Psychologie
Après une fausse couche au premier trimestre de grossesse, une femme sur six serait victime de stress post-traumatique à long terme, selon une étude anglaise qui explore les conséquences de ces événements traumatiques

Encore taboue, souvent minimisée par la société, la perte d’un bébé, même à un stade précoce de la grossesse, peut engendrer chez de nombreux parents une souffrance d’une profonde intensité. Difficulté à se remettre de la mort d’un petit être qui n’a pas existé aux yeux des autres, remarques blessantes de l’entourage, sentiment de culpabilité, annonce communiquée de manière parfois brutale… Ces différents aspects peuvent faire du deuil périnatal une épreuve particulièrement difficile à surmonter.
Selon les résultats d’une étude prospective réalisée sur 650 femmes par l’Imperial College de Londres et publiée le 14 janvier dans l’American Journal of Obstetrics and Gynecology, près d’une personne sur trois ayant vécu une fausse couche avant douze semaines de grossesse, ou ayant subi une grossesse extra-utérine (lorsque l’embryon s’implante en dehors de l’utérus), expérimenterait un état de stress post-traumatique pouvant perdurer, pour une femme sur six, jusqu’à neuf mois.
Des symptômes d’anxiété modérée à sévère seraient par ailleurs rencontrés chez 25% des participantes à la recherche et se maintiendraient après neuf mois chez 17% d’entre elles. De même, 10% et 6% des femmes souffriraient de dépression modérée à sévère après respectivement un et neuf mois.
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Sentiment d’isolement
Ces chiffres viennent rappeler la nécessité d’améliorer la prise en charge des couples ayant perdu un bébé en cours de grossesse, quelle que soit son avancée. «Notre société peine à reconnaître cet événement comme pouvant être particulièrement traumatisant», décrit Tom Bourne, professeur en gynécologie à l’Imperial College et principal auteur de l’étude. «Il en résulte un manque de compréhension et de soutien pour de nombreuses femmes. L’accompagnement des personnes ayant vécu des fausses couches devrait être adapté afin de répondre à leur réel impact psychologique, tout comme il faudrait encourager les gens à en parler davantage.»
Certains parents se projettent très tôt dans une vie de famille. Tout cela s’interrompt de manière extrêmement violente avec la perte du bébé
Relativement fréquentes, les fausses couches concerneraient entre 15 à 20% des grossesses confirmées. Elles sont cependant encore régulièrement vécues dans la solitude. «Le secret entourant les trois premiers mois de la grossesse, puis la perte du bébé, rend plus difficile pour le couple de pouvoir partager son deuil, explique la professeure Antje Horsch, psychologue et directrice du Lausanne Perinatal Research Group à l’Université de Lausanne. Ce dernier peut alors se sentir isolé et insuffisamment entendu dans sa souffrance, y compris par l’entourage dont certaines remarques peuvent s’avérer inadaptées. Il est important d’être conscient que des parents développent un attachement prénatal même en tout début de grossesse et se projettent très tôt dans une vie de famille. Tout cela s’interrompt de manière extrêmement violente avec la perte du bébé.»
Pour Tom Bourne, il est fondamental de mettre en place des outils de dépistage permettant d’identifier, dans les trois mois suivant l’arrêt de la grossesse, la présence d’une éventuelle pathologie psychologique. «Les personnes atteignant des critères d’anxiété ou de dépression importants se verront probablement proposer une thérapie comportementale cognitive et, si nécessaire, une prise en charge médicamenteuse. Nous prévoyons actuellement un essai afin de déterminer le traitement optimal du stress post-traumatique spécifiquement associé aux fausses couches ou aux grossesses extra-utérines.»
Enorme vide
Le peu de souvenirs ou de preuves de vie en lien avec l’enfant peut également compliquer le processus de deuil. «Souvent les gens croient, à tort, que la perte d’un enfant en début de grossesse est plus facile à accepter que la perte d’un enfant en fin de grossesse. Or, pour moi, c’est justement parce qu’il ne reste rien de cet enfant que c’est une vraie souffrance, c’est un énorme vide qui ne peut être comblé. Même si le temps peut apaiser cette douleur, il ne l’effacera jamais complètement», écrit Anne-Marie Menoud, dans son ouvrage épistolaire intitulé Tu aurais 25 ans Julien (Editions Agapa).
Il y a souvent une différence de vécu entre la femme et l’homme. Si elles sont mal comprises, ces divergences peuvent devenir une source de malentendus.
Inscrire l’enfant dans l’histoire familiale peut alors s’avérer salutaire. «Depuis le 1er janvier 2019, il est possible, pour les parents d’un enfant né sans vie y compris avant 22 semaines de grossesse, de demander un document officiel attestant son existence, précise Sandrine Limat Nobile, psychologue et collaboratrice à Agapa Suisse romande, une association permettant notamment d’aider les parents à surmonter une perte de grossesse. Ces derniers peuvent donner un nom au bébé et lui attribuer un genre s’ils le désirent. Cette révision de l’ordonnance sur l’état civil a été réalisée afin de permettre aux personnes qui en ont besoin de faire reconnaître leur bébé aux yeux de la société.»
Les deux parents peuvent également vivre le deuil à des rythmes différents, un phénomène venant compliquer une situation par ailleurs déjà difficile. «Il y a souvent une différence de vécu entre la femme et l’homme, confirme Sandrine Limat Nobile. Si elles sont mal comprises, ces divergences peuvent devenir une source de malentendus.» Raison pour laquelle Antje Horsch plaide pour une intégration du père dans la prise en charge consécutive à la perte d’un bébé. «Des enquêtes réalisées au Centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne nous ont permis de constater que ceux-ci pouvaient également souffrir d’anxiété, de dépression et de stress post-traumatique. C’est pourquoi la recherche devrait également s’intéresser aux partenaires qui, eux aussi, ont vu leur projet de parentalité s’arrêter soudainement.»