Coronavirus
Si les femmes ont moins de risques que les hommes d’être hospitalisées en phase aiguë de la maladie, elles sont davantage sujettes au covid long. Explications

«Je ne peux même pas à accompagner mon fils à l’école à 200 mètres de chez nous. J’arrive à cuisiner mon repas mais ensuite, je n’ai plus la force de le manger…» Depuis qu’elle a contracté le covid en novembre 2020, Sabine a vu sa vie bouleversée. Alors trentenaire active, le virus lui a fait perdre toutes ses forces, forces qu’elle n’arrive pas à récupérer encore aujourd’hui. A une fatigue intense s’ajoutent pour elle des difficultés de concentration et de mémorisation, un essoufflement et une sensation de gêne respiratoire. Comme 10 à 25% des gens qui contractent le Covid-19, Sabine souffre de covid long, terme désormais générique pour parler de la persistance d’un ou de plusieurs symptômes trois semaines et plus après l’infection initiale.
Parmi ces personnes en souffrance, une majorité de femmes. Mayssam Nehme, cheffe de clinique au Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) explique: «On retrouve dans de nombreuses études que le sexe féminin est un facteur de risque de développer des symptômes persistants suite à une infection au Covid-19. Les femmes auraient presque deux fois plus de risques de faire un covid long que les hommes.»
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Face à ces chiffres, on aurait tôt fait de s’en tenir aux explications purement sociologiques concernant les femmes et leur santé, que résume ici Claudine Burton-Jeangros, sociologue de la santé à l’Université de Genève: «Le rapport à la santé n’est pas le même chez les hommes et chez les femmes. Les femmes sont davantage à l’écoute de leurs ressentis corporels et de leurs symptômes. Elles consultent davantage, semblent plus légitimes à rapporter leurs plaintes tandis que les hommes ont tendance à moins s’écouter.»
Mais pour Mayssam Nehme, cette explication n’est pas suffisante pour comprendre la plus importante prévalence du covid long chez les femmes que chez les hommes: «Certes, les femmes ont davantage tendance à consulter et à participer à la recherche mais ce biais de consultation n’explique pas l’inégalité hommes-femmes face au covid long. Il y a réellement des facteurs physiologiques à cela.»
Fonctionnement immunitaire différent
Alors, c’est bien du côté de la médecine qu’il faut aller pour appréhender les différences genrées face au covid long. Même si les causes de ce faisceau de symptômes durables restent encore inconnues, différentes hypothèses se dessinent et notamment celle d’un fonctionnement immunitaire différent chez les femmes et chez les hommes. Mayssam Nehme expose: «Le sexe féminin comme facteur de risque est retrouvé dans les maladies auto-immunes. Cela peut nous alerter sur le fait que le covid long pourrait être en lien avec une réaction immunitaire dérégulée dont nous ne connaissons pas encore bien la cause.» Ainsi, la réponse immunitaire face à l’infection au SARS-CoV-2 pourrait varier entre hommes et femmes, celles-ci, par ailleurs, semblant avoir une durée de réponse immunitaire plus longue.
En outre, comme l’explique la docteure genevoise: «Les femmes semblent, d’une manière générale, plus sujettes à la chronicisation des symptômes ainsi qu’aux maladies dites «fonctionnelles», dont on ne saisit pas encore tous les mécanismes.»
Des facteurs hormonaux sont-ils en cause? C’est possible, comme l’explique Milo Puhan, épidémiologiste à l’Université de Zurich: «Les hormones sexuelles peuvent également jouer un rôle, mais nous ne savons pas encore comment. C’est l’absence de différence genrée dans le covid long chez les enfants, où les hormones sexuelles jouent un rôle minime, qui nous mène à cette hypothèse.»
Milieu de contamination en cause?
Si l’on croise sociologie et médecine, une autre supposition peut être avancée: celle du milieu de contamination exposant à une plus ou moins importante dose virale infectante dont on sait qu’elle peut être déterminante dans la chronicisation des symptômes initiaux. Statistiquement, les femmes occupent davantage des postes à risque élevé de contamination massive: institutrice, caissière, serveuse… Mais prudence ici encore: «Il est possible que, par leur profession, les femmes avec un covid long aient été exposées à des doses virales infectantes plus importantes. Nous n’avons pas encore de preuve à l’appui et cette hypothèse devrait être testée», pondère Mayssam Nehme.
Certains médecins vont être davantage à l’écoute quand d’autres auront davantage tendance à tout ramener au psychosomatique et à relativiser les plaintes
Pour ce qui est des symptômes et de leur variabilité en fonction du sexe, il n’y a pas aujourd’hui de consensus. Selon Mayssam Nehme: «Il n’y a pas vraiment de différences entre les symptômes rapportés par les femmes et les hommes atteints de covid long à la consultation des HUG. Les femmes ont peut-être plus tendance à rapporter de l’anxiété mais c’est potentiellement parce qu’elles savent que c’est socialement plus accepté. Et, si les hommes rapportent davantage d’essoufflement ou de dyspnée, c’est qu’ils sont eux davantage à risque de formes graves en phase aiguë de la maladie.»
De son côté, une équipe de chercheurs italiens estime, dans un article récemment publié, que les femmes éprouvent une fatigue qui a tendance à s’aggraver au fil du temps alors qu’elle est plus constante chez les hommes. Elles seraient également plus sujettes à la dyspnée et aux douleurs thoraciques. Entre autres hypothèses, l’équipe italienne avance celle d’une perception différente de la douleur chez les femmes. Mais Milo Puhan se montre circonspect: «Des études comme celles-ci ne sont pas représentatives de toutes les personnes touchées par covid long et je serais prudent dans l’interprétation des résultats.»
Manque possible de reconnaissance
Si, en termes physiopathologiques, le covid long au féminin garde encore ses secrets, en termes sociaux et de santé publique, ses conséquences sont désormais bien dessinées. Sur le plan individuel, d’abord. «Se pose la question des réponses que va apporter le corps médical face aux symptômes du covid long chez la femme. Certains médecins vont être davantage à l’écoute quand d’autres, face à une patiente, auront davantage tendance à tout ramener au psychosomatique et à relativiser les plaintes», explique Claudine Burton-Jeangros.
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Mayssam Nehme abonde dans son sens: «Cette différence genrée face au covid long expose les femmes à un risque de manque de reconnaissance de leurs symptômes.» Cela peut notamment poser de véritables problèmes lors des évaluations médicales en vue d’obtenir l’AI, désormais ouverte aux personnes souffrant de covid long. Inscriptions à l’AI où les femmes sont en plus grand nombre, comme nous l’apprend Natalie Rangelov, cheffe de projet d'Altea-Long Covid Network: «En 2021 en Suisse, 967 femmes et 810 hommes souffrant de covid long se sont inscrits à l’AI. Depuis le début de l’année 2022, on compte 273 femmes et 197 hommes.»
Engendrant arrêts maladie et aménagements du temps de travail, les inégalités genrées face au covid long sont largement susceptibles d’accroître les inégalités hommes-femmes. «Globalement, les femmes sont plus précaires et moins bien insérées professionnellement, les inégalités risquent d’être accrues», résume Claudine Burton-Jeangros. Afin de pallier ces inégalités, les avancées de la recherche s’annoncent cruciales, tout autant pour soulager les malades que pour améliorer la compréhension de la maladie à travers le prisme du genre.