Le 31 mai se déroulera une nouvelle Journée mondiale sans tabac, sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) organisent pour l’occasion une conférence au sujet des nouveaux vaporisateurs de nicotine et de tabac. L’orateur, le professeur de santé publique Jean-François Etter, de la Faculté de médecine de l’Université de Genève (Unige), fait le point sur ces appareils.

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Le Temps: Dix ans après l’apparition des premières cigarettes électroniques, ces dernières ont-elles permis de faire reculer le tabagisme?

Jean-François Etter: Nous ne disposons pas de suffisamment de données pour l’affirmer avec force. Un certain nombre d’études avancent qu’elles permettent de réduire les risques liés au tabac. D’autres suggèrent qu’elles pourraient aider à arrêter de fumer, mais sans certitude absolue quant au lien de cause à effet. Nous manquons donc encore de recul pour être catégorique. Disons que dix ans après, l’impact n’est pas spectaculaire.

– Comment expliquer ce rendez-vous manqué?

– Tous ces produits demeurent finalement peu utilisés. Rappelons qu’en Suisse, la vente de liquides contenant de la nicotine est toujours interdite, bien qu’il existe une certaine tolérance. En outre, le public n’a pas été correctement informé. Aujourd’hui encore, les enquêtes par questionnaire démontrent que beaucoup de gens pensent, à tort, que les cigarettes électroniques sont aussi dangereuses que celles à combustion. Est-ce la faute des médias qui préfèrent les mauvaises nouvelles? Ou celle des milieux de la prévention, trop prudents pour se prononcer? Ou encore celle des fabricants, incapables de proposer des produits qui font totalement arrêter le tabac? Sans doute un peu de tout cela à la fois.

– Où en est-on justement des risques potentiels de la cigarette électronique?

– Le consensus partagé par de nombreux experts du domaine estime que le risque représenté par la cigarette électronique représente environ 5% de celui lié à la cigarette combustible. Autrement dit, elle est 95% moins dangereuse. C’est ce point qui n’a pas été suffisamment communiqué auprès du public. La cigarette électronique ce n’est pas le risque zéro, c’est un appareil qui s’inscrit dans le cadre d’une réduction des risques liés au tabagisme. Malgré ce chiffre, il faut reconnaître que nous manquons encore de recul. Par exemple, quels sont les effets sur l’organisme en fonction de la durée totale d’exposition, un facteur que l’on sait déterminant dans les cigarettes classiques? Nous ne les connaissons pas encore avec certitude.

– D’autres produits apparaissent en parallèle, tel iQOS, fabriqué par Philip Morris, qui fait chauffer non pas du liquide, mais un bâtonnet de tabac. De quoi s’agit-il?

– Ce qui distingue ce genre d’appareil d’une cigarette classique, c’est que le tabac ne brûle pas. Il est simplement chauffé aux alentours de 300 degrés, alors que la combustion d’une cigarette s’effectue à plusieurs centaines de degrés de plus.

En théorie, les aérosols émis sont beaucoup moins toxiques, mais il faut noter que les vapeurs générées contiennent tout de même de faibles quantités de monoxyde de carbone et d’hydrocarbures aromatiques polycycliques toxiques, comme vient de le démontrer une étude lausannoise publiée dans la revue JAMA Internal Medicine.

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Nous manquons encore d’études indépendantes de ce genre, pour compléter celles menées par les industriels. Or le Fonds de prévention du tabagisme refuse de financer des travaux sur le sujet. C’est regrettable.

– En Suisse, le parlement a retoqué l’an passé la loi sur les produits liés au tabac, anéantissant tout espoir de voir à court terme l’autorisation de liquides contenant de la nicotine. Quel est votre avis?

– Cette décision s’est clairement faite au détriment de la santé publique. Reste à voir ce que nous réserve la prochaine mouture de cette loi. Si elle autorise la vente de liquides nicotinés, on devrait assister à une augmentation de la consommation de cigarettes électroniques.

– Paquets de tabac ou de cigarettes neutres, taxes importantes, liquides nicotinés… Les voisins européens sont-ils en train de prendre de l’avance sur la Suisse?

– Je dirais plutôt que la Suisse est déjà en retard en matière de lutte contre le tabagisme. Il n’y a qu’à regarder le classement des pays en termes de lutte contre le tabac: nous faisons partie des mauvais élèves (la Suisse occupe le 21e rang sur 35 dans le classement de l’Association des ligues européennes contre le cancer, ndlr). Le prix des cigarettes est loin d’être dissuasif compte tenu du niveau de revenus. Dans certains cantons alémaniques, la loi autorise de fumer dans les espaces publics de moins de 80 mètres carrés. Sans compter la publicité, toujours très présente et qui a un impact certain en incitant les jeunes à fumer. Mais les géants du tabac qui sont installés en Suisse savent très bien défendre leurs intérêts.