Depuis le 19 avril dernier, le président malgache Andry Rajoelina assure la promotion du Covid-Organics (CVO). Présenté comme un remède au Covid-19, il s’agit d’une décoction à base de plantes qui serait composée à 62% d’Artemisia annua (armoise annuelle), mais sa composition complète n’est pas dévoilée. Selon le gouvernement de Madagascar, ce sont les travaux de l’Institut malgache de recherches appliquées (IMRA) qui ont abouti à l’élaboration du CVO.

Interrogé lundi par France 24 et RFI, le chef d’Etat malgache affirme que le CVO serait un traitement «préventif et curatif» contre la maladie. Comme preuve de l’efficacité du remède, Andry Rajoelina s’appuie sur les chiffres de l’épidémie à Madagascar: «Aujourd’hui à Madagascar, on a eu 171 cas dont 105 guéris. […] Les patients guéris ont pris uniquement ce produit Covid-Organics.» Conditionné sous forme de bouteille ou de tisane, le CVO est déjà distribué largement dans le pays. Le gouvernement malgache a également fait don de doses de ce remède à une dizaine d’autres pays africains dont la Tanzanie, le Niger, la Guinée-Bissau ou encore la Guinée équatoriale.

Un accueil prudent

Face à cet engouement, plusieurs organisations ont souligné le manque de preuves scientifiques concernant l’efficacité de ce remède. La semaine dernière, le bureau régional de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l’Afrique a publié un communiqué appelant à la prudence: «Des plantes médicinales telles que l’Artemisia annua sont considérées comme des traitements possibles de la Covid-19, mais des essais devraient être réalisés pour évaluer leur efficacité et déterminer leurs effets indésirables.» Pour l’organisation, la promotion de traitements qui n’ont pas fait leurs preuves «peut mettre les populations en danger et les empêcher d’appliquer des mesures telles que le lavage des mains et la distanciation physique, qui pourtant sont des éléments cardinaux de la prévention de la Covid-19».

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Dans son communiqué, l’OMS rappelle qu’elle ne remet pas en cause les effets bénéfiques de la médecine traditionnelle et qu’elle a soutenu des essais cliniques qui ont «amené 14 pays à délivrer des autorisations de mise sur le marché de 89 produits issus de la pharmacopée traditionnelle répondant aux normes d’homologation internationales et nationales établies». De son côté, l’Union africaine a indiqué dans un communiqué publié le 4 mai qu’elle avait entamé des discussions avec le gouvernement malgache pour obtenir des données techniques sur l’efficacité de ce traitement. Une fois recueillies, ces preuves scientifiques seront examinées par le Centre africain de contrôle et de prévention des maladies.

Pour appuyer son propos, Andry Rajoelina a laissé entendre que les 15 pays membres de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) avaient passé une commande de Covid-Organics. Une affirmation que la Cedeao a démentie dans un communiqué le 6 mai, tout en indiquant qu’elle travaille depuis plusieurs années sur des médicaments à base de plantes dont l’efficacité a été scientifiquement prouvée. Ces différentes déclarations ne rejettent donc pas en bloc le remède malgache, mais souhaitent la mise en place d’un protocole respectant les normes internationales.

Des propriétés contre la malaria

Si ce traitement suscite autant d’interrogations, c’est aussi parce que les propriétés médicinales de l’Artemisa annua sont exploitées dans le cadre de la lutte contre la malaria (paludisme). L’artemisinine, substance active extraite de la plante, est utilisée dans l’élaboration de plusieurs traitements antipaludiques. Pour éviter le développement d’une résistance du parasite responsable de la maladie à cette substance, l’OMS recommande de ne pas utiliser l’artemisinine en monothérapie et de l’associer à d’autres médicaments.

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Toujours dans cet objectif, l’organisation a publié en octobre 2019 une note invitant à limiter l’utilisation de la plante dans sa forme non pharmaceutique. Dans un article publié le 6 mai, le journal Science rapporte les propos de Kevin Marsh, chercheur à l’Université d’Oxford, pour qui l’utilisation massive d’un traitement à base d’Artemisa annua contre le Covid-19 pourrait entraîner une augmentation de la résistance de la maladie face à cette substance. Un avis qui n’est pas partagé par un autre spécialiste interrogé par le journal.

Pour autant, l’utilisation de cette plante face à la pandémie est également au cœur de tests in vitro menés par l’Institut Max Planck en Europe. Ces tests se basent sur les résultats d’une étude chinoise menée en 2005, sur les effets d’un extrait issu de la plante qui neutralisait le virus du SRAS, proche du coronavirus qui sévit actuellement.

Un remède politique

Dans le débat autour du CVO, les questions scientifiques sont aussi étroitement liées à des enjeux politiques. Pour le président Rajoelina les réticences de l’OMS envers le Covid-Organics s’expliquent par le fait que ce remède a été élaboré par un pays africain. «Si ce n’était pas Madagascar, mais un pays européen qui avait découvert le remède Covid-Organics, y aurait-il autant de doutes?» s’interroge-t-il lors de son interview pour RFI et France 24. Le chef d’Etat a également fait un parallèle avec le scandale sanitaire du Mediator, qui démontre selon lui que ce n’est pas parce qu’un médicament a reçu une autorisation de distribution qu’il est efficace. Prescrit à des patients atteints de diabète et en surpoids mais aussi comme coupe-faim, il aurait causé la mort de plusieurs centaines de personnes.

Pour le moment, le Covid-Organics est commercialisé à Madagascar grâce à une autorisation temporaire de mise en vente de l’Etat. Lors d’une émission télévisée diffusée la semaine dernière, Rafatro Herintsoa, un des trois scientifiques autorisés par l’Etat malgache à s’exprimer sur la question, a indiqué que l’administration chargée du contrôle des médicaments n’avait pas encore donné son feu vert.