Une leçon d’humilité. C’est sans doute ce qui frappe le plus à l’écoute des médecins confrontés à des malades atteints de formes sévères du Covid-19.

Car plus les semaines passent, plus la pathologie induite par le virus SARS-CoV-2 semble montrer de nouveaux visages, parfois totalement inattendus. On connaissait sa capacité à s’attaquer aux poumons, voilà que l’on découvre son habilité à entraîner des atteintes neurologiques, cérébrales, digestives, rénales, hépatiques, cardiaques, mais aussi vasculaires.

«Cette maladie peut attaquer presque n’importe quoi dans le corps avec des conséquences dévastatrices. Sa férocité est à couper le souffle», témoigne le cardiologue de l’Université de Yale Harlan Krumholz, dans le magazine Science, au sein d’un article particulièrement étoffé sur les conséquences délétères du virus.

En tant que soignant, on a l’impression de se retrouver trente ans en arrière, lorsque le sida a émergé

Alexandra Calmy, spécialiste des maladies infectieuses aux HUG

Aucun «pattern»

Malgré une littérature scientifique très dense – plus de 1000 articles en lien avec le Covid-19 déjà publiés ou en attente sur des serveurs de pré-impression –, les chercheurs peinent encore à comprendre la façon dont le virus attaque les cellules du corps, en particulier chez les 5% de patients qui tombent gravement malades.

«Nous devons parfois expliquer aux patients que l’on ne connaît pas encore l’ensemble des manifestations cliniques possibles de cette maladie. En tant que soignant, on a l’impression de se retrouver trente ans en arrière, lorsque le sida a émergé, décrit Alexandra Calmy, spécialiste des maladies infectieuses aux Hôpitaux universitaires de Genève. Les symptômes peuvent être très différents d’un malade à un autre, et l’on s’éloigne bien souvent de la classique pneumonie virale. C’est la raison pour laquelle nous devons rester vigilants lors de nos évaluations cliniques.»

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Effets sur les poumons et le cœur…

Quels sont les effets observés du SARS-CoV-2 sur nos différents organes? Ceux induits sur l’appareil respiratoire sont désormais bien connus. Si l’envahissement viral n’est pas repoussé par le système immunitaire lors de la phase initiale de la maladie, le virus peut atteindre les poumons et s’attaquer aux alvéoles, là où se réalisent les échanges gazeux entre l’organisme et l’air extérieur.

«La bataille que livre le système immunitaire contre l’envahisseur peut elle-même perturber le transfert sain d’oxygène, écrivent les auteures de Science dans leur article. Les globules blancs de premières ligne libèrent des molécules inflammatoires, qui, à leur tour, invoquent davantage de cellules immunitaires qui ciblent et tuent les cellules infectées par le virus en laissant derrière elles un amas de cellules mortes et de pus.»

Ces lésions, ce sont les fameuses taches en verre dépoli que l’on peut observer sur les scanners de patients atteints par le Covid-19. Face à ce phénomène, certaines personnes développent un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), pouvant conduire jusqu’au décès dans les cas graves.

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Du côté cardiovasculaire, les attaques de SARS-CoV-2 semblent également fréquentes. Une étude publiée le 25 mars dans JAMA Cardiology portant sur 416 patients hospitalisés à Wuhan, documentait ainsi des lésions cardiaques chez près de 20% des patients. Parmi les individus admis aux soins intensifs, il apparaît en outre que l'arythmie (perturbation du rythme cardiaque) mais aussi la formation de caillots sanguins sont particulièrement fréquentes, ce qui peut potentiellement conduire à des embolies pulmonaires lorsque ces derniers migrent dans les poumons ou des accidents vasculaires cérébraux lorsqu’ils se logent dans le cerveau.

…mais aussi sur les reins, le cerveau et le tube digestif

Des insuffisances rénales ont été constatées chez un pourcentage important – entre 30 et 60% selon les études – de patients hospitalisés. Selon les résultats d’autopsies conduites en Chine, le virus pourrait s’attaquer directement aux reins, mais les lésions rénales pourraient également être la conséquence de l’usage prolongé de respirateurs ou, plus rarement, de la prise de médicaments antiviraux comme le Remdesivir.

Des observations suggèrent aussi qu’entre 5 et 10% de patients Covid-19 souffrent d’atteintes d’ordre neurologique, avec l’apparition d’encéphalite inflammatoire cérébrale, de convulsions, de pertes de connaissance, ou encore de pertes de goût ou d’odorat. Jusqu’à un tiers des patients souffriraient par ailleurs de conjonctivite.

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Des éléments tendent enfin à démontrer que le nouveau coronavirus est capable d’infecter la muqueuse du tube digestif inférieur. De l’ARN viral a ainsi été retrouvé dans plus de 50% des échantillons de selles des patients testés. Entre 20 et 50% des personnes infectées souffriraient de diarrhée, des symptômes parfois négligés dans la recherche d’un Covid-19 par les professionnels de soins. Enfin, des lésions sur le foie ont aussi été observées sur certains patients, sans que les experts puissent encore affirmer qui du virus, des médicaments antiviraux ou d’une surinflammation du système immunitaire est le réel coupable.

Porte d’entrée du virus

Comment expliquer la variété des effets provoqués par le virus SARS-CoV-2? Pour de nombreux scientifiques, l’une des clés de ce phénomène serait une enzyme appelée ACE2 ou enzyme de conversion de l’angiotensine II. C’est en effet sur ce récepteur cellulaire que le SARS-CoV-2 se fixe, à l’aide des spicules situés à sa surface, pour rentrer dans les cellules.

Bien plus qu’une pneumonie, le Covid-19 est une inflammation systémique des vaisseaux sanguins

Il peut alors détourner leur machinerie interne afin de créer une myriade de copies de lui-même, avant que ces dernières n’envahissent de nouvelles cellules. Selon une étude en pré-impression et conduite par des scientifiques français, anglais et hollandais, le nouveau coronavirus trouverait un terrain particulièrement favorable, dès son entrée dans l’organisme, au sein de la muqueuse du nez, dont les cellules épithéliales seraient particulièrement riches en ACE2.

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Impliqués dans le contrôle de la pression artérielle, les récepteurs ACE2 sont également présents à la face externe des membranes cellulaires des poumons, des artères, du cœur, des reins et encore de l’appareil digestif où ces enzymes sont particulièrement nombreuses, mais aussi dans le cortex neural et le tronc cérébral, ce qui pourrait expliquer la diversité des symptômes rencontrés.

Inflammation systémique

Cette hypothèse est appuyée dans une recherche publiée le 20 avril dans The Lancet par des chercheurs de l'Université de Zurich. En examinant au microscope des échantillons de tissus de patients décédés, ces derniers ont constaté que l’inflammation touchait l’endothélium – à savoir la paroi interne des vaisseaux sanguins – de différents organes. La pénétration de SARS-CoV-2 dans l’endothélium se ferait très probablement par les récepteurs ACE2, qui s’y trouvent en nombre.

«Bien plus qu’une pneumonie, le Covid-19 est une inflammation systémique des vaisseaux sanguins. Elle entraîne de graves micro-perturbations de la circulation sanguine pouvant endommager le cœur ou provoquer des embolies pulmonaires, voire obstruer des vaisseaux sanguins dans le cerveau ou le système gastro-intestinal», souligne l’institution dans un communiqué.

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Cette découverte pourrait expliquer les disparités entre individus face au nouveau coronavirus. «Alors que l’endothélium des personnes jeunes se défend bien, ce n’est pas le cas de celui des groupes à risque souffrant d’hypertension, de diabète ou de maladies cardiovasculaires, dont la caractéristique commune est une fonction endothéliale réduite», écrivent les experts zurichois. De quoi réfléchir à de nouvelles pistes thérapeutiques qui combineraient à la fois le combat contre la multiplication du virus et la protection du système vasculaire des patients.