Le gras va-t-il retrouver ses lettres de noblesse? Depuis longtemps honni par la communauté médicale, soupçonné d’être à la racine des maladies cardio-vasculaires, il parvient, article après article, à regagner sa respectabilité. La revue médicale The Lancet a publié cette semaine des travaux bousculant le consensus établi autour des principaux nutriments, lipides, glucides et protéines.

Les auteurs du premier article, réunis au sein d’une équipe internationale dirigée par des chercheurs canadiens de l’Université Mac Master à Hamilton, ont examiné par questionnaire les habitudes alimentaires d’un échantillon conséquent de 135 000 adultes âgés de 35 à 70 ans, répartis dans 18 pays aux revenus variés (du Zimbabwe à la Suède), et ont suivi leur état de santé durant un peu plus de sept ans en moyenne.

Le gras, un allié

Sur cette période, 5796 décès et 4784 maladies cardio-vasculaires (incluant accidents vasculaires cérébraux et crises cardiaques) ont été recensés. Fait intrigant, les personnes mangeant le plus de gras présentaient un risque de décès prématuré réduit de 23% comparé aux personnes ne mangeant que très peu de gras.

Et ce même chez celles mangeant beaucoup d’acides gras saturés, nutriments dont on recommande souvent de limiter la consommation. Le risque de maladie cardio-vasculaire était toutefois identique dans les deux groupes. Tous ces résultats ont été observés indépendamment du sexe, de l’âge, du pays de résidence ou d’autres variables.

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«C’est une étude robuste qui remet l’église au milieu du village», estime François Mach, chef du Service de cardiologie aux Hôpitaux universitaires de Genève. Elle rappelle qu’il ne sert à rien d’être un «ayatollah anti-gras», au contraire, puisqu’un apport modéré offre une certaine protection.

Une étude «très intéressante dans son design et dans la question posée […], aux résultats inattendus», commente Lucie Favre, diabétologue et cheffe de la Consultation de prévention et de traitement de l’obésité, antenne du Centre hospitalier universitaire vaudois à Lausanne.

Le sucre, un ennemi

Autre résultat remarquable, les sujets consommant le plus de glucides avaient un risque de mort prématurée 28% plus important que ceux n’en consommant que très peu, sans qu’une différence notable soit retenue concernant les maladies cardio-vasculaires.

Concernant enfin les protéines, leur consommation semble réduire les risques de mortalité. Sur ce point, les protéines d’origine animale (lait, viande) offrent une meilleure protection que les protéines végétales, pour lesquelles aucun effet n’a pu être observé. De quoi mettre en doute les propos voulant qu’un régime végétarien soit forcément bon pour la santé…

Manger, bouger

Le gras et les protéines animales bénéfiques, les glucides dangereux, les protéines végétales inutiles… Tout cela ne contredit-il pas frontalement les recommandations médicales émises depuis des années?

«Les résultats vont à l’encontre de certains dogmes», admet François Mach. «Cela ne change rien aux recommandations […], à savoir une alimentation équilibrée […] avec des légumes et des fruits et une activité physique régulière», tempère Lucie Favre.

Détaillant les limites de l’expérience, le cardiologue insiste sur la nécessité de différencier l’aspect alimentaire (ce que l’on ingère) de l’aspect biologique (ce que l’on mesure effectivement dans le sang):

«Certaines personnes peuvent manger trois fondues par jour sans pour autant avoir des taux sanguins de cholestérol élevés. D’autres, à l’inverse, suivent un régime très maigre et ont une cholestérolémie qui les met à risque de développer des maladies cardio-vasculaires. Or, cela, l’étude ne l’a pas examiné: les apports en nutriments ont été estimés par des questionnaires.»

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Il n’empêche qu’un nombre croissant d’études cliniques remet en question les impacts respectifs des glucides et des lipides. «On a trop tapé sur le cholestérol et pas assez sur le sucre», déplore François Mach, qui explique que beaucoup de recommandations actuelles ont été émises sur la base d’études épidémiologiques menées dans les années 1980. «On s’est à l’époque sans doute trompé en rejetant la faute sur les lipides.»

Les ombres des firmes pharmaceutiques, décidées à vendre des médicaments anti-cholestérol, ou de l’industrie du sucre planent également sur ce dossier.

Récemment dévoilés, des documents de la fin des années 1960 montrent comment celles-ci ont faussé les recommandations nutritionnelles en prétendant que les risques de maladies cardio-vasculaires dépendaient de la seule consommation de graisses animales, et non du sucre.

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On ne sait plus quoi manger… Faut-il embrasser la religion des lipides? «Non, il ne faut pas pour autant forcer sur la sauce béchamel», sourit François Mach. Sage conseil, surtout si l’on veut garder la ligne. «Maintenir un poids dans la norme en mangeant très gras est difficile, voire impossible, tout le monde en conviendra», conclut le Dr Favre.