Avec plusieurs centres de recherche, un Réseau romand d’oncologie, un laboratoire de production cellulaire enfin accrédité par Swissmedic et plusieurs centaines de millions investis par des fondations telles que l’Isrec, le Ludwig Institute for Cancer Research (LICR), ou encore le canton de Vaud – qui a notamment consenti dernièrement un financement de 30 millions sur cinq ans pour le soutien aux essais cliniques en immunothérapies cellulaires oncologiques – l’Arc lémanique a résolument su se donner les moyens pour se placer, au niveau national et international, à la pointe de la recherche contre le cancer.

Véritable game changer, l’immunothérapie est sans conteste le fer de lance de ce combat contre une pathologie qui touche environ 40 000 personnes chaque année en Suisse. Considérée comme une révolution par la communauté scientifique, elle a pour objectif de stimuler les capacités intrinsèques du système immunitaire à combattre les tumeurs. Devenue progressivement la norme dans la prise en charge de certains types de cancers (comme le mélanome, les cancers du poumon, de la tête et du cou), avec des résultats spectaculaires chez certains patients, elle porte une grande partie des espoirs actuels. Son développement, sur Lausanne, a toutefois pris du retard par rapport à ce qui avait été annoncé, notamment dans ces colonnes.

Retard dans les essais cliniques

Plusieurs essais cliniques devaient en effet être lancés ces dernières années. L’un était notamment destiné aux jeunes patients atteints de leucémie aiguë afin d’évaluer l’efficacité d’une thérapie à base de lymphocytes T modifiés, appelés CAR T-cells. Cette technique, qui vise à transformer les cellules immunitaires de patient en médicament personnalisé, avait déjà montré des résultats prometteurs lors d’essais cliniques conduits à l’Hôpital pédiatrique de Seattle, entre 2014 et 2016, sur une quarantaine de jeunes patients atteints de leucémie lymphoblastique aiguë en rechute ou réfractaire, avec un taux de rémission de 90%. Au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), le démarrage était prévu au cours de l’été 2019. Il n’a pas encore été lancé.

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Un autre essai clinique qui devait débuter à la fin de l’année 2018 a finalement commencé au mois de décembre 2020 avec, comme première étape, l’enrôlement de plusieurs patientes. Celui-ci est lié au développement de vaccins personnalisés contre le cancer des ovaires. L’objectif: prélever des cellules cancéreuses au sein de la tumeur, ainsi que des cellules dendritiques provenant du sang de l’individu touché. Ces cellules dendritiques sont ensuite cultivées in vitro avec les protéines spécifiques du cancer de la personne malade afin qu’elles se parent, à leur surface, des antigènes tumoraux. Une fois réinjectées dans l’organisme, elles permettent à d’autres cellules immunitaires, les lymphocytes T, de mieux reconnaître les cellules cancéreuses, et ainsi de mieux les tuer.

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Freins liés à la pandémie

«Nous avons essuyé quelque retard en raison de la pandémie, explique le professeur George Coukos, chef du département d’oncologie à l’Université de Lausanne/CHUV et directeur du LICR. La dernière année a été difficile pour tout le monde. Malgré la nécessité pour l’hôpital de se réorienter vers les patients atteints du Covid-19, nous avons tout de même eu la possibilité de continuer à traiter des malades avec des traitements d’immunothérapie. Concernant l’essai clinique pédiatrique, nous travaillons avec nos collègues de l’Hôpital des enfants de Seattle. Ces derniers ont dû stopper toute activité ces huit derniers mois et nous n’avons donc pas pu avancer comme nous le souhaitions sur un plan opérationnel. Mais le projet a maintenant repris et nous travaillons à avancer cette collaboration.»

Plusieurs protocoles sont par ailleurs actuellement ouverts: une douzaine de patients atteints de mélanomes métastatiques ont ainsi pu être traités par immunothérapie avec les lymphocytes TIL [des lymphocytes infiltrant la tumeur et qui possèdent des propriétés anticancéreuses, ndlr]. «Nous sommes en train d’évaluer les résultats, précise George Coukos, mais les premières analyses semblent très prometteuses. Des thérapies de seconde génération de TIL, que l’on espère encore plus efficaces, vont par ailleurs pouvoir être mises en place dans le premier trimestre de cette année pour le traitement de certaines tumeurs solides. De plus, deux protocoles visant à développer des vaccins pour le cancer du pancréas et du poumon ont également été mis en route. Notre objectif étant de pouvoir élargir ces thérapies à l’ensemble de la Suisse.»

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Mikaël Pittet: «Nous voulons comprendre pourquoi les immunothérapies actuelles ne bénéficient qu’à une minorité de patients»

Après plus de quinze ans passés aux Etats-Unis, le biologiste suisse Mikaël Pittet a été nommé en septembre professeur ordinaire au Département de pathologie et immunologie de la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Ses travaux visent à mieux comprendre les facteurs pouvant favoriser l’efficacité des traitements contre le cancer.

Le Temps: L’immunothérapie a considérablement modifié notre approche du cancer, avec des résultats spectaculaires chez certains patients. Pour autant elle n’est pas efficace chez tous les malades. Pourquoi?

Mikaël Pittet: Jusqu’à présent, la recherche en immunothérapie s’est principalement concentrée sur les lymphocytes T, qui sont des cellules du système immunitaire capables d’identifier les cellules tumorales et les détruire. En découvrant qu’ils avaient des sortes de freins à leur surface qui limitaient leur pouvoir neutralisant, il a été possible de développer une nouvelle classe de médicaments, dans le but de les activer davantage. Or, ces traitements ne fonctionnent pas chez tous les patients. C’est sur cette base que nous avons établi l’hypothèse que d’autres cellules du système immunitaire appelées myéloïdes, et qui sont parfois en très grand nombre au sein des tumeurs, pouvaient réguler la maladie mais également avoir une influence sur l’efficacité des traitements.

Les cellules dendritiques, utilisées actuellement dans la conception de vaccins personnalisés contre le cancer, semblent jouer un rôle important…

En effet. Selon nous, elles jouent un rôle crucial en permettant aux lymphocytes T de s’activer suffisamment pour combattre les cellules cancéreuses. A contrario, certaines populations de cellules dites macrophages semblent limiter l’efficacité des médicaments et sont associées à un moins bon pronostic clinique.

Comment ces découvertes pourraient-elles influencer de futures approches thérapeutiques?

Nous travaillons notamment sur le développement de traitements permettant de renforcer les mécanismes générant des cellules dendritiques au sein des tumeurs, étant convaincus que ces cellules représentent une cible de choix dans la lutte contre le cancer. Notre laboratoire continue par ailleurs son travail de cartographie des cellules immunitaires qui infiltrent les tumeurs, afin d’en définir l’identité, puis les fonctions. Nos résultats nous ont déjà permis de voir que les types de réponses immunitaires qui se développent dans les tumeurs sont relativement homogènes d’une personne à l’autre, ce qui signifie qu’un futur traitement ciblant les cellules myéloïdes a de bonne chance d’être efficace chez un grand nombre de patients. (S. L.)