Les rhinovirus, principaux agents du rhume, sont l’une des premières causes d’infection chez l’humain. Si sur la majorité des individus, ces germes n’ont que peu d'effets délétères, chez les personnes âgées, les bébés ou encore les personnes souffrant de maladies respiratoires, ils peuvent entraîner de graves complications. Responsables de plus de trois millions de morts chaque année, les infections respiratoires sont même l’une des premières causes de mortalité infantile. D’où l’importante de trouver un antiviral efficace.

L’équipe du Professeur Caroline Tapparel Vu, biologiste à l’Université de Genève et aux HUG, en collaboration avec le Professeur Laurent Kaiser, chef du Service des maladies infectieuses des HUG, et le Professeur Francesco Stellacci, responsable du Laboratoire des nanomatériaux supramoléculaires et interfaces de l’EPFL, a été récompensée ce mois du Prix scientifique 2016 de la Fondation Leenaards, pour son travail autour de cet enjeu primordial en matière de santé publique.

L’objectif principal des chercheurs? Développer des antiviraux actifs contre un large spectre de virus respiratoires, en mettant au point des particules ultra-fines (nanoparticules) capables de faire subir au virus un changement de structure irréversible et donc d’avoir un effet virucide. 

Par ailleurs, Caroline Tapparel Vu et Laurent Kaiser viennent également de recevoir le Prix 2016 de La Fondation E. Naef pour la recherche in vitro (FENRIV), qui encourage les chercheurs et scientifiques développant des moyens de recherche efficaces et substitutifs à l’expérimentation animale, pour leur approche se basant sur des mini-modèles reconstitués d'épithélium respiratoire.

Caroline Tapparel Vu explique le sens de cette recherche.


Le Temps: Le rhume est une affection anodine pour la majorité des personnes touchées. Quelles sont les personnes à risque de complications pour lesquelles un antiviral serait indispensable?

Caroline Tapparel Vu: Chez les personnes en bonne santé, les virus respiratoires et en particulier les rhinovirus, vont provoquer un rhume, voire de la fièvre. Normalement, en cinq à dix jours nous sommes guéris. Par contre, les conséquences de ces virus peuvent être dramatiques sur les personnes qui n’ont pas une immunité assez efficace pour parvenir à s’en débarrasser. Chez les bébés et les personnes âgées, par exemple, des complications plus graves peuvent apparaître lorsque le virus descend dans les voies respiratoires inférieures, comme des bronchiolites ou des pneumonies. Les individus touchés par des affections comme de l’asthme ou des bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) sont également particulièrement à risque de complications. Nous avons également rencontré le cas d’un jeune homme atteint de mucoviscidose, décédé après deux ans d’infection avec un rhinovirus. Son organisme n’a jamais réussi à se débarrasser du germe.

– En raison de la diversité et du haut taux de mutation des virus respiratoires, aucun vaccin ou antiviral n’est actuellement disponible, hormis contre le virus de la grippe. Comment allez-vous procéder pour développer un antiviral efficace?

– La difficulté principale est que ces virus évoluent tellement rapidement qu’ils arrivent à échapper aux traitements. De plus, les virus sont très différents entre eux sur un plan génétique. Notre stratégie n’est donc pas de cibler une fonction virale mais de parvenir à leurrer les virus en mettant au point des nanoparticules aptes à mimer les récepteurs cellulaires partagés par un grand nombre de ces virus.

– Concrètement, comment ces nanoparticules vont-elles agir?

– Lorsque le virus est dans notre organisme, il va chercher à lier des cellules pour les infecter. L’idée est donc de mettre le virus en présence d’une concentration élevée de nanoparticules possédant un récepteur imitant celui que le virus lie d’ordinaire sur les cellules. Etant donné que ces nanoparticules sont plus petites et plus accessibles, la plupart des virus vont aller lier ces nanoparticules en lieu et place des vraies cellules. Ce que nous avons déjà pu constater au sein de recherches préliminaires, c’est que non seulement le virus va aller lier les nanoparticules, mais en plus, il va commencer à s’ouvrir pour libérer son matériel génétique, comme il le fait en présence d’une vraie cellule. Ce phénomène rend le virus inactif. Les nanoparticules ont donc un effet virucide en détruisant la structure virale. Même si le virus se détache des nanoparticules, celui-ci n’a plus d’intégrité, il ne peut donc plus infecter d’autres cellules.

– Votre projet de recherche utilise des tissus respiratoires humains et des virus circulant dans la population. Quel est l'avantage de cette démarche?

– En effet, notre étude se base sur des mini-modèles d'épithélium respiratoire développés par la compagnie Epithelix, une start up genevoise. C'est l'un des points forts de cette recherche, car cela nous permet de coller au plus près de la réalité médicale en simulant au mieux ce qui se produit dans un patient infecté.

Cela représente un immense avantage, car les compagnies pharmaceutiques travaillent la plupart du temps avec des virus de laboratoire sur des cultures de cellules immortalisées, c'est-à-dire qui sont capables de se diviser indéfiniment. Ces modèles sont très éloignés d’une infection respiratoire réelle et donc de ce qui se passe concrètement dans la clinique. 

– Comment pensez-vous introduire ces nanoparticules dans l’organisme?

– L’idée serait de le faire via des sprays nasaux, comme il en existe à l’heure actuelle pour le traitement des rhumes. On suivrait ainsi la voie du virus dans l’organisme. Lors de recherches préliminaires, l’équipe du Professeur Stellacci a réussi à démontrer la preuve de principe sur des nanoparticules d’or. Notre objectif est désormais de travailler sur des matières biodégradables et facilement assimilables par l’organisme, comme des nanoparticules de sucre. Ces dernières ont déjà été approuvées et commercialisées, notamment pour la conception de sprays déodorants. Si cela marche, nous pourrions envisager de passer très rapidement à des essais cliniques sur l’humain.

– Pourrait-il y avoir d’autres applications cliniques de l’utilisation de ces nanoparticules autres que pour combatte les rhinovirus?

– En effet, nous pourrions utiliser ce même procédé contre d’autres virus, comme les virus neurotropes tels que l’herpès, qui infectent les cellules nerveuses, ou encore des virus émergents comme Ebola ou Zika. L’avantage de ces nanoparticules, c’est qu'elles sont très stables et résistantes, il serait donc possible de les acheminer facilement en Afrique ou en Amérique du Sud, par exemple.

 

Remise des prix scientifiques 2016 de la Fondation Leenaard, le 10 mars, au SwissTech Convention Center de l’EPFL. Ouvert à tous, sur inscription: fondation@leenaards.ch