Covid-19
Partout dans le pays, les patients serrent les dents au lieu d’aller consulter leur généraliste. Par peur de le déranger, ou d’attraper le coronavirus. Un mauvais calcul qu’ils peuvent payer de leur vie, avertissent les médecins

Dans son cabinet de Romont, Pascal Deleplace tourne en rond. D’ordinaire, ce généraliste reçoit une trentaine de personnes par jour, mais depuis l’arrivée du coronavirus le chiffre est descendu à sept ou huit, voire moins. Pareil pour ses deux collègues, avec qui il partage le cabinet. «Les patients ne veulent plus venir car ils ont peur d’attraper le coronavirus, ou craignent de nous déranger», explique-t-il. Pourtant, dans le canton de Fribourg, les malades suspectés d’être infectés doivent se rendre dans des centres dédiés. Les autres préfèrent rester chez eux.
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Si le médecin est inquiet, c’est surtout pour ses patients atteints de maladies chroniques, dont le suivi est fondamental. «Trois d’entre eux sont décédés à leur domicile ces dernières semaines, compte-t-il. Ils souffraient d’insuffisance cardiaque et ne sont pas venus à leur rendez-vous, alors que je les voyais toutes les trois semaines environ. C’est grave.»
Voilà plusieurs semaines, déjà, que les professionnels de la santé ont lancé l’alerte, enjoignant aux malades de ne pas attendre que les symptômes s’aggravent pour se faire soigner. Dans tous les cantons romands, la fréquentation des cabinets médicaux a chuté de 50 à 70%. Conséquence: les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) ont enregistré 30% d’infarctus en moins, et le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) une baisse d’environ 30% des Accidents vasculaires cérébraux (AVC). Ce qui ne veut pas dire que ces pathologies ont miraculeusement disparu: elles sont apparues, mais les victimes n’ont pas jugé utile de consulter.
Aucun Covid-19 dans les cabinets
Philippe Eggimann, président de la Société vaudoise de médecine, a été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme. Depuis son intervention, le nombre de patients qui contactent leur médecin réaugmente, mais à peine. «Désormais, le mot d’ordre est clair dans toute la Suisse romande: les cabinets ne doivent pas prendre en charge les cas suspects ou positifs au Covid-19, précise-t-il. C’est absolument nécessaire afin que les patients soient rassurés et puissent venir consulter sereinement.» Pourtant, il arrive que certains tests Covid-19 soient encore pratiqués en cabinet privé… «Les généralistes ne sont pas encouragés à le faire, il faudrait que cela cesse», répond-il.
A Genève, le cabinet de Didier Châtelain, président de l’Association genevoise des médecins de famille internistes généralistes, est lui aussi désert. «Le Covid représente moins de 1% des gens malades en Suisse. Les 99% qui restent ont besoin de soins!» Il a bien tenté de joindre ses patients les plus fragiles pour se renseigner sur leur état de santé, et leur proposer de venir consulter lorsque c’est indispensable – en vain. «Des problèmes bénins, comme des otites ou des sinusites, peuvent dégénérer s’ils ne sont pas pris en charge, précise-t-il. Cela risque d’augmenter le nombre d’hospitalisations, que l’on aurait pu éviter en soignant ces patients plus tôt. Au final, les services hospitaliers pourraient être en surcharge, sans compter l’impact sur les coûts de la santé.»
Retour à la normale… ou presque
Les annonces du Conseil fédéral sur le déconfinement progressif ont cependant satisfait la profession, qui entrevoit un retour à la normale. «Nous poussons un grand «ouf» de soulagement pour la santé des citoyennes et des citoyens», se réjouit Michel Matter, ophtalmologue, président de l’Association des médecins du canton de Genève (AMGe), et conseiller national vert’libéral.
Pour éviter des catastrophes, lui-même avait contacté par téléphone, ces derniers jours, quelques dizaines de patients souffrant d’une dégénérescence maculaire et qui risquaient de perdre la vue. «Mais même en leur expliquant qu’il fallait qu’ils viennent consulter d’urgence, afin que je vérifie leur état de santé et adapte leur traitement, certains ont refusé de sortir de chez eux», dit-il.
En prévision du déconfinement, les sociétés médicales de tous les cantons romands ont fait une séance virtuelle hier, afin de s’organiser de manière uniforme. Dès la fin du mois d’avril, les cabinets accueilleront de nouveau leur patientèle avec des règles strictes: les consultations seront espacées afin que le minimum de personnes se croisent, les locaux seront désinfectés au maximum, et tout le personnel portera des équipements de protection. Pour Michel Matter, «il est temps que les gens prennent à nouveau soin de leur propre santé».