La vie de Christine Bienvenu, qui souffre d’un cancer du sein, est rythmée par ses visites au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) pour suivre son traitement, toutes les trois semaines. Mais quand s’est déclarée la pandémie, l’échéance a commencé à l’angoisser. «Le week-end précédant mon rendez-vous du 30 mars, j’ai contacté mon oncologue pour lui demander si c’était dangereux que j’y aille. Elle m’a rassurée, en m’expliquant que le service de cancérologie était «propre», c’est-à-dire géographiquement séparé des unités Covid».

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Si cette habitante de Romanel-sur-Morges est stressée, c’est qu’elle sait que les gens victimes d’un cancer sont plus à risque que les autres face au coronavirus. Sur la page Facebook «Seinplement Romand(e) s» qu’elle anime, les participant.e.s témoignent aussi de leurs inquiétudes à ce sujet. Pourquoi le cancer les rend-il plus vulnérables? Pour trois raisons, répond Solange Peters, cheffe du service d’oncologie médicale du CHUV. «D’abord, leur maladie a des conséquences sur leur système immunitaire, qui se défend moins bien contre les infections. Les traitements comme certaines chimiothérapies peuvent affaiblir encore plus leurs défenses. Ensuite, ajoute-t-elle, en se déconfinant, ils s’exposent davantage. Enfin – mais ce n’est pas le cas en Suisse – ils ne sont pas toujours considérés comme prioritaires pour accéder aux soins aigus, notamment aux soins intensifs… L’âge médian des patients souffrant du cancer se situe autour de 68 ans en Suisse.»

Peu d'études

Quelques études seulement, à ce jour, ont été publiées sur les interactions entre cancer et Covid-19. L’une, effectuée en Chine et parue dans The Lancet Oncology, montre que les patients cancéreux qui contractent le Covid-19 semblent plus susceptibles de développer des complications. Ce que confirment deux publications, parues dans leJAMA Oncology et Annals of Oncology. Deux autres études, menées cette fois sur des patients aux Etats-Unis et en Europe, sont en cours de validation. Elles semblent suggérer, dans leurs résultats préliminaires en cours de publication, que les personnes qui sont en rémission, y compris depuis plusieurs années, ont une aggravation plus importante du risque de décès suite au coronavirus. Ce phénomène reste, quant à lui, à analyser et à expliquer en détail.

Aux HUG, une quarantaine de patients cancéreux ont contracté le Covid-19 depuis le début de la pandémie. Au CHUV, c’est 150

Parmi les cancers, certains fragiliseraient-ils plus que d’autres les patients face au coronavirus? Pierre-Yves Dietrich, chef du service d’oncologie et d’hématologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), répond par la négative. «Nous n’avons pas constaté cela chez nous. Le niveau d’immunodépression est le paramètre principal face au coronavirus.» Aux HUG, une quarantaine de patients cancéreux ont contracté le Covid-19 depuis le début de la pandémie. Quelques-uns sont décédés. Au CHUV, Solange Peters a pu identifier environ 120 patients connus de son service lors des deux dernières années qui ont été testés positifs. «Leur taux de mortalité est malheureusement, comme on pouvait s’y attendre, significativement supérieur à celui des personnes non vulnérables», précise-t-elle. Dans d’autres pays, du fait de l’urgence sanitaire, cela pourrait être beaucoup plus élevé.

Nouveau protocole

Pour éviter la contamination, Christine Bienvenu s’est pliée à un nouveau protocole en arrivant au CHUV: convocation pour pouvoir rentrer, prise de température, lavage des mains et questionnaire médical. «J’ai dû ajouter mes directives anticipées, dit-elle. C’est un peu perturbant, mais si on arrive dans un état critique, les soignants auront la référence de mon oncologue ainsi que mes consignes sur la réanimation.»

Comme elle, au CHUV, et aux HUG, pratiquement tous les patients suivis en oncologie ont pu bénéficier de leur traitement malgré la pandémie. A chaque fois, l’évaluation se fait au cas par cas, selon les recommandations établies par la Société européenne d’oncologie médicale, dont Solange Peters est la présidente: priorité élevée si la survie est en jeu, moyenne si on peut repousser de quelques semaines, ou basse si cela peut attendre la fin de la pandémie. «Il ne faut pas, dans ce contexte, renoncer à la qualité des soins, insiste-t-elle. Nous avons décalé des consultations non urgentes et suivi quelques patients qui vont bien par téléphone au lieu de les faire venir. Pour le reste, rien n’a changé.»

Sentiment d’abandon

Même philosophie aux HUG, où toutes les interventions oncologiques ont été maintenues, y compris les greffes de moelle osseuse. «On a fait un effort énorme pour donner confiance aux patients, expliquer qu’on pouvait les prendre en charge en toute sécurité, ajoute Pierre-Yves Dietrich. Les équipes se sont beaucoup investies pour offrir une information sur mesure à chacun et faire de la téléconsultation.»

Malgré ces efforts, un léger sentiment d’abandon subsiste dans le cœur des malades du cancer, dont la pathologie est subitement passée au deuxième plan dans les médias. «Plusieurs amies ont vu leurs opérations de reconstruction reportées, rapporte Christine Bienvenu. C’est très dur psychologiquement, car elles attendaient cela depuis des mois, voire des années pour pouvoir en quelque sort mettre un point final à leur parcours de traitement et commencer une nouvelle vie. C’est un dommage collatéral, qui laissera des traces.»