Selon le magazine scientifique Nature, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a «discrètement mis en veilleuse» la deuxième phase de son enquête sur les origines de la pandémie de Covid-19, invoquant les difficultés rencontrées pour mener des études cruciales en Chine.

Une enquête «très attendue» des scientifiques, souligne la journaliste Smriti Mallapaty, car importante pour comprendre comment le coronavirus SARS-CoV-2 a infecté les humains au départ et prévenir les futures pandémies. «Sans accès à la Chine, l’OMS ne peut pas faire grand-chose pour faire avancer les études, a déclaré à Nature Angela Rasmussen, virologue à l’Université de Saskatchewan à Saskatoon, au Canada. Ils ont vraiment les mains liées.»

Sans accès à la Chine, l’OMS ne peut pas faire grand-chose pour faire avancer les études. Ils ont vraiment les mains liées.

Du 14 janvier au 10 février 2021, une mission conjointe de l’OMS composée de dix experts internationaux (Australie, Danemark, Allemagne, Japon, Pays-Bas, Russie, Soudan, Royaume-Uni, Vietnam et Etats-Unis) et de 17 experts chinois avait enquêté en Chine sur les origines du Covid-19. Elle avait rendu public en mars de la même année un rapport final de 400 pages après des mois de négociations avec le pouvoir chinois, qui n’avait pas permis de trancher en faveur de l’une ou l’autre des hypothèses sur l’apparition du virus, qu’il s’agisse d’un passage d’un animal sauvage à l’être humain, ou d’une voie moins directe, comme la consommation d’aliments contaminés ou la fuite du virus hors d’un laboratoire de recherche.

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«Il n’y a pas de phase deux»

Le temps pressant, les scientifiques qui avaient pris part à cette mission avaient écrit un commentaire le 25 août 2021, dans la même revue Nature, pour réclamer des recherches complémentaires urgentes, comme effectuer des analyses d’anticorps dans les régions précocement touchées par le virus ou sonder les communautés vivant autour des fermes d’élevage d’animaux sauvages.

La première phase de cette enquête de 2021 devait jeter les bases d’une deuxième, avec des études plus approfondies visant à déterminer avec précision ce qui s’est passé en Chine et ailleurs. Deux ans plus tard, l’OMS a donc abandonné ses plans. «Il n’y a pas de phase deux, déclare à Nature Maria Van Kerkhove, épidémiologiste à l’OMS à Genève. L’OMS avait prévu que le travail se ferait par phases mais ce plan a changé.» Elle ajoute: «La politique menée dans le monde entier a vraiment entravé les progrès dans la compréhension des origines de la maladie.»

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Dans son rapport de mars 2021, l’équipe de scientifiques avait conclu qu’il était «extrêmement improbable» que le virus se soit accidentellement échappé d’un laboratoire. «Mais l’inclusion du scénario de l’incident de laboratoire dans le rapport final a été un point de discorde essentiel pour les chercheurs et les responsables chinois», explique Dominic Dwyer, virologue au service de pathologie sanitaire de la Nouvelle-Galles du Sud à Sydney, qui était membre de l’équipe de l’OMS, et interrogé par la journaliste de Nature.

Le magazine scientifique rappelle également dans son article que «les autorités chinoises ont rejeté les plans de l’OMS, s’opposant en particulier à la proposition d’enquêter sur les manquements des laboratoires». Zhao Lijian, porte-parole du Ministère chinois des affaires étrangères, avait déclaré que la proposition de l’OMS n’avait pas été approuvée par tous les Etats membres et que la deuxième phase ne devait pas se concentrer sur les voies que le rapport de mission avait déjà jugées extrêmement improbables.

Une enquête «mal gérée»

Interviewé dans Nature, Gerald Keusch, directeur associé du Laboratoire national des maladies infectieuses émergentes de l’Université de Boston aux Etats-Unis, estime que l’enquête sur les origines a été «mal gérée par la communauté internationale. Elle a été mal gérée par la Chine. Elle a été mal gérée par l’OMS.» Selon lui, l’OMS aurait dû «s’acharner à créer une relation de travail positive avec les autorités chinoises; si elle se heurtait à des obstacles, elle aurait dû être honnête à ce propos.»

Selon Maria Van Kerkhove, le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a continué à dialoguer directement avec les responsables du gouvernement chinois pour encourager la Chine à être plus ouverte et à partager ses données. Elle affirme que le personnel de l’OMS a également contacté le Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies à Pékin pour tenter d’établir des collaborations. «Nous souhaitons vraiment, vraiment, pouvoir travailler avec nos collègues là-bas, insiste l’épidémiologiste. C’est vraiment une profonde frustration.»

Le patron de l’Organisation mondiale de la santé s’est personnellement engagé mercredi à tout faire pour obtenir «une réponse» sur les origines du Covid-19. «Il y a une dimension scientifique et morale à ce problème et nous devons continuer à pousser jusqu’à ce que nous ayons la réponse» sur les origines de la pandémie, a déclaré le directeur général de l’OMS, lors du point de presse hebdomadaire.

Le magazine Nature précise que le Ministère chinois des affaires étrangères n’a pas répondu aux demandes de commentaires par courriel envoyées par sa journaliste.

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