Ses parents le prédestinaient à reprendre la ferme familiale de Gross Hesepe, contrée située dans le nord-ouest de l’Allemagne. Son attrait pour la science l’écarta de cette voie aérée. Aujourd’hui âgé de 48 ans, Christian Drosten dirige le département de virologie de l’hôpital universitaire de la Charité, à Berlin. Conseiller au Bundestag, siégeant aux côtés du ministre de la Santé, Jens Spahn, il est devenu depuis la mi-janvier une des figures les plus sollicitées et référencées du pays.

«C’est un rôle dans lequel j’ai comme glissé», reconnaît-il. D’anciennes connaissances de son village natal le félicitent pour ses apparitions médiatiques. «Le petit Drosten est encore passé à la télévision hier soir!» s’exclament-ils. Il acquiesce mais s’inquiète. «Ils me voient mais ne m’écoutent pas, déplore-t-il à l’antenne début mars. Ils ne veulent pas comprendre que la situation est sérieuse, que leur vie sociale, le club, la salle de gym et le festival de tir doivent désormais cesser.»

A la radio, aussi

Depuis le 26 février 2020, le virologue décrypte quotidiennement l’évolution de la pandémie sur les ondes de la radio allemande Norddeutscher Rundfunk. Chloroquine, études de modélisations britanniques, espoirs vaccinaux néerlandais, utilité ou non du confinement et du port du masque figurent parmi les sujets qu’il traite. «Si je fais ce podcast, c’est parce qu’il m’octroie le temps nécessaire pour développer des thématiques qui intéressent des citoyens avides de comprendre.»

D’une voix calme et posée, ce que Christian Drosten décrit comme «une catastrophe naturelle à laquelle personne n’était préparé» se pare d’une forme quasi palpable. Un phénomène qu’il serait, somme toute, possible d’appréhender à travers la science et qui, dès lors, perdrait de sa charge innommable et angoissante. «Les temps seront difficiles, reconnaît le virologue. Ils s’accompagneront d’énormes pertes économiques, mais nous parviendrons à passer outre. Nous le devons.»

Idéal de transparence

Outre ses talents didactiques, Christian Drosten dispose d’une solide réputation au sein de la communauté scientifique. Parmi ses prouesses, on compte l’élaboration d’un test dépistage du Zika et du MERS. Il a également été un des co-découvreurs du SRAS en 2003 et l’auteur de son premier test de diagnostic, qu’il a aussitôt mis à la disposition du grand public.

«Les épidémies s’accompagnent systématiquement de tentatives de restreindre l’information. Au lieu de partager leurs découvertes, de nombreux chercheurs préfèrent sécuriser leurs données par le biais de publications.» Fervent défenseur de la transparence, Christian Drosten publie régulièrement des travaux dans des revues ouvertes comme Eurosurveillance. Avant même que le Covid-19 n’atteigne l’Europe, c’est à nouveau lui et son équipe qui ont conçu le premier test de diagnostic.

Les temps seront difficiles. Ils s’accompagneront d’énormes pertes économiques, mais nous parviendrons à passer outre. Nous le devons

Christian Drosten

«Nous l’avons développé sur la base de l’ancien virus du SRAS, le virus coronas présent chez la chauve-souris, ainsi que sur des séquences du nouveau virus qui nous ont été transmises de Chine.» A la mi-janvier, le virologue l’a rendu accessible à tous. L’OMS a publié son protocole, et l’hôpital de la Charité s’est mis à expédier, gratuitement et massivement à travers le monde, le matériel nécessaire à l’élaboration du test.

«On ne sait pas»

Malgré les fortes sollicitations, Christian Drosten continue de se déplacer à vélo à travers la capitale, sac au dos et cheveux bouclés dans le vent. Avec sa compagne, il vit dans un appartement du quartier bourgeois bohème de Prenzlauer Berg. Ensemble, ils se partagent au mieux les tâches domestiques et l’attention requise par leur fils de 2 ans et demi. Au sujet de la fermeture des écoles, il rappelle que «l’époque des épouses à la maison est révolue et fermer les crèches aurait un impact inévitable sur la disponibilité du personnel hospitalier».

Comme toujours, il accompagne ses observations d’une foi immodérée dans la sagesse des politiques. «Condenser la vérité n’est pas de mon ressort, explique-t-il. Je ne fais que souligner certains aspects d’une vérité escortée d’incertitudes. On ne sait pas, d’où la nécessité de la décision politique.»

La propension du virologue à éviter toute leçon de morale contribue certainement à son charme. Dès les débuts de l’épidémie, il affiche ouvertement son désarroi face à l’énergie dépensée pour les critiques et les blâmes. Lors d’une de ses premières apparitions télévisées, il a jeté un froid dans le débat en affirmant que les propos discutés ne tarderaient pas, selon lui, «à être balayés par le virus». On peut désormais lui donner raison.

Une leçon d’humilité

Simone Waechter, une septuagénaire habitant Genève, écoute religieusement tous les podcasts de Christian Drosten. «Il a cette capacité de nous inclure dans la logique de son raisonnement et d’admettre lorsqu’il ne sait pas. C’est une faculté rare que d’admettre que l’on ne sait pas tout.» Lorsqu’on lui demande son avis sur le confinement obligatoire, Christian Drosten répond qu’il n’est que virologue.

«Qui suis-je pour dire une telle chose?» A force de ne rien vouloir dire, mais en s’exprimant tout de même, ses mots retentissent plus fort que ceux des autres. Un bel exemple d’humilité, qui se situe à l’extrême opposé des slogans populistes. On le sait, les crises créent leurs héros. Et tous ne prêchent pas leur seule omniscience.


Profil

1972 Naissance à Lingen, en Basse-Saxe.

1992 Diplôme de médecine avec mention honorifique, à Francfort.

2003 Identification du SARS-CoV avec Stephan Günther.

2005 Croix fédérale de l’Ordre du mérite de la République fédérale d’Allemagne.

2020 Conception du premier test de diagnostic du SARS-CoV-2.


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