Santé
La Suisse possède peu d’outils d’évaluation des médecins ou des hôpitaux permettant au patient de faire un choix vraiment éclairé. Certaines initiatives voient le jour pour pallier ce manque. Sur internet, elles affrontent encore la résistance du corps médical

On parle souvent de la pénurie de médecins. De l’asymétrie entre le manque de généralistes d’un côté, et la multitude de spécialistes installés de l’autre. Mais comment, parmi les quelques 34’000 praticiens que compte la Suisse, trouver celui à qui confier sa santé? Comment savoir si le docteur sur lequel on a jeté son dévolu est compétent, à l’écoute et bienveillant, autant d’éléments essentiels à une bonne alliance thérapeutique?
La réponse ne va pas de soi. La traditionnelle méthode du bouche-à-oreille? Pourquoi pas, mais encore faut-il avoir des proches dont les avis divergent peu et qui connaissent des médecins dans la discipline recherchée. Aux États-Unis, ceux que l’on nomme les «Millennials» – à savoir la génération des 18-24 ans -, semblent avoir tranché la question. Selon une enquête menée en 2015 sur 3000 personnes, ils seraient en effet plus de 54% à faire des recherches sur internet pour trouver des prestataires de soins. Et tout porte à croire que l’on fait face ici à une tendance lourde: l’expertise reste un critère recherché, mais on sollicite de plus en plus l’avis des pairs afin de tirer parti de leurs expériences.
Partage d’expérience
L’avis des pairs, c’est sur cette base que s’est créée en octobre dernier la plateforme Adopte unE Gynéco. L’objectif de ce site porté par l’association Feminista!, est de dresser une liste collaborative de gynécologues recommandés par les patientes de Suisse romande pour leur pratique respectueuse.
«Cette initiative est non seulement issue d’une réelle demande dans ce sens, mais aussi du constat que nombre de nos connaissances avaient rencontré, lors d’une consultation gynécologique, des problèmes liés par exemple à des jugements de valeurs sur leurs corps, au refus de tenir compte de leur choix quant aux méthodes contraceptives, ou subi des propos dégradants sur leurs pratiques sexuelles», explique Aude Bertoli, membre du collectif à la base du projet.
Depuis son lancement, Adopte unE Gynéco a déjà reçu une cinquantaine de questionnaires, dont trois déconseillant des gynécologues. «Nous avons fait le choix de ne publier que les médecins recommandés car il s’agit de dresser une liste blanche, ajoute cette dernière. Par contre si une personne désire qu’un praticien ou praticienne soit retiré, nous nous en chargeons. Les réponses sont certes de nature subjective, car elles se basent sur des expériences et des besoins individuels, mais il est très important pour nous de prendre en considération les avis que nous recevons, positifs comme négatifs.»
Plus généralement, les plateformes dédiées à l’évaluation des médecins se sont multipliées ces dernières années, surtout outre-Atlantique. Depuis leur création, les sites tels que Zocdoc, RateMDs ou autre Healthgrades.com ont ainsi recueilli des milliers de témoignages de patients, débouchant, comme pour les hôtels ou les restaurants, sur un classement de une à cinq étoiles.
Peu enclins à la critique
Et la Suisse n’a pas été épargnée par ce phénomène. En s’inspirant du modèle américain, la société de comparaison de marché bonus.ch a ainsi crée en 2008 le site OKdoc.ch, premier du genre à l’échelle nationale, suivi quelques années plus tard par la plateforme Medicosearch.ch ou Doctor.ch.
Les réactions ne se sont pas faites attendre: si le succès a été immédiat du côté du grand public, les prestataires de soins, eux, ont nettement moins apprécié. Une plainte a même été déposée, dans la foulée, par l’Association Vaudoise des Médecins auprès du préposé fédéral à la protection des données. L’instance a finalement jugé problématique le fait que le site OKdoc.ch permette à n’importe qui de procéder à l’introduction d’affirmations invérifiables, de manière anonyme et sur n’importe quel médecin.
«Depuis que nous avons été contraints d’enlever toute connotation négative du site, la plateforme est en stand-by, observe Patrick Ducret, directeur d’OKdoc. Nous sommes ainsi passés de quelques centaines, voire milliers de commentaires compilés chaque mois, à une petite poignée. Il est tout de même étonnant de constater que lorsque l’on parle d’hôtels ou de restaurants, cette démarche comparative ne pose aucun problème, alors qu’il semble y avoir un rejet important de la critique du côté des médecins.»
Jugés trop subjectifs
En cause? Le risque de diffamation, mais surtout le caractère essentiellement subjectif de ces classements. «Il est fondamental que les patients puissent en savoir davantage sur les personnes à qui ils confient leur santé, qu’il y ait davantage de transparence dans ce secteur, explique Jean Gabriel Jeannot, médecin spécialiste en médecine interne à Neuchâtel et auteur du site Medicalinfo.ch. Mais juger l’accueil ou le sourire du médecin, cela ne suffit pas. Avoir un classement sur la base de critères fiables peut être une bonne chose, mais c’est très compliqué à réaliser concrètement.»
Pourtant, ce type d’évaluation n’est pas forcément vu d’un mauvais oeil par le corps médical: «Cela répond à une tendance très actuelle, et peut potentiellement amener des améliorations dans le système de soin si des règles claires sont établies afin d’en garantir l’objectivité, pondère Yvonne Gilli, membre du comité central de la Fédération Suisse des Médecins et responsable du département Digitalisation/eHealth. Cela demande toutefois qu’il y ait une responsabilisation des patients mais aussi des médecins qui se devront de démontrer une certaine ouverture à la critique.»
Amélioration de la transparence
En attendant, que faire pour permettre aux patients un choix plus éclairé? «Il serait sans doute adéquat que les prestataires de soins prennent la peine de se présenter sur internet, à l’image de ce qui se fait dans certains hôpitaux américains, propose Jean Gabriel Jeannot. Cela offrirait aux patients une première grille de lecture sur la base d’éléments analysables.»
Même si les classements de médecins sont très critiqués pour leur manque de fiabilité, il semblerait que, dans certains cas, ils puissent aussi aboutir à une amélioration de la transparence et à ce que les anglo-saxons nomment l’empowerment du patient. La preuve? L’Exceptional Patient Experience, qui s’est tenue entre 2008 et 2015, dans le cadre de l’Hôpital universitaire de l’Utah à Salt Lake City. Tout comme les sites classiques de ranking, l’Hôpital a compilé pendant plusieurs années l’avis des patients ayant bénéficié de soins sur la base d’indicateurs précis tels que l’effort fourni pour dispenser des informations claires, pour inclure le malade dans la prise de décision ou encore la collaboration au sein de l’équipe soignante.
Utilisés dans un premier temps uniquement à l’interne, les résultats ont été rendus publics dès 2012, avec des retombées très positives: «L’un des aspects fondamentaux de ce genre de démarche est que les données doivent être considérées comme légitimes tant par les patients que par les professionnels de la santé, commente Vivian S. Lee, responsable du projet, dans un article paru en janvier dans le New England Journal of Medicine. Il est donc fondamental de savoir qui les collecte et dans quel but. En ce qui nous concerne, cette démarche a notamment permis d’envisager des mesures afin de replacer le patient au centre du système de soin, mais aussi de renforcer la confiance en l’Institution.» Un exemple à suivre en Suisse?
Qu’en est-il des hôpitaux suisses?
En comparaison internationale, le pays est à la traîne quant à l’évaluation des soins hospitaliers, ce qui rend le choix d’un établissement plus difficile
Selon les nouvelles dispositions de la loi sur l’assurance maladie (LAMal) entrées en vigueur en 2012, le patient peut théoriquement choisir l’établissement dans lequel il souhaite se faire opérer. Mais sur quels critères? Car la Suisse manque encore d’indicateurs permettant de mesurer et évaluer la qualité des prestations médicales. C’est pourquoi, même si le système de santé suisse est considéré comme très performant selon l’OCDE, les mécanismes de contrôle de la qualité des soins y sont jugés médiocres, en comparaison internationale.
La Haute autorité de santé, en France, a par exemple lancé depuis fin 2013 le site Scope Santé qui a pour ambition d’aider à comparer et sélectionner un hôpital sur la base de 88 critères différents. En Suisse, le patient doit se contenter des données fournies par l’Office fédéral de la santé publique qui collecte le taux de mortalité et le nombre de cas par pathologies pour les établissements de soins aigus, ainsi que les indicateurs produits par l’Association nationale pour le développement de la qualité dans les hôpitaux et les cliniques (ANQ): à savoir le taux d’infections nosocomiales postopératoires, de chutes et escarres, ainsi qu’une note globale de satisfaction des patients. Raison pour laquelle le Conseil fédéral souhaitait créer un Réseau pour améliorer la qualité des soins, dans l’optique notamment de développer de nouveaux indicateurs, mais aussi de renforcer la sécurité des patients et la maîtrise des coûts.
«Il est fondamental qu’une entité indépendante soit à la charge de ces programmes de qualité, estime Jean-François Steiert, Conseiller d’Etat (FR), ancien conseiller national et membre de la commission de la sécurité sociale et de la santé publique. Car des réflexes de protection entre pairs peuvent rapidement survenir en cas, par exemple, d’erreurs médicales.» Balayé en juin dernier par le Conseil des Etats, le projet jugé trop bureaucratique et interventionniste a depuis été modifié et allégé. Il devrait être rediscuté en avril durant la prochaine session parlementaire, avec l’épineuse question de savoir qui financera ces mesures de développement de la qualité, dont les coûts sont estimés à 20 millions de francs par an.
La parole au patient
Au CHUV, nulle logique de «rating» des médecins au sein de l’établissement. Par contre, l’Hôpital universitaire a créé depuis cinq ans un espace d’écoute et de médiation pour les patients et les proches, au sein duquel ces derniers peuvent faire part de leurs doléances. Les données issues des témoignages font régulièrement l’objet de restitutions dans les services où elles suscitent intérêt et discussions: «Cela représente un matériau très riche visant à l’amélioration de la qualité des prestations du CHUV, se réjouit Béatrice Schaad, responsable de la structure. Les chefs de service sont souvent preneurs des commentaires des patients et certains n’ont pas hésité à procéder, sur cette base, à des ajustements dans l’organisation ou la communication au sein de leur département.» Ces données anonymisées sont également publiées chaque année dans un rapport d’activité public. «Je suis persuadée qu’en renforçant la transparence, on accroît la confiance du patient envers l’hôpital», ajoute la directrice du service de communication.