Début juillet a commencé, dans 2400 hôpitaux américains, une vaste opération de dépistage de patients atteints d’une forme ou d’une autre de cancer.

Contrairement aux études cliniques traditionnelles, l’objectif n’est pas de recruter des malades souffrant d’un même type de cancer, du sein, des poumons, ou de la prostate par exemple, pour tester l’efficacité d’un seul nouveau médicament. Il s’agit, au contraire, de rassembler les patients selon le profil génétique de leur tumeur, toutes catégories confondues.

Les médecins administreront une vingtaine de médicaments, dont certains proviennent de groupes pharmaceutiques suisses, qui sont déjà sur le marché ou encore en développement. Une patiente souffrant d’un cancer du sein avancé recevra par exemple une thérapie normalement destinée à un patient souffrant d’un cancer du poumon.

 

 

 

 

 

 

 

Cette nouvelle approche des programmes d’essais cliniques via le profil génétique des tumeurs et des patients, désignée par le terme «essais en corbeille» est suivie d’un œil bienveillant par la Food and Drug Administration (FDA), chargée du contrôle des médicaments aux Etats-Unis. Cette vaste étude s’intègre dans la tendance scientifique générale suivie actuellement par tous les grands groupes pharmaceutiques, à savoir rendre chaque médicament plus efficace en le modulant selon le profil génétique de la maladie dont souffre exactement tel ou tel patient.

La méthode d’essais cliniques en «corbeille», menée aux Etats-Unis sous le contrôle de l’Institut national du cancer (NCI), vise à élargir et à affiner ce qu’on appelle la médecine personnalisée, ou la médecine de précision, selon le terme utilisé par Barack Obama. Le président des Etats-Unis est persuadé de pouvoir faire progresser rapidement la recherche scientifique de cette manière et tente d’obtenir un financement par le Congrès de ces nouvelles formes de thérapie.

Eviter le gaspillage

Joe Jimenez, patron de Novartis, deuxième entreprise au monde, derrière Roche, dans la mise à disposition de médicaments contre le cancer, estime qu’un quart des médicaments sont actuellement gaspillés de différentes manières. L’une des principales causes de ce gaspillage, qui coûte très cher aux systèmes de santé, provient du manque de connaissances scientifiques précises sur le profil génétique de telle ou telle maladie à mettre en corrélation avec l’ADN du patient. Le médecin est dès lors contraint de tester plusieurs médicaments sur un patient avant de trouver celui qui est le plus efficace.

Cette approche empirique se produit pour de très nombreuses maladies, de l’hypertension aux maladies infectieuses, en passant par des affections très graves. Pour les maladies où le pronostic vital est engagé, comme certaines formes de cancer, ce tâtonnement, synonyme de perte de temps, peut conduire à la mort.

Selon les spécialistes, la médecine de précision a aussi pour avantage de réduire les coûts de la santé. Les médicaments de ce type associés à un diagnostic (biomarqueur ou test spécifique d’ADN accompagnant le traitement) sont, certes, nettement plus chers que les produits thérapeutiques traditionnels, mais ils évitent le tâtonnement médical et la facturation aux caisses maladie de médicaments inefficaces.

Le programme du NCI, qui touche 2400 hôpitaux et 1000 patients sélectionnés au sein d’un groupe de 3000 malades du cancer, est doté d’un budget de 30 à 40 millions de dollars. Le critère de succès de la thérapie sera principalement basé sur une réduction rapide de la tumeur d’au moins un tiers.

Depuis le premier séquençage d’un génome humain, en 2003, l’analyse des maladies, en particulier le cancer, repose de manière de plus en plus précise sur la découverte de mutations génétiques et l’activation ou la désactivation de protéines, au sein même ou à la surface des cellules. Ces mécanismes provoquent la prolifération des cellules cancéreuses dans l’organe touché, puis sous forme de métastases.

«Il y a vraiment un changement de paradigme dans ce domaine scientifique»

Les cancers ne sont désormais plus considérés comme différentes formes d’une même maladie, mais comme une multitude de maladies ayant des caractéristiques et un profil génétique propre. Le cancer évolue différemment selon chaque patient, ce qui entraîne, si le mécanisme génétique qui dysfonctionne peut être ciblé et corrigé, la prescription d’un médicament spécifique et une approche thérapeutique personnalisée.

«Grâce la médecine personnalisée nous obtenons immédiatement des taux de réponse inédits aux traitements. Il y a vraiment un changement de paradigme dans ce domaine scientifique», s’enthousiasme Dietmar Berger, responsable du développement de Roche en oncologie. Il cite le cas du médicament Alectinib, contre le cancer du poumon au stade avancé, en phase d’homologation. Les métastases dans le cerveau se réduisent rapidement avec un taux de réponse jusqu’à 70% d’une durée jusqu’à onze mois.

Roche place aussi beaucoup d’espoir dans Atezolizumab, un médicament, associé à la présence de la protéine PD-L1, qui fait appel à la stimulation du système immunitaire pour détruire les cellules cancéreuses. Ce mécanisme, identique chez certains patients spécialement diagnostiqués, peut être appliqué dans la lutte contre les cancers du poumon, de la prostate, du sein et du rein. «70% de nos médicaments en phase clinique II et III en oncologie ont désormais un test diagnostic spécifique associé», constate Dietmar Berger.

«On assiste réellement à une révolution dans le traitement de ces maladies, confirme Severin Schwan, patron de Roche. Auparavant, un cancer métastasé menait le plus souvent à la mort. Aujourd’hui, dans de nombreux cas, grâce à la médecine personnalisée, on peut prolonger la vie durant des années, et peut-être guérir de ce type de cancer.»

Rassembler les patients selon le profil génétique de leur tumeur, toutes catégories confondues