En 2003, le séquençage du premier génome humain était achevé. Aujourd’hui quiconque peut demander un décryptage de son génome sur Internet, une opération presque banale. Mais que faire des résultats? Le médecin de premier recours est en première ligne pour répondre à un patient inquiet qui peine à mettre en perspective un risque accru de maladie. Un généraliste, un interniste est-il assez formé à cela? Le plus souvent non, répondent les spécialistes. Il faut envisager un gros effort de formation de tous les médecins.

En Suisse, les analyses sur Internet sont déconseillées, non pas en raison de leur qualité, qui est excellente, ni de leur prix, très bas, mais parce que les gens peuvent se trouver très démunis devant les résultats. La discipline est extrêmement complexe, aux dires des généticiens eux-mêmes. «Des personnes viennent nous consulter avec des analyses génétiques effectuées via Internet ou dans d’autres centres, explique Ariane Giacobino, du Service de médecine génétique à l’Université de Genève. Ces rapports sont d’une extrême complexité pour un non-spécialiste, et même pour nous, qui effectuons aussi des analyses de séquençage. Que ce soit au niveau du vocabulaire, des chiffres, des séquences de références utilisées.» Raison pour laquelle la Société suisse de génétique médicale recommande qu’au-delà de l’analyse d’un certain nombre de gènes, ce soient les généticiens qui prescrivent les tests. «Cela afin d’éviter que des rapports trop complexes soient rendus à des médecins dont ce n’est pas le quotidien.»

Améliorer la communication

Pour améliorer la communication entre les différents médecins et spécialistes impliqués, Genève propose volontiers des consultations pluridisciplinaires, avec un généticien. A Lausanne, le CHUV met en place une consultation de médecine génomique destinée aux praticiens qui sont confrontés à des questions de leurs patients sur leur génome, dans l’idée de les épauler. Par la suite, elle sera ouverte aux participants de différentes études sur le génome et, in fine, à la population.

Quant à la formation en génétique elle-même, Ariane Giacobino, qui enseigne aussi à la Faculté de médecine, la juge insuffisante: «Nous sommes entre deux pôles, d’un côté, on veut former des médecins de premier recours, de l’autre, il y a une médecine très spécialisée. Mais il faut être attentif, car d’ici à cinq ans, la médecine génomique interviendra dans toutes les spécialités.» Il serait donc important de consacrer plus de temps à la formation des médecins, que ce soit à l’université ou en postgrade. Et que devraient avant tout savoir les médecins? «Ils devraient connaître nos techniques et leurs limites, savoir ce qu’ils peuvent nous demander comme analyses et à quel moment nous envoyer leurs patients en consultation.»

Vincent Mooser, chef du Service de biomédecine au CHUV, relève aussi l’importance de la formation des médecins de ville en génomique: «Pour le moment, les implications de cette spécialité sont assez limitées, mais d’ici à cinq à dix ans, le séquençage du génome fera partie du bilan de santé normal. Une fois que la technologie existe, les gens s’en servent. Il faut donc former les prestataires de soins et aussi la société.»

Les étudiants en médecine reçoivent une formation de base en génétique traditionnelle. Il sera crucial de les former à la complexité de la médecine génomique et à ses limitations, estime le professeur. Quant à la formation postgrade, elle est du ressort des sociétés de médecine. On observe tout de même que les spécialistes des domaines où la médecine génétique représente une véritable avancée, comme les oncologues, ont intégré ses avantages.

Champions des probabilités

Actuellement, les applications pratiques du décryptage du génome sont encore peu nombreuses. Les Instituts nationaux de la santé (NIH) aux Etats-Unis, n’ont recensé que 56 variations de gènes indiquant un risque de maladies contre lesquelles le praticien peut mener une action concrète. C’est peu, pour 22 500 gènes séquencés que comprend le génome humain. C’est pourquoi Jacques Cornuz, chef de la Policlinique médicale du CHUV, estime qu’il faut rappeler aux médecins de ne procéder à un test génétique que dans les cas où cela pourrait modifier le pronostic du patient: «L’analyse du génome est un nouvel instrument, ce n’est probablement pas une révolution. On devrait plutôt parler de médecine de précision permettant de mieux cibler certaines maladies ou dépistages. Les futurs médecins devront être des champions des probabilités! Leur formation pré et postgrade devra leur permettre de gérer un foisonnement de données et établir si elles sont significatives ou non. Quant aux médecins de famille, ils seront appelés, encore plus qu’aujourd’hui, à nuancer les résultats, rassurer, contextualiser.»