La santé reste l’un des principaux sujets de préoccupation des Suisses. Tout comme l’urgence de placer le patient au centre du débat et de réformer notre système de soins. Le Temps et Heidi.News organisaient la quatrième édition du Forum Santé le jeudi 28 octobre 2021. Revivez l’événement et retrouvez l’ensemble des articles des deux titres à son sujet.

Associer les traitements complémentaires, comme l’hypnose clinique, la méditation ou l’acupuncture, à la médecine conventionnelle, c’est ce que l’on appelle la médecine intégrative. Ce concept existe depuis les années 1990 aux Etats-Unis et ne cesse de prendre de l’ampleur, notamment en Suisse où, selon la dernière enquête nationale sur la santé, 39% de la population adulte a recours au moins une fois par année à une médecine complémentaire.

Face à ce constat, la Fondation Leenaards a lancé, en 2021, l’initiative «Santé intégrative & société», dans le but de «réunir les patients et les acteurs impliqués dans les différentes méthodes de soins afin de stimuler un dialogue intelligible entre eux», et trouver ce qui rassemble les mondes de la santé plutôt que ce qui les sépare.

Présidente de l’Hôpital Riviera-Chablais et membre du conseil de fondation de la Fondation Leenaards, Brigitte Rorive a dirigé une enquête populationnelle sur cette thématique, qui débouchera sur des laboratoires citoyens. Elle sera présente ce jeudi 28 octobre au Forum Santé co-organisé par Le Temps et Heidi.news. Ses explications:

Le Temps: Outre le fait que de nombreux Suisses font régulièrement appel aux médecines complémentaires, qu’est-ce qui a poussé la Fondation Leenaards à mettre en œuvre cette initiative?

Brigitte Rorive: La relation à la santé, à la médecine, ainsi qu’aux choix thérapeutiques évolue et, avec elle, le rôle du patient et de ses proches. L’initiative «Santé personnalisée», également lancée par la Fondation Leenaards, avait déjà démontré qu’au-delà des progrès technologiques il y avait une demande d’implication plus forte de la population et des patients, de même qu’une volonté de voir l’individu mieux pris en compte dans sa globalité. Il a donc semblé important à la fondation d’accompagner ces évolutions en lançant l’initiative SantéIntégra, laquelle vise non seulement à mieux articuler les thérapies conventionnelles et complémentaires, mais également à considérer le patient comme un partenaire actif de sa prise en charge et à intégrer son savoir et son expertise.

Afin de mieux comprendre ce qui pousse la population à avoir recours aux médecines complémentaires, vous avez lancé au cours de l’été une enquête auprès de 3000 personnes. Quels sont, à ce stade, les principaux résultats recueillis?

Nous venons tout juste de clôturer l’enquête et en sommes toujours au stade de l’analyse des données. Néanmoins, les premiers résultats montrent un recours de plus en plus important aux médecines complémentaires, effectué non seulement avec le soutien de l’entourage, mais aussi en transparence avec le médecin traitant.

Le souhait d’une meilleure intégration des deux approches de soins, ainsi qu’un rôle beaucoup plus collaboratif pour le patient, apparaît également très clairement. Par ailleurs, la confiance reste l’élément déterminant dans le choix du thérapeute et de l’approche thérapeutique.

Les comportements individuels et l’hygiène de vie sont considérés, selon les répondants, comme les facteurs ayant le plus d’impact sur la santé. En quoi cela est-il surprenant?

En effet, 83% des personnes interrogées considèrent que ces facteurs influencent fortement ou de façon majeure leur santé, contre 54% pour la génétique et 43% pour le système de santé. Cela peut sembler surprenant au premier abord, mais cela reflète, selon moi, la conscience d’une responsabilité individuelle quant à son état de santé général. Il faut aussi mettre cette constatation en relation avec la demande d’un système de soins plus orienté vers la prévention que le traitement.

Le coût des traitements ressort également comme un frein important à la prise en charge…

85% des répondants estiment qu’il y a un ou plusieurs freins à une bonne prise en charge. Parmi ceux listés, le coût des traitements obtient le plus haut taux de réponse, avec 39%, suivi par la difficulté de connaître les différentes options thérapeutiques qui s’offrent aux patients (31%). Il faut savoir que les statistiques de l’OCDE montrent que la Suisse est le pays où le «reste à charge» est de loin le plus important. Cela pèse sur le budget des ménages, alors que les primes d’assurance maladie sont élevées et augmentent régulièrement. Une des conséquences est le renoncement aux soins. Dans notre enquête, il concerne quand même 26% de nos répondants.

Quelles sont, à ce stade de votre analyse, les principales attentes exprimées par la population face au système de santé?

Les personnes interrogées souhaitent que les professionnels de santé tiennent davantage compte de leur avis, s’intéressent autant à la personne qu’à la maladie, proposent des solutions qui ne relèvent pas que de la médecine conventionnelle. Elles souhaitent avoir un interlocuteur qui a une vision globale des approches possibles, une personne de référence pour coordonner les soins et un système plus axé sur la prévention.

L’enquête populationnelle que vous avez conduite débouchera également sur la création de laboratoires citoyens. En quoi consisteront-ils exactement?

Le laboratoire citoyen est un dispositif qui offre des espaces d’échange, des outils, des méthodes pour expérimenter et consolider l’action citoyenne dans un domaine particulier, comme le vivre-ensemble dans les villes ou la santé. Concrètement, nous allons réunir plusieurs groupes de citoyens de tous horizons dans le but d’identifier et de tester de nouvelles modalités de prise en charge et de mise en œuvre de la santé intégrative.

Cela pourrait être, par exemple, une consultation expérimentale au sein d’un service hospitalier ou une plateforme d’orientation thérapeutique pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de démence sénile. L’important est de pouvoir tester in situ, en étroite collaboration avec les professionnels de santé, d’autres façons de faire et d’agir.

En quoi est-il, selon vous, important de faire participer la population à la recherche active de solutions?

Un système de santé existe avant tout pour ses citoyens. Or dans le domaine de la santé, on a encore trop tendance à déterminer ce qui est bon, ou moins bon, pour la population en général, et pour les patients en particulier. Cela crée un décalage grandissant entre ce que le système propose et ce que souhaitent les gens, notamment autour de la prise en charge des personnes âgées et des maladies chroniques. Impliquer la population dans la recherche active de solutions pourrait amener à développer des approches simples et pragmatiques, dont l’efficacité et l’efficience seraient améliorées.

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