Le don de plasma contre Ebola déçoit
Epidémie
Les résultats en demi teinte d'un traitement à base de sang de patients guéris d'Ebola viennent rappeler que très peu d'essais cliniques ont porté leurs fruits

C'était l'une des pistes envisagées pour vaincre le virus Ebola. Transfuser les malades avec du sang de patient guéri afin, espérait-on, de les protéger grâce aux anticorps qu'il contient. Nommé Ebola-Tx, l'essai clinique a livré mercredi ses conclusions dans le New England Journal of Medicine. La méthode a beau se révéler sûre pour les patients et le personnel, son efficacité semble insuffisante au vu des premiers résultats.
En ce début d'année, le bilan de la plus terrible épidémie provoquée en 2014 en Afrique de l'ouest par le virus Ebola fait état de 28637 cas confirmés pour un total de 11315 décès. Et bien qu'aucune victime ne soit à déplorer depuis la semaine du 29 novembre 2015, les recherches se poursuivent afin de faire face à une éventuelle nouvelle flambée.
Outre les vaccins et les autres traitements, la possibilité d'une transfusion de sang (ou de plasma, sa partie liquide) de convalescent avait été évoquée fin 2014, notamment après la guérison d'une poignée de patients américains ayant bénéficié d'une telle injection. Le plasma contient en effet les anticorps, molécules immunitaires responsables de la neutralisation du virus. En le transfusant chez les malades, on espérait ainsi armer leur organisme contre Ebola.
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Le présent essai Ebola-Tx a eu lieu dans un centre de traitement à Conakry, en Guinée, entre février et août 2015. Quatre vingt quatre patients ont reçu une dose de plasma de convalescent en deux injections pour un total d'environ 400 mL. Leur état de santé a ensuite été comparé avec celui de 418 patients admis dans le même centre dans les cinq mois précédant l'étude.
Espérance de vie identique
Dans les jours qui ont suivi la transfusion, 31% des patients sont morts des suites de la maladie, 38% chez les patients contrôle. Une maigre différence de 7% à peine statistiquement significative. Autrement dit, la transfusion de plasma n'a eu aucun effet sur l'espérance de vie des patients. On est loin de l'objectif initial de l'essai, qui visait une différence de mortalité d'au moins 20% pour considérer le traitement comme cliniquement important.
«Ce sont des résultats mi-figue mi-raisin, voire négatifs, commente Laurent Kaiser, médecin-chef du service des maladies infectieuses aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Il y a certes eu quelques personnes guéries aux Etats-Unis, mais c'était un vœu pieu que de penser qu'on aurait eu assez d'anticorps dans le plasma pour guérir des personnes déjà malades.»
Le taux d'anticorps contenu dans les échantillons de plasma constitue en effet une donnée cruciale pour l'évaluation de ce traitement. Il permet notamment de savoir s'il existe un seuil minimal ou une concentration idéale d'anticorps à transfuser afin d'observer un effet, ou encore de constater s'il y a une corrélation entre leur teneur et l'état de santé des malades. Pourtant, les chercheurs de l'étude Ebola-Tx ne l'ont pas mesuré, invoquant des difficultés techniques parmi lesquelles l'absence de laboratoire de haute sécurité ou l'impossibilité d'expédier les échantillons à l'étranger.
«C'est surprenant, continue Laurent Kaiser. Puisqu'il s'agissait de sang de patients guéris, ils auraient tout à fait pu doser les anticorps en dehors d'un laboratoire de haute sécurité.» Le dosage devrait toutefois être effectué en France dans un avenir proche et permettra, espèrent les auteurs, d'affiner les résultats.
Considérations éthiques
Ces résultats en demi-teinte ne doivent toutefois pas occulter le reste. D'abord parce qu'aucun effet secondaire important n'a été signalé. Mais surtout parce que mettre en place une telle étude était loin d'être gagné d'avance. D'un point de vue éthique, les scientifiques ne pouvaient mener leurs essais randomisés en double aveugle (dans lesquels les patients reçoivent aléatoirement du plasma ou un placebo). Il leur fallait donc mettre au point des protocoles différents mais menant à de solides conclusions. Le fait qu'une revue prestigieuse publie ces résultats montre qu'ils y sont parvenus.
«Il fallait également convaincre les donneurs et les receveurs, réaliser les prélèvements en toute sécurité, le tout dans une situation de crise catastrophique», explique Laurent Kaiser. Avoir pu évaluer ce traitement dans les conditions qui sont celles de la Guinée et qui, je le rappelle, n'ont rien à voir avec le cadre universitaire occidental, c'est une réussite remarquable.»
L'essai Ebola-Tx vient rappeler que l'évaluation des traitements expérimentaux contre ce virus – une dizaine sont à l'essai – demeure bien difficile, et ce pour diverses raisons. Certaines études ont démarré sans doute trop tard, alors que le nombre de malades déclinait rapidement. C'est le cas du cAd3-ZEBOV, vaccin développé par GlaxoSmithKline (et testé un temps à Lausanne), dont les essais de phase 3 au Liberia ont été stoppés après seulement un mois.
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L'autre vaccin, le VSV-EBOV dont les laboratoires Merck détiennent désormais les droits, a été confronté au même problème, mais avec toutefois plus de succès puisqu'il a pu démontrer cet été son efficacité dans une étude sur 4500 personnes à risque. Quant au ZMapp, un cocktail d'anticorps sur lequel reposaient beaucoup d'espoirs, il reste à démontrer son efficacité de manière catégorique, et à régler les graves problèmes d'approvisionnement dont il souffre.