Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifiait le Covid-19 de pandémie. La suite, on s’en rappelle: les millions de décès de par le monde, les hôpitaux surchargés, les fermetures des commerces et des écoles, le port du masque, l’arrivée des vaccins… La propagation mondiale du SARS-CoV-2 a, sans aucun doute, profondément bouleversé nos vies ces dernières années.

Aujourd’hui, le Covid-19 ne suscite plus d’inquiétude pour une majorité de la population, mais peut-on pour autant dire de la pandémie qu’elle est terminée? Quels outils de surveillance devrait-on mettre en place? Les gouvernements ont-ils appris de cette crise? Etat des lieux en cinq questions.

1. Selon l’OMS, la pandémie de Covid-19 continue de constituer une urgence de santé publique de portée internationale. Pourquoi?

Avec plus de 170 000 décès liés au Covid-19 signalés au cours des huit dernières semaines à l’échelle globale, le monde n’en a clairement pas encore fini avec le SARS-CoV-2. Selon l’OMS, la pandémie de Covid-19 pourrait néanmoins approcher d’un point d’inflexion. «L’atteinte de niveaux plus élevés d’immunité de la population à l’échelle mondiale, que cela soit par l’infection et/ou la vaccination, pourrait limiter l’impact du SARS-CoV-2 sur la morbidité et la mortalité, mais il ne fait guère de doute que ce virus restera, à l’avenir, un agent pathogène établi de façon permanente chez les humains et les animaux. C’est pourquoi une action de santé publique est absolument nécessaire afin d’atténuer son impact dévastateur», a estimé le comité d’urgence de l’OMS, lors d’une réunion qui s’est tenue le 27 janvier dernier.

«Nous ne sommes pas en situation «endémique», puisque nous faisons face à une série quasi ininterrompue de vagues «épidémiques», estime de son côté Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève. En revanche, il est vrai que nous avons passé une étape importante depuis environ un an. La couverture vaccinale de la population est telle que les hôpitaux ne sont plus saturés et que la vie a pu reprendre progressivement presque comme avant la pandémie.»

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L’épidémiologiste rappelle toutefois que l’Europe enregistre toujours une mortalité liée au Covid-19 quatre à cinq fois supérieure à celle de la grippe. De plus, environ un quart de la population mondiale n’est pas vacciné, «ce qui représente potentiellement beaucoup de personnes vulnérables», pointe de son côté Mark Woolhouse, épidémiologiste à l’Université d’Edimbourg, dans un article du magazine Nature.

Un point de vue partagé par Jacques Fellay, spécialiste des maladies infectieuses et vice-président du Comité consultatif scientifique Covid-19 (qui agit sur mandat de la Confédération et des cantons): «Il n’est pas surprenant que l’OMS continue de considérer le covid comme une urgence de santé publique. Il est encore aujourd’hui l’une des principales causes de mortalité dans plusieurs régions. La plupart des pays ont une immunité suffisante pour que la surcharge du système de santé soit limitée, mais la vigilance reste de mise car un nouveau variant peut apparaître et contourner en partie cette barrière immunitaire.»

Il faut en outre savoir que le statut d’urgence de santé publique – qui oblige par exemple les pays membres à signaler les cas d’infections – est réexaminé tous les trois mois par l’OMS par un comité d’experts. La prochaine occasion de lever ce statut aura lieu en avril prochain, ce que certains experts prédisent déjà.

«Mon évaluation personnelle est que la transition de la pandémie à l’endémie [quand une maladie s’installe durablement dans une région donnée, ndlr] est en grande partie réalisée, écrit sur Twitter Isabella Eckerle, directrice du Centre des maladies virales émergentes des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et de l’Université de Genève. Pour l’instant, même si cela reste possible, je ne m’attends plus à des vagues importantes avec des variants totalement nouveaux qui changeraient encore une fois complètement la situation globale.»

2. 90% de la population mondiale présente une forme d’immunité face au virus SARS-CoV-2. Est-ce qu’on peut compter sur cette protection?

Malgré les chiffres souvent présentés, il reste difficile d’évaluer à quel point la population est immunisée. «Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte, analyse Julien Riou, épidémiologiste à l’Université de Berne. On sait combien de vaccins ont été donnés, mais on ne sait que partiellement combien de personnes ont été infectées par le passé. Il faut y rajouter la diminution de l’immunité dans le temps, les réinfections, les différents variants pouvant échapper à l’immunité. Tout ceci est assez compliqué.»

Cela étant dit, le niveau de couverture vaccinale complété par une immunité hybride liée au passage de plusieurs vagues a tout de même permis de faire considérablement baisser le taux de létalité du virus, à savoir le nombre de décès par infection. «L’immunité hybride est excellente contre les formes graves de la maladie, elle est par contre moins efficace chez les personnes fragilisées par une immunosuppression ou un âge avancé, chez qui une 4e dose avec vaccin bivalent est indispensable», explique Jacques Fellay.

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«L’exposition répétée au virus pose aussi la question des conséquences possibles à moyen et long terme, tempère le médecin. On sait que les symptômes post-covid sont fréquents et parfois très handicapants. Les études récentes montrent qu’ils ont tendance à diminuer au fil des mois, sans pour autant disparaître complètement pour une fraction des patients.»

3. Les gouvernements n’ont-ils rien appris de ces trois ans, comme le laissent entendre certains experts?

«Je suis moins préoccupée par des super-variants qui pourraient provenir de Chine que par l’incapacité des décideurs à apprendre: nous devons investir dans la prévention de la propagation des virus, mettre en œuvre des stratégies permanentes contre la transmission aérienne et mettre les sociétés à l’abri des pandémies», s’est indignée, sur Twitter, Isabella Eckerle.

«Les pouvoirs publics feraient bien de chercher à anticiper les risques d’une possible nouvelle crise, renchérit Antoine Flahault. Or, la veille sanitaire liée au Covid-19 en Suisse et presque partout en Europe n’est plus très vaillante. Elle reposait sur des tests PCR qui se sont effondrés dans tout le pays. Elle n’est plus très performante à nous renseigner sur la situation sanitaire, la distribution des variants et même le niveau de mortalité par covid. Par ailleurs, nous ne faisons aucun investissement sur la ventilation et la purification de l’air intérieur. Nous restons dans un état de vulnérabilité important face à de nouveaux variants plus transmissibles ou virulents.»

L’épidémiologiste cite volontiers l’exemple récent du Forum économique mondial: «Regardons l’élite et tirons des leçons de ce qu’il convient de faire. A Davos, les salles étaient équipées de purificateurs d’air filtrant l’air de manière adéquate, voire des purificateurs à ultraviolets lorsque la ventilation ne permettait pas une qualité de l’air suffisante. Des mesures que nous réclamons pour les écoles, les hôpitaux, les prisons, et tous les lieux qui reçoivent du public, étaient très bien appliquées par les grands de ce monde.»

4. Quelle solution doit-on mettre en place pour contrôler l’évolution du Covid-19?

Pour l’heure, la Suisse mise sur la détection du virus dans les eaux usées. Des échantillons sont ainsi récoltés plusieurs fois par semaine sur de nombreux sites, permettant un suivi des quantités de coronavirus présent dans le pays. «Cette surveillance pourrait s’étendre à d’autres virus, ce qui serait une aide précieuse en santé publique, par exemple pour la prédiction de possibles surcharges hospitalières», complète Jacques Fellay.

«Il faudrait investir beaucoup plus pour avoir un bon système de surveillance des maladies infectieuses, affirme pour sa part Julien Riou. Je ne pense pas que l’on puisse se satisfaire d’indicateurs comme les eaux usées ou l’excès de mortalité, qui sont soit indirects, soit retardés et qui laissent de côté la grande majorité de la population. On pourrait se baser sur une collecte de données à plus petite échelle mais plus systématique, par exemple en s’appuyant sur les médecins généralistes ou certaines écoles ou entreprises volontaires couvrant tout le territoire.»

Pour Antoine Flahault, nous pourrions aussi nous inspirer de l’expérience d’autres pays, comme le Royaume-Uni qui pratique des tests hebdomadaires sur un échantillon de sa population; la France, qui a regroupé en une seule base de données toutes les informations relatives à leur assurance maladie; ou encore la Finlande qui possède une biobanque regroupant 10% de sa population, ce qui permet un très bon suivi de cohorte tout en facilitant la recherche clinique et sur les médicaments.

5. Comment la pandémie va-t-elle évoluer?

«Le plus probable est que ce virus connaisse un dessin comparable à celui des quatre coronavirus humains déjà connus avant la pandémie, dessine Jacques Fellay. Peut-être que dans quelques années le SARS-CoV-2 circulera surtout en période hivernale, mais des vagues moins prévisibles seront encore observées à plus court terme.» Selon le scientifique, la prochaine pourrait d’ailleurs arriver tout bientôt: «Elle pourrait être causée par le sous-variant d’Omicron XBB.1.5, dont l’incidence a fortement augmenté aux Etats-Unis ces dernières semaines.»

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Pour savoir ce qui nous attend, il faudrait également davantage de recherches sur l’éventuelle perte d’efficacité du vaccin avec le temps contre les formes graves, estime Antoine Flahault. «On ne sait pas suffisamment aujourd’hui si cette perte d’immunité est substantielle chez ceux n’ayant pas eu de rappel depuis six mois, un an, voire davantage, constate l’épidémiologiste. En l’absence de données très probantes sur ces questions, la meilleure stratégie pourrait être de combiner un rappel vaccinal annuel, un investissement massif sur l’amélioration de la qualité de l’air intérieur, et le port du masque rendu obligatoire au-dessus d’un certain seuil de contamination dans les lieux clos et dans les transports publics. Dans tous les cas, ces stratégies impliquent préalablement une refonte de la veille sanitaire dans notre pays.»