Covid-19
D’un genre nouveau, les vaccins contre le Covid-19 dits à ARN messager (ARNm) suscitent autant d’espoir que d'interrogations. Ils pourraient être mis sur le marché au premier semestre 2021. Le point sur leur efficacité mais aussi sur leur sécurité

Alors que les premiers candidats vaccins sont connus, deux d’entre eux ont particulièrement attiré l’attention: celui de l’américain Moderna et celui du tandem germano-américain BioNTech/Pfizer. Ce sont aujourd’hui les plus avancés. Ils promettent des efficacités record de plus de 90%, et surtout, ils sont tous deux basés sur une nouvelle technologie vaccinale jamais déployée chez l’être humain: les vaccins à ARN messager (ARNm). Bien que les résultats définitifs doivent encore être validés par la communauté scientifique, les conclusions préliminaires laissent envisager une mise sur le marché rapide de ces vaccins qui inaugurent une nouvelle ère. Explications.
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Qu’est-ce qu’un vaccin à ARNm?
Le principe général des vaccins est «d’entraîner» le système immunitaire à reconnaître les agents infectieux, dans des conditions inoffensives. En cas d’infection ultérieure, l’organisme est alors prêt à réagir immédiatement, empêchant la survenue de la maladie. On injecte habituellement des virus inactivés en laboratoire, ou bien des protéines provenant de la coque protectrice du virus. Mais pas dans le cas des vaccins à ARNm, qui consistent à administrer non pas de la matière virale, mais de petits acides ribonucléiques (ce qu’on appelle l’ARN) contenant le code génétique d’une protéine virale. Ces ARN ne proviennent pas du virus, ils sont totalement synthétiques.
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Une fois qu’ils ont pénétré à l’intérieur des cellules, ils sont pris en charge comme n’importe quel autre ARNm «naturel». Les ribosomes, structures spécialisées dans leur décodage, les traduisent en protéine selon le code qu’ils contiennent. Les cellules fabriquent ainsi la protéine virale, ce qui donne à l’organisme un aperçu d’une éventuelle rencontre avec le nouveau coronavirus SARS-CoV-2.
Comment est évaluée l’efficacité des vaccins?
94,1% d’efficacité pour le vaccin de Moderna, 95% pour celui conçu par Pfizer et BioNTech… Les chiffres égrenés ces derniers jours ont suscité une vague d’espoir sans précédent depuis le début de la pandémie. Mais comment, au juste, les interpréter?
Pour tester l’efficacité des vaccins durant la phase III des essais cliniques, les laboratoires ont utilisé une approche conventionnelle, l’étude randomisée à double aveugle. Le procédé est plutôt simple: sur un groupe donné de participants (43 500 pour le vaccin de Pfizer/BioNTech et 30 000 pour celui de Moderna), on inocule à la moitié le vaccin et à l’autre un placebo, voire un vaccin différent.
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Particularité: ni les participants ni les chercheurs ne savent à qui est donné quoi. En cas de symptômes, les volontaires sont testés afin de confirmer une infection par SARS-CoV-2. A partir d’un certain nombre de personnes positives, on atteint un seuil que l’on appelle «checkpoint». Les chercheurs peuvent alors avoir accès à la composition des groupes afin de savoir où se trouvent les cas positifs. Dans les analyses de Moderna, 185 des 196 personnes infectées se trouvaient dans le groupe «placebo» et 162 sur 170 dans l’étude de Pfizer/BioNTech. D’où des résultats de 94,1% d’efficacité pour l’un et de 95% pour l’autre.
Spectaculaires de prime abord, ces résultats appellent à une certaine prudence. Déjà, car aucun rapport scientifique concernant l’efficacité n’a encore été publié, les compagnies pharmaceutiques s’étant contentées d’annoncer leurs chiffres par le biais de communiqués de presse. «Il s’agira également de voir si ces chiffres resteront identiques après six mois, analyse Giuseppe Pantaleo, chef du Service d’immunologie et d’allergie du CHUV, à Lausanne. Il est possible qu’il y ait une tendance à la baisse, mais même si cela devait chuter à 80%, le vaccin resterait toujours un outil extrêmement efficace pour lutter contre la pandémie.»
Le vaccin offrira-t-il une immunité contre le Covid-19?
Question complexe. D’une part, car on manque encore de recul, les essais de phase III des deux vaccins ayant seulement commencé à la fin du mois de juillet. D’autre part, car la façon dont les études d’efficacité ont été conçues ne permet pas d’apporter d’éclairage pertinent sur ce point.
Les vaccins de ces deux compagnies ont, en effet, principalement été testés quant à leur efficacité à protéger des manifestations cliniques du Covid-19 et non pour leur capacité à protéger d’une infection. Rappelez-vous, seules les personnes présentant des symptômes devaient se faire diagnostiquer au cours des essais de phase III. Pour savoir si le vaccin était capable de réduire la transmission du virus, il aurait été nécessaire, en réalité, de tester tous les participants chaque semaine afin de détecter également les infections asymptomatiques.
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Alors que sait-on pour l’heure? «Selon les données préliminaires, ces vaccins réduiraient la possibilité de développer une forme légère, modérée, voire sévère de la maladie, explique Blaise Genton, médecin-chef du Service des maladies infectieuses à Unisanté (Lausanne). Il est vraisemblable que la réponse vaccinale ait un effet sur la multiplication du virus dans l’organisme. Si la charge virale est basse, on a moins de risque d’être malade ou de développer une forme sévère de la maladie.» Fait marquant: dans l’étude de Moderna, 30 cas graves ont été recensés dans le groupe avec placebo et aucun dans le groupe ayant reçu le vaccin.
Ces résultats encourageants devront toutefois être confirmés lors du déploiement du vaccin à plus large échelle. On estime en effet qu’environ 5% des patients développent une forme sévère de la maladie, ce qui en fait, au final, un événement relativement rare, peu observable sur un groupe de quelques milliers de personnes.
De plus, il est encore difficile de savoir si l’action des vaccins sera identique chez les populations les plus à risque, comme les personnes âgées. A ce stade, les premiers résultats de Moderna sont prometteurs. Parmi les personnes tombées malades dans le groupe sous placebo se trouvaient des personnes âgées de 65 ans et plus, ce qui laisse entendre une possible protection parmi les personnes ayant reçu le vaccin. Pfizer et BioNTech ont de leur côté assuré que l’efficacité de leur vaccin était de «plus de 94%» pour les plus de 65 ans, sans néanmoins donner davantage de détails quant à la répartition des âges.
Quels sont les effets secondaires des vaccins à ARNm?
Les données sur la sécurité déjà publiées se montrent rassurantes, puisque aucun effet secondaire sérieux n’a été observé jusqu’à présent. «L’injection du vaccin peut induire une réactogénicité, détaille Giuseppe Pantaleo. Cela se traduit par une réaction locale, comme des rougeurs, ou par quelque chose de plus systémique comme de la fièvre, de la fatigue ou des maux de tête. Ces symptômes sont dus à la réponse de notre système immunitaire qui, pour pouvoir contrôler le virus et l’éliminer, doit tout d’abord produire des facteurs inflammatoires. Certaines personnes réagissent beaucoup, d’autres nettement moins. Dans tous les cas, ces effets ne persistent pas au-delà de trois ou quatre jours et sont contrôlables.»
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La phase IV des études cliniques, qui est réalisée après la commercialisation du vaccin, devra, quant à elle, permettre de vérifier l’apparition d’éventuels effets indésirables très rares et très graves, impossible à détecter sur un échantillon réduit et sur le court terme.
Et qu’en est-il des risques liés à la technologie elle-même? «Il est improbable qu’elle soit très risquée, car elle ne contient pas d’adjuvants particuliers, parfois à l’origine d’effets indésirables, rassure Blaise Genton. Il faut savoir que l’enveloppe lipidique servant à transporter le vaccin est probablement très inerte. De plus l’ARN, qui est une molécule très fragile, est dégradé en quarante-huit heures dans l’organisme, il ne va donc ni rester dans le corps ni entrer dans le génome de la cellule.»
Un vaccin à ARNm peut-il entraîner le Covid-19?
Les vaccins de Moderna et de Pfizer/BioNTech reposent sur le même ARNm que celui de la protéine spike, un spicule qui hérisse toute la surface de la coque du coronavirus. Spike entre en jeu dans les phénomènes de fixation du virus aux cellules. Seule, elle est totalement inoffensive: elle ne peut pas provoquer le Covid-19, à la différence d’un vaccin à base de virus inactivé où ce risque est inhérent.
L’aspect «génétique» d’un vaccin à ARNm est-il dangereux?
En lui-même, non. On pourrait même dire que c’est plutôt notre organisme qui est dangereux pour le vaccin. Les ARNm sont de petites molécules extrêmement fragiles, rapidement dégradées. Une partie du travail des laboratoires a consisté à trouver comment les stabiliser, à l’aide de subtiles modifications biochimiques, afin de leur laisser le temps d’être traduits en protéines.
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Qu’ils soient naturels ou synthétiques, les ARNm ne pénètrent jamais dans le noyau cellulaire, où se trouve l’ADN contenant le code génétique d’un individu. Ils n’interfèrent pas dans les mécanismes liés à l’hérédité cellulaire et ne peuvent pas être transmis aux cellules de génération suivante. Une fois injectés, ils ne subsistent que quelques jours, tout au plus.
Cela étant, l’innocuité des deux candidats vaccins doit être évaluée lors d’essais cliniques, comme pour n’importe quel autre médicament. On saura donc bientôt dans le détail s’ils sont véritablement dangereux ou non, mais leur nature d’acide nucléique ne les rend pas plus néfastes qu’un vaccin classique.
Une mise au point aussi rapide n’est-elle pas suspecte?
Le développement habituel des vaccins exige d’identifier le virus, de l’isoler, de le cultiver et de l’inactiver, autant d’étapes prenant plusieurs mois au bas mot. L’ARNm est une molécule beaucoup plus simple à fabriquer par des procédés biochimiques, et non par de la délicate ingénierie cellulaire. «Il a suffi de connaître le génome du virus [en janvier 2020] pour démarrer la fabrication des ARNm, résume Valeria Cagno, virologue du département de microbiologie et médecine moléculaire de l’Université de Genève. Ces vaccins se prêtent bien à la production industrielle: on peut en produire beaucoup, tout en respectant aisément les standards établis, en termes de dosage notamment. Ils sont donc idéaux en situation de pandémie.»