alimentation
Une importante analyse de la littérature scientifique consacrée aux effets du café sur la santé enfonce le clou: la boisson protège de certains cancers et maladies. Seules les femmes enceintes devraient s’en méfier

Un journaliste pourrait passer toute sa carrière à écrire des articles sur les effets du café sur la santé. Pas une semaine ne passe sans que la boisson stimulante, l’une des plus consommées au monde, fasse l’objet de dizaines d’études scientifiques dans les revues spécialisées. Google Scholar comptabilise pas moins de 382 articles dont le titre contient «coffee consumption» pour la seule période de janvier à mars 2018!
Lire aussi: Finalement, le café ne provoque pas le cancer
Or cette profusion d’études n’a pas vraiment permis d’y voir plus clair, au contraire. Annoncé cancérigène le lundi, le café protège de la maladie d’après une autre étude publiée le lendemain, et ainsi de suite. L’incertitude scientifique conduit parfois à d’improbables décisions politiques: la Californie pourrait bientôt obliger les vendeurs de café à placer, comme sur les paquets de cigarettes, des messages de santé alertant le consommateur des effets cancérigènes de l’acrylamide contenu dans la boisson… Alors, dangereux, le café, oui ou non? Et sur quels travaux s’appuyer dans cette jungle?
Une «super-étude»
Récemment publiée, une analyse a retenu notre attention. Elle a été menée par une équipe internationale dirigée depuis l’Université de Catane en Italie et regroupe médecins nutritionnistes, oncologues et épidémiologistes, tous indépendants de l’industrie. Les résultats de 127 méta-analyses, des travaux de synthèse eux-mêmes basés sur un certain nombre d’articles scientifiques consacrés à ce sujet, y sont épluchés. Une sorte de «méta-méta-analyse», ou de «super-étude» sur les effets du café, donc. «Cette étude de grande échelle reflète bien ce que la littérature scientifique considère comme valide quant aux effets du café», dit Astrid Nehlig, directrice de recherche à l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm), présidente de l’Association pour la science et l’information sur le café et auteure de Café et santé – Tout sur les multiples vertus de ce breuvage.
Dire que le café protège du cancer, c’est discutable. [...] Pour savoir sur quels cancers précis agit le café, il faudrait mener plus d’études
Deux grands types recherches ont été inclus dans ces travaux. Il y a d’abord les études dites observationnelles, qui établissent des corrélations entre les maladies identifiées et la consommation de café. Si vous lisez quelque part que «boire une tasse de café par jour augmente le risque de cancer de la prostate», il y a de grandes chances qu’il s’agisse d’une telle étude. Dans cet exemple fictif, les scientifiques n’ont évidemment pas fait ingurgiter du café à des volontaires afin de voir s’ils développaient un cancer: ils ont simplement constaté – sans établir de lien de cause à effet – que les malades avaient une consommation de café statistiquement supérieure aux personnes saines.
L’autre catégorie, bien moins nombreuse, concerne les essais randomisés contrôlés, étalons-or de l’expérimentation médicale. Lors de ces essais, les scientifiques donnent des doses de café ou de caféine aux participants et observent ensuite diverses variables (fréquence cardiaque, pression artérielle, rythme respiratoire, taux sanguin de caféine…). A la différence des études observationnelles, les essais randomisés contrôlés établissent un lien de causalité entre la dose ingérée et le phénomène observé. Mais ils sont aussi beaucoup plus difficiles à mener – et plus chers, d’où leur nombre modeste.
Le café protège des cancers courants
En prenant en compte l’ensemble de ces dispositifs expérimentaux, les auteurs ont voulu brosser le tableau le plus complet possible. L’analyse de tout ce corpus leur a permis de conclure que les plus gros buveurs de café ont un risque de cancer significativement réduit par rapport aux autres (petits buveurs et abstinents, selon les études). Les cancers de l’œsophage (–12%), de la prostate (–10%), ou du côlon (–8%) obtiennent les baisses les plus spectaculaires. La palme revient cependant au cancer du pancréas, avec un risque réduit de 25%. Des résultats qui laissent sceptique Claude Pichard, médecin responsable de l’unité de nutrition aux Hôpitaux universitaires de Genève. «Dire que le café protège du cancer, c’est discutable. On sait aujourd’hui qu’il n’existe pas un unique cancer du foie ou du sein, mais une multitude de variantes, selon les personnes. Pour savoir sur quels cancers précis agit le café, il faudrait mener plus d’études.»
Lire: Boire du café ferait vivre plus longtemps, selon deux études
S’agissant des maladies cardiovasculaires, le risque est globalement 5% moindre chez les gros consommateurs, et aucun effet sur la pression sanguine n’a été mis en évidence. Il semblerait que les études l’ayant pourtant remarqué avaient insuffisamment pris en compte le tabagisme dans leurs calculs, écrit l’auteur Giuseppe Grosso. Des chiffres encore plus spectaculaires sont établis dans le cas de la maladie de Parkinson (–30%) et du diabète de type 2 (–30%). Enfin, le risque de mort d’une quelconque cause durant l’une des études cliniques considérées est quant à lui inférieur de 14%. De quoi rassurer les amateurs de café.
Un demi-litre par jour
La plupart des études n’ont pas pris en compte le volume exact de café ingéré, et encore moins sa teneur en caféine. Mais pour celles qui l’ont fait, le bénéfice est directement proportionnel à la quantité de café bue, avec un maximum se situant autour d’environ un demi-litre par jour, «un volume couramment consommé en Europe du Nord ou de l’Est», assure l’auteur principal, Giuseppe Grosso.
Avec ses centaines de molécules, le café est une boisson très complexe à étudier
Il y a toutefois un seul cas ou le café semble augmenter les risques: chez les femmes enceintes. Il est en effet associé à un plus fort risque de fausse couche (10%), de faible poids de naissance et enfin de leucémie aiguë chez l’enfant (57%). Les causes exactes demeurent obscures, mais il se pourrait qu’elles aient un rapport avec la capacité de dégradation de la caféine par la mère, fortement ralentie durant la grossesse. La molécule passerait alors dans l’organisme fœtal, incapable de la dégrader, alors même qu’on la suspecte d’avoir des effets délétères sur les systèmes de réparation de l’ADN, ce qui, in fine, pourrait expliquer le développement de leucémies chez ces enfants.
En d’autres termes, les femmes enceintes devraient se limiter à de modestes quantités de café ou opter pour le décaféiné. «Le pan de la littérature scientifique examinant les liens entre la consommation de café au cours de la grossesse et les leucémies de l’enfant a été récemment remis en doute par la communauté de chercheurs en raison de l’insuffisance des données: il faut considérer ces chiffres avec précaution», prévient cependant Astrid Nehlig.
Reste à expliquer par quels mécanismes la boisson noire parvient à nous protéger de ces maladies. La tâche n’a rien d’une partie de plaisir. «Avec ses centaines de molécules, le café est une boisson très complexe à étudier», confirme la directrice de recherche. Parmi les molécules suspectées de jouer un rôle, il y a bien sûr la caféine. En agissant sur certaines enzymes impliquées dans la régulation de l’activité du foie, de l’insuline et du métabolisme de glucose, elle pourrait protéger l’organisme du diabète de type 2 et de certains cancers. D’autres molécules antioxydantes et anti-inflammatoires contenues dans les grains de café ont sans doute également des effets protecteurs qui restent à déterminer.
Lire également: Comment sauver le goût du café?
En attendant, le café, après avoir eu mauvaise presse, mérite bien sa place dans un style de vie sain. Ou presque: «Ecrire comme les auteurs l’ont fait que le café peut contribuer à une meilleure hygiène de vie est certainement vrai, mais il aurait fallu préciser «selon les doses de chacun», car la tolérance au café est loin d’être universelle, estime Claude Pichard. Disons plutôt que toute personne supportant bien le café peut en tirer des bénéfices.»