Changement d’outils pour réparer les valves cardiaques
SANTÉ
La chirurgie cardiaque a pendant quarante ans été considérée comme le traitement souverain pour lutter contre les maladies des valves. Deux études récentes démontrent qu’elle devrait parfois laisser sa place, un véritable changement de cap
Le cœur est une pompe qui permet de propulser le sang chargé en oxygène en provenance des poumons dans tout le corps via les artères et de le récupérer par le système veineux pour le renvoyer au poumon. Pour ce faire, l’organe dispose d’une mécanique bien huilée et de précision: quatre cavités faites de deux oreillettes et de deux ventricules qui génèrent la circulation grâce aux contractions. La direction du flux sanguin est garantie par des petites pièces indispensables: les valves. Elles sont au nombre de quatre, stratégiquement positionnées à la sortie de chacune des cavités cardiaques. Leurs noms: les valves aortique, mitrale, tricuspide et pulmonaire. Elles s’ouvrent mécaniquement sous la pression et, comme des soupapes, empêchent le sang d’aller dans la mauvaise direction une fois la pression relâchée.
Un dysfonctionnement, et le sang oxygéné ne parvient plus aussi efficacement aux organes: l’essoufflement puis la mort guettent les patients si rien n’est entrepris. Fort heureusement, la mécanique du cœur — celle des fluides à défaut de celle des sentiments — est bien comprise, donc réparable. Des techniques chirurgicales de moins en moins invasives sont capables d’aller reconstruire ou remplacer des valves. Mieux, en passant par l’intérieur des vaisseaux — les approches dites percutanées —, les mécaniciens du cœur parviennent à remplacer certaines valves sans chirurgie. Malgré la poussée de ces dernières techniques depuis une quinzaine d’années, la chirurgie a toujours été considérée comme plus fiable, bien qu’invasive. Du moins jusqu’en mars 2019 et deux études annonçant l’arrivée d’une nouvelle ère pour le traitement de la valve la plus sujette au dysfonctionnement: la valve aortique.
Pour faire la lumière sur ce changement, cap sur l’Hôpital de La Tour avec le docteur Aristote Panos, chirurgien cardiaque et pionnier en Suisse en chirurgie cardiaque endoscopique assistée par vidéo, et le docteur Amir Fassa, cardiologue interventionnel et spécialiste des approches percutanées.
Afin de mieux comprendre les aspects techniques des traitements, il faut connaître les mécanismes menant aux dysfonctionnements valvulaires. «Nous sommes soit en présence de défauts d’étanchéité des valves — l’insuffisance —, soit en présence de leur rétrécissement — la sténose valvulaire», indique Amir Fassa. La sténose d’une valve réduit son diamètre d’ouverture, le cœur doit alors mettre plus d’énergie pour pomper le sang. L’insuffisance, quant à elle, ne permet plus au sang de circuler dans la bonne direction. «La bonne circulation du sang dans tous les organes ne se fait plus correctement, car le sang revient en arrière», poursuit-il. Les maladies valvulaires sont le plus fréquemment dues à un vieillissement accéléré, mais peuvent également survenir suite à des infections ou à des problèmes congénitaux. Elles apparaissent le plus souvent pendant l’âge adulte. Seuls 2,5% de la population est atteinte, mais les statistiques grimpent jusqu’à 15% au-delà des 75 ans.
Les quatre valves ne sont pas toutes atteintes avec la même fréquence: l’aortique en tête, la mitrale, la tricuspide, puis la pulmonaire. «L’installation brutale des symptômes est peu fréquente, car la maladie prend des années à évoluer, sauf en cas de rupture de la valve ou d’infection rapide. Les traitements sont donc rarement réalisés en urgence», précise Aristote Panos. Dans tous les cas, une intervention est nécessaire puisque l’espérance de vie ne dépasse pas quelques années une fois le diagnostic posé. La complexité des techniques d’intervention varie en fonction du type de valve atteinte. La plus «simple» à opérer est aussi la plus fréquemment atteinte: la valve aortique. «La chirurgie fonctionne pour réparer les quatre valves», indique le chirurgien cardiaque. Néanmoins, depuis 2002, des techniques percutanées, plus douces, sont apparues et permettent de ne pas effectuer de chirurgie. «Elles sont très efficaces pour les valves aortique et pulmonaire, pas encore pour les deux autres», poursuit-il.
La technique chirurgicale de base consiste à ouvrir le sternum puis à dévier la circulation du cœur grâce à une machine cœur-poumon. Pour remplacer la valve aortique par exemple, l’aorte est ouverte, puis la valve défectueuse est remplacée par une prothèse mécanique en carbone ou une prothèse biologique faite à partir de tissu animal. Pour les valves mitrale et tricuspide, des prothèses peuvent également être utilisées, mais la réparation est préférée. Le chirurgien indique réparer les valves à l’image d’un chirurgien esthétique et précise: «Toutes les valves peuvent être réparées lorsqu’elles ont des fuites. Mais si elles sont calcifiées, une réparation n’est pas possible et nous devons les remplacer.»
Depuis une dizaine d’années, des techniques chirurgicales moins invasives basées sur l’endoscopie permettent d’éviter l’ouverture du sternum. Une incision beaucoup plus petite est désormais effectuée sur le côté droit du thorax, entre les côtes du patient. Toute la chirurgie est alors effectuée à l’aide de caméras à haute définition et d’instruments dédiés. «Ces techniques mini-invasives permettent d’alléger le traumatisme corporel et les douleurs, les infections sont plus rares et le résultat esthétique est excellent. C’est la technique de choix pour les patients plus jeunes», indique le spécialiste. Au final, le patient récupère beaucoup plus vite même si la chirurgie nécessite plusieurs semaines de récupération pour quatre heures d’intervention.
L’approche chirurgicale a même bénéficié pendant quelques années de l’assistance des robots pour gagner en efficacité, néanmoins, selon le chirurgien de La Tour, «pour les valves, la main humaine, couplée aux techniques mini-invasives, donne de meilleurs résultats».
La voie douce
Le remplacement percutané de la valve aortique est possible. Cette intervention, plus couramment appelée TAVI — pour Transcatheter Aortic Valve Implantation, en anglais –, se pratique sous anesthésie locale ou générale. Les cardiologues passent par l’artère fémorale pour remplacer la valve aortique dysfonctionnelle par une prothèse biologique. La nouvelle valve est incluse dans un stent, une sorte de ressort métallique et cylindrique pouvant s’étendre pour se fixer sur la valve malade. «Nous remontons par les vaisseaux jusqu’à la valve et déployons le stent contenant la prothèse valvulaire qui écrase la vieille valve. Elle est ainsi remplacée!» précise Amir Fassa.
Seules des prothèses organiques sont utilisées, car elles peuvent se replier et passer dans des diamètres artériels aussi petits que 5 millimètres. Un scanner est nécessaire avant l’intervention pour visualiser d’éventuels obstacles et déterminer la taille nécessaire de la valve. La durée de l’intervention est d’environ deux heures et celle de l’hospitalisation de moins d’une semaine. «Les complications sont rares, mais il y a un risque de devoir implanter un pacemaker à vie dans 5 à 10% des cas. Ceci arrive parce que les faisceaux de conduction électriques nécessaires pour entraîner la contraction du muscle cardiaque peuvent être écrasés», met en garde le cardiologue.
Le cardiologue poursuit en précisant que «la valve mitrale est plus complexe, ce qui explique que les techniques percutanées ne sont pas encore performantes et toujours en développement». Néanmoins, elles existent, mais sont réservées à des patients inopérables. La technique est encore moins avancée pour la tricuspide.
TAVI vs chirurgie
Dans les années 2000, les approches percutanées étaient réservées aux patients inopérables ou à très haut risque chirurgical, soit une minorité. Puis la tendance s’est gentiment inversée et le TAVI de plus en plus utilisé. Malgré cela, la chirurgie a continué d’être indiquée pour les patients en bonne santé globale. Mais en mars 2019, deux grandes études ont été publiées dans une des revues médicales les plus réputées: New England Journal of Medicine. Elles ont ébranlé le Congrès international de cardiologie américain (American College of Cardiology) puisque, contre toute attente, elles démontrent que le TAVI fait aussi bien, voire mieux, que la chirurgie pour la valve aortique.
«Puisque l’intervention est beaucoup plus légère pour le même résultat, nous allons désormais devoir revoir nos critères», signalent les deux experts. À l’Hôpital de la Tour, le choix du traitement le plus adapté est laissé à un groupe multidisciplinaire, baptisé Heart Team. Les différents spécialistes, cardiologues, chirurgiens cardiaques, anesthésistes et intensivistes, se réunissent pour discuter des spécificités du patient et des résultats des différents traitements disponibles. Suite aux récentes études, les deux médecins s’accordent à dire que les décisions vont plus fréquemment tendre vers le TAVI, «pour le bénéfice des patients. C’est une véritable révolution!»
Événement gratuit
Conférence publique sur la maladie des valves cardiaques