A Lausanne, l'obésité est une question de quartier
Santé publique
Une étude révèle une concentration des habitants en surpoids différente selon les quartiers de Lausanne, les plus populaires étant les plus concernés. L’urbanisme et le voisinage sont des causes possibles, selon les auteurs

L’ouest de la ville en rouge, et l’est en bleu. La carte publiée mardi dans la revue British Medical Journal Open, par des chercheurs lausannois, est sans équivoque et indique une influence de l’habitat sur le poids dans la capitale vaudoise. Elle montre clairement que la concentration d’habitants en surpoids est plus importante dans l'ouest de la commune et au nord, alors que les personnes dont le poids est autour de la moyenne semblent se regrouper à l’est de la ville.
Pour réaliser cette carte, l’équipe multidisciplinaire de scientifiques et de médecins s'est appuyée sur les données physiologiques des 6000 habitants qui ont participé à l’étude d’envergure CoLaus.
Les auteurs de l’étude ont déterminé l’indice de masse corporelle (IMC) de chaque participant et ils ont calculé le lien entre cet IMC et celui des habitants voisins dans un rayon de 800 mètres. Il ressort que l’ouest de la ville et le quartier nord de la Borde, qui sont plus populaires, sont plus concentrés en habitants en surpoids (en rouge) que les quartiers à l'est. Ces derniers concentrent plutôt les habitants dont l’IMC est plus bas que la moyenne. Pour le reste de la ville, les chercheurs n’ont pas observé de lien entre IMC et lieu d’habitation.
Un poids sous influence urbaine
En résumé, l’endroit où l’on habite à Lausanne influence le poids. Les scientifiques ont tenté d’identifier les causes de ce lien. «La valeur de l’IMC représentée sur cette première carte est une valeur brute qui est influencée par des facteurs cachés tels que l’âge de la personne, sa consommation de tabac et d’alcool, le genre, le revenu, etc.», précise Stéphane Joost, chercheur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et principal auteur de l’étude. Ces éléments sont connus pour avoir un rôle sur le poids.
Sont-ils les seuls à expliquer la répartition spatiale du surpoids? Pour répondre à cette question, Stéphane Joost et ses collègues ont «enlevé l’effet des facteurs sociaux usuels sur l’IMC grâce à une méthode statistique qui a permis de produire une nouvelle carte». Les scientifiques ont été surpris d’obtenir une carte quasi identique à la première, car ils s’attendaient à atténuer l’effet de la répartition, selon Stéphane Joost.
«Le phénomène de dépendance géographique subsiste, malgré l’ajustement, à cause de deux phénomènes selon nous: l’environnement urbain et humain», complète Idris Guessous, co-auteur et médecin épidémiologiste au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Reste aux chercheurs de déterminer si, oui ou non, l’urbanisme joue un rôle dans le risque d’être obèse dans les quartiers ouest et nord. «Nous allons compléter cette carte par une étude de l’impact du cloisonnement urbain que l’on peut mesurer grâce à des modèles, et de l’accès aux espaces verts», ajoute Stéphane Joost.
Des quartiers enclavés
Selon Idris Guessous, le lien entre urbanisme et obésité est un domaine «émergent»; plusieurs études sont déjà parues aux États-Unis notamment chez les pendulaires. Vivre sur un territoire de plus en plus compartimenté, c’est-à-dire entrecoupé par des axes routiers et ferroviaires, semble être un facteur de sédentarité et donc de surpoids. «Émettre l’hypothèse que la compartimentation des villes est un facteur d’obésité en Suisse est nouveau, car l’habitat y est plus équilibré, commente le médecin lausannois. Sauf à Genève et Lausanne par exemple où il y a des coupures naturelles (le lac et le Rhône) et artificielles (routes, voies de chemin de fer).»
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L’autre élément soulevé par les chercheurs est l’influence du voisinage sur le poids des habitants. «Une étude américaine a montré qu’avoir une personne obèse dans son réseau social augmentait de 57% ses propres risques de devenir obèse», précise Stéphane Joost. Ces travaux concernent des proches ou des amis. Or les chercheurs lausannois suggèrent que les voisins, qu’on les connaisse ou pas, influencent aussi le poids. «À l’inverse, on peut imaginer que le fait d’habiter dans l’est de la ville (l'amas, cluster, de points bleus) est une influence positive car les habitants ont un poids plutôt plus bas que la moyenne, commente Idris Guessous. La population pourrait y trouver plus de levier d’action pour changer son comportement alimentaire qu’à l’ouest.»
Enfin, le médecin avance que cette carte, une fois que tous les facteurs auront été étudiés plus précisément, offrira un intérêt en santé publique: «Nous pourrons cibler les interventions dans les quartiers en faisant de la prévention spécifique. Le but est de réussir à transposer la bonne santé partout.»