Carole Clair, installée dans un café lausannois, n’attend pas son rendez-vous en rêvassant: le journal d’un côté pour se préparer à l’exercice qui l’attend, son ordinateur allumé au milieu de table et un café qui refroidit. La jeune femme semble surprise par l’intérêt qu’un média puisse porter à sa personne. Et pourtant, si elle a accepté de se dévoiler, c’est pour une raison qui lui tient tout particulièrement à cœur: montrer aux femmes qu’il est possible de faire carrière dans le milieu médical sans pour autant renoncer à la maternité.

Une première pour une femme

Carole Clair a été nommée le 1er septembre médecin adjointe et membre du conseil de direction de la Policlinique médicale universitaire (PMU) de Lausanne qui jouxte le Centre hospitalier universitaire de Lausanne (CHUV). Elle est ainsi la première femme médecin à occuper une telle fonction dans cette immense structure qui s’apparente à grand cabinet. «Il y a une infirmière et une femme dentiste dans l’équipe de direction mais du côté des médecins, les représentants sont essentiellement masculins. Seules 12% de femmes ont d’ailleurs été nommées professeurs ordinaires aussi bien à la Faculté de biologie et de médecine qu’au CHUV et à la PMU. C’est beaucoup trop peu», dit-elle.

Difficile de demeurer compétitif lorsqu’on a des enfants

Elle explique cette sous-représentation féminine par le parcours très astreignant demandé aux jeunes médecins qui souhaitent faire une carrière universitaire. «Il faut faire ses preuves aussi bien au niveau clinique mais aussi dans la recherche et l’enseignement. Et cela devient de plus en plus difficile de rester compétitif lorsque l’on a des enfants. C’est vraiment compliqué d’avancer sur tous les fronts. Je milite pour le temps partiel pour tous sans être mis sur une voie de garage, dit-elle. Et dire aux femmes qu’elles doivent concilier vie de famille et carrière est un faux message. C’est très culpabilisant. Cela signifie qu’elles devront continuer de préparer le sac de piscine de leurs enfants, le souper en rentrant du travail ou les gâteaux d’anniversaire», dit-elle avec humour. «Il faut que les hommes puissent travailler à 80% sans passer pour des fainéants!», lance cette maman qui n’aime pas se sentir indispensable auprès de ses filles. «Cela m’angoisse.»

Elle a dû batailler

La jeune femme, en débardeur noir au col ajouré, aux bijoux discrets et aux cheveux tressés, a dû batailler pour faire sa place dans un monde d’hommes, tout en mettant au monde trois enfants, Céleste, Justine et Mathilde, respectivement âgées de 8, 6 et 4 ans. «J’ai toujours voulu y arriver comme un mec», lâche-t-elle, la voix douce et le regard rieur, sagement fardé. Elle a appris qu’elle attendait sa première fille lors de son départ pour Boston, à Harvard, alors qu’elle venait de décrocher un Fonds national suisse pour poursuivre ses recherches concernant l’impact du tabagisme sur le diabète. «Mon mari cardiologue a été d’accord de me suivre aux Etats-Unis», dit-elle avec reconnaissance.

Les inégalités de genre face aux pathologies

Carole Clair veut aussi sensibiliser les médecins généralistes à l’inégalité des genres face à certaines pathologies. «Les femmes meurent deux fois plus que les hommes suite à une maladie cardio-vasculaire. Leur prise en charge est plus tardive car il y a encore des stéréotypes. On prescrira peut-être des calmants à une femme qui se plaint de douleur à la poitrine alors qu’un homme sera plus rapidement orienté vers un cardiologue», affirme-t-elle. A l’inverse, les hommes qui ont une fracture de la hanche suite à un problème d’ostéoporose ont une mortalité plus élevée que les femmes.

Pourquoi médecine?

Autre cheval de bataille: l’égalité des soins. La population migrante et défavorisée constitue une part importante de la patientèle de la PMU qui leur sert de centre de référence. Et pas question pour Carole Clair de «ghettoïser» ces patients qui ne sont pas couverts par des assurances maladies. «Certes, nous recevons parfois des patients vulnérables avec une prise en charge complexe qui nécessite le recours à des traducteurs. Mais je pense qu’il faut absolument maintenir des soins de qualité pour tous, affirme-t-elle avec empathie. C’est comme l’école publique. Chaque enfant y a sa place.»

Qu’est-ce qui l’a poussé à choisir la médecine? Rien ne la prédestinait à une telle carrière. Son père électricien et sa mère, fille de vigneron et secrétaire au TL – qui a arrêté de travailler pour s’occuper de ses trois enfants – ne l’ont pas particulièrement encouragé à faire des études. «J’ai grandi à Lausanne. Mes parents nous répétaient sans cesse qu’il n’y avait pas de sot métier. Enfant, je voulais être coiffeuse», se souvient-elle.

La fascination pour la scène

Fillette un brin turbulente, pipelette hypersociable avec un petit côté clownesque, elle s’est toujours intéressée à l’univers de la scène. Le théâtre d’improvisation en particulier. Bonne élève, très scolaire, elle a obtenu une maturité réservée aux meilleurs éléments, alliant latin et sciences. «J’aime la difficulté et les défis. Pour mes 40 ans, par exemple, je me suis fixé l’objectif de courir le marathon à Palma de Majorque. Je m’entraîne en essayant de ne pas trop léser l’organisation familiale. C’est-à-dire quand tout le monde dort à la maison ou à ma pause déjeuner», tient à préciser cette hyperactive qui souffre parfois d’un complexe d’imposture. «J’ai l’impression de réussir un peu par hasard et d’avoir réussi mes examens grâce à ma grand-mère qui appelait un monsieur dans le Valais qui avait le Secret. Il faut dire que j’ai joué au chibre durant toute ma première année d’étude», rigole la jeune femme qui ne se prend jamais au sérieux. Elle a finalement choisi la médecine car c’est une branche plus ouverte qu’une voie purement scientifique. «J’ai aussi été influencée par la mère médecin de ma meilleure amie», se souvient-elle.

En cours de formation, elle s’intéresse à l’infectiologie, pour son côté utile et complexe, et à la médecine interne pour les contacts avec les patients. «Un jour, je peux rencontrer un migrant avec des douleurs généralisées, l’heure suivante une jeune fille avec une pneumonie. C’est très varié. Très enrichissant», note cette médecin cadre, optimiste et énergique, qui n’a certainement pas de difficulté à motiver ses troupes mais qui dit devoir encore réussir à trancher et s’imposer face à ses collaborateurs. «Je vais apprendre à le faire mais à ma façon. Et j’espère sans m’épuiser.»


Profil

1976 Naissance à Lausanne

2001 Diplôme de médecin, Lausanne

2007 FMH de médecine

2008 Thèse de doctorat en médecine

2009-2011 Séjour postdoc à Boston, et master en épidémiologie à la Harvard School of Public Health

2016 Privat-Docent et maître d’enseignement et de recherche, UNIL

2016 Médecin adjointe