs suisses ont recueilli des milliers d’enregistrements sonores de toux par le biais d’un site web nommé Coughvid. Des volontaires, sains ou malades, capturent leurs tousseries avec un simple micro, puis répondent à quelques questions de manière anonyme et portant sur leur âge, leur sexe et leur état de santé.

Une fois réceptionnés, tous ces sons ont constitué la base de l’apprentissage des machines. «Nous en sommes à environ 24 000 enregistrements individuels», qui proviennent du milieu de la recherche comme du grand public, déclare David Atienza, directeur du laboratoire des systèmes embarqués de l’EPFL et membre de l’équipe Coughvid.

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Les machines se sont ensuite mises au travail en passant toutes les courbes sonores au peigne fin. Fréquence, intensité, durée des signaux, etc.: les ordinateurs ont décortiqué les sons avec une précision hors de portée des humains, qui se limitent principalement au caractère sec ou gras de la quinte. Cela a permis aux chercheurs d’identifier des empreintes vocales spécifiques des patients covid, différentes des toux liées à d’autres maladies.

Pour prouver leur efficacité, les machines ont été mises à l’épreuve. Elles ont dû écouter et se prononcer sur des tousseries inédites, récoltées auprès de patients covid confirmés par le Centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne. «Nous avons établi que le programme obtient une précision de 80 à 85%, supérieure à celle de médecins experts qui se sont prêtés au même exercice», affirme David Atienza, qui encourage la population à alimenter le modèle en se prêtant au jeu sur le site Coughvid: «Plus nous avons de données, plus le modèle gagne en précision.»

Pré-dépistage

Aux Etats-Unis, une équipe du Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston aurait même fait mieux. Leur programme, le MIT Open Voice Model, serait soi-disant capable de reconnaître les patients pas ou peu symptomatiques, avec une précision de 100% chez ces derniers, comme les auteurs le déclarent dans le Open
Journal of Engineering in Medicine and BiologyDes chiffres qui laissent perplexe David Atienza, qui dit être en contact avec cette équipe pour en savoir plus.

Quoi qu’il en soit, le potentiel de ces applications reste intéressant, notamment en pré-dépistage: elles permettraient d’écarter la piste du covid si la toux analysée correspond en fait à une bronchite ou une grippe. David Atienza espère lancer une application mobile – gratuite – d’ici à la fin de l’année. Il pourrait même fournir ses algorithmes à l’Organisation mondiale de la santé, dont l’application est attendue prochainement – des discussions sont en cours.


Pour enregistrer sa toux: https://coughvid.epfl.ch/