La situation portugaise apparaît inattendue. Le taux de couverture vaccinale anti-Covid-19 au Portugal est en effet très élevé, 94% de la population adulte ayant reçu deux doses. On sait cependant qu’un schéma vaccinal complet comporte deux doses suivies d’un rappel, or un quart des adultes portugais n’a pas bénéficié d’un rappel vaccinal («troisième dose»). Pour l’épidémiologiste Antoine Flahault, il convient également de noter que le Portugal a une population vieillissante. On sait que le système immunitaire des personnes âgées est moins performant et peut donc moins bien réagir que celui des plus jeunes à la vaccination. La situation actuelle témoigne peut-être aussi du déclin de la protection conférée, dans la mesure où la vaccination est plutôt ancienne dans ce pays.
Chute des anticorps neutralisants
Six études, publiées entre le 2 mai et le 8 juin par des équipes de recherche japonaise, chinoise, américaine et britannique, sur le site de prépublication BioRxiv, rapportent de nouvelles données sur les caractéristiques virologiques et immunologiques des deux nouveaux sous-lignages de la famille Omicron, qui en compte cinq (BA.1, BA.2, BA.3, BA.4 et BA.5).
Une équipe de l’Imperial College de Londres a observé une chute de la capacité neutralisante de 8 à 10 fois contre BA.4 et BA.5, par rapport à la souche ancestrale et malgré l’administration d’une «troisième dose» vaccinale. Cependant, pour ce qui est de BA.4, cette troisième dose entraîne, par rapport à la deuxième, une augmentation de plus de 10 fois du taux des anticorps neutralisants.
La situation au Portugal doit être considérée comme très préoccupante par les systèmes de santé des pays de l’Europe de l’Ouest
Par ailleurs, d’autres données suggèrent que, chez des sujets vaccinés, une infection par BA.1 ou BA.2 peut entraîner une hausse de la réponse neutralisante en anticorps, capable de suffisamment neutraliser les nouveaux variants BA.4 et BA.5. Un point qui confirme l’intérêt de pouvoir prochainement disposer de nouveaux vaccins ne ciblant pas seulement la souche ancestrale du SARS-CoV-2, comme c’est le cas aujourd’hui, mais incluant également la protéine spike d’Omicron, ce qu’a commencé à produire la firme Moderna.
Uneautre équipe de l’Université Columbia (New York) montre que chez les personnes triplement vaccinées, les titres en anticorps neutralisants sont 19 fois moindres contre BA.4/BA.5 que contre BA.1, mais seulement 4,2 fois inférieurs par rapport à ceux dirigés contre BA.2. Cela montre que BA.4 et BA.5 présentent un profil antigénique très distinct de celui de BA.1 et plus proche de BA.2, autrement dit les anticorps dirigés contre BA.2 reconnaissent mieux BA.4 et BA.5 que ceux dirigés contre BA.1.
Du côté des traitements disponibles, l’équipe new-yorkaise a montré qu’un seul anticorps aujourd’hui utilisé en thérapeutique (bebtelovimab) s’avère efficace contre BA.4/BA.5. Elle indique par ailleurs que BA.4 et BA.5 semblent avoir une affinité légèrement supérieure pour le récepteur cellulaire ACE2, qui sert de porte d’entrée au virus dans les cellules qu’il infecte. «De façon impressionnante», malgré le fait d’avoir accumulé plus de 17 mutations dans la région impliquée dans la liaison au récepteur cellulaire, le SARS-CoV-2 a continué à évoluer pour encore mieux reconnaître la porte d’entrée de ses cellules cibles, soulignent les chercheurs new-yorkais. Ils voient dans ces résultats des éléments venant contredire certaines suggestions selon lesquelles le virus aurait dû perdre en affinité, et donc en transmissibilité.
Enfin, une étude de l’Université de Tokyoa par ailleurs évalué les caractéristiques virologiques de BA.4 et BA.5 in vitro et in vivo. Elle montre que BA.4/BA.5 se répliquent plus efficacement que BA.2 dans les cellules pulmonaires humaines. Chez le hamster infecté, il s’avère que BA.4 et BA.5 provoquent des lésions pulmonaires plus sévères que BA.2.
Infections sous-estimées
Voilà pour les données virologiques et immunologiques les plus récentes sur BA.4 et BA.5. Mais qu’en est-il sur le terrain? Premier constat: «Les taux de positivité sont actuellement très mal surveillés par les services de veille sanitaire un peu partout en Europe, à l’exception de la Grande-Bretagne, en raison des politiques de tests qui se sont effondrées après la dernière vague d’Omicron», fait remarquer le professeur Flahault. Pourtant, malgré cette chute significative de la fréquence hebdomadaire des tests, on observe un taux de positivité qui dépasse 50% au Portugal. En Suisse, la proportion de résultats positifs est de 17% pour les tests PCR.
Selon l’épidémiologiste genevois, «en raison du faible nombre de tests réalisés, on estime que dans nos pays ce chiffre est sous-estimé d’un facteur cinq. Ainsi, même les données portugaises actuelles, particulièrement élevées, qui dépassent les 3000 cas pour 100'000 habitants sur 14 jours, contre environ 500 en France, sont très sous-estimées.»
Selon Antoine Flahault, «la situation au Portugal doit être considérée comme très préoccupante par les systèmes de santé des pays de l’Europe de l’Ouest, car elle peut préfigurer ce qui peut se produire cet été dans la plupart d’entre eux». Dans un contexte où la croissance de BA.5 apparaît exponentielle, l’épidémiologiste insiste sur l’importance d’une aération adéquate et sur le fait que le port du masque devrait être fortement recommandé aux personnes fragiles et à celles qui les côtoient.
En Suisse, le rapport du programme de surveillance génomique de l’Université de Genève, mis en ligne le 3 juin, indique une augmentation de la fréquence de détection de BA.4 et BA.5. Ces variants représentaient environ 13% des séquences collectées entre le 16 et le 22 mai. Deux semaines plus tard, samedi 11 juin, Laurent Kaiser, chef du service des maladies infectieuses aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), déclarait sur Twitter qu’au vu des dernières données du site sentinelle de Genève et de la surveillance suisse, «les nouvelles infections (…) liées aux variants BA.4 et BA.5 se multiplient et seront bientôt celles qui domineront dans le pays».
«Reste à savoir à partir de quelles valeurs des indicateurs épidémiologiques et sanitaires les autorités des pays européens décideront de réimposer le masque», s’interroge Antoine Flahault. Et de déplorer qu’«on ne dispose toujours pas de ces valeurs seuils».