Santé
La Société européenne de cardiologie a émis de nouvelles recommandations concernant les niveaux de cholestérol maximaux admis pour les individus à risque. Cette décision pourrait avoir pour conséquence d’augmenter le nombre de personnes à traiter

Prescrit-on trop de médicaments contre le cholestérol? Présentées le 2 septembre lors du congrès annuel de la Société européenne de cardiologie et publiées dans le European Heart Journal, les nouvelles recommandations émises par cette organisation pourraient bien relancer le débat autour de cette épineuse question. Ces dernières préconisent en effet de diminuer autant que possible le niveau sanguin de LDL, une lipoprotéine connue sous le nom de mauvais cholestérol, chez les personnes à risque de développer une maladie cardio-vasculaire.
Concrètement, la vingtaine de spécialistes ayant participé à la rédaction du document – qui déclarent tous des liens d’intérêts avec l’industrie, mais assurent avoir réalisé leur rapport de manière indépendante – insistent sur l’importance, pour les individus à haut risque, d’une réduction relative d’au moins 50% de la quantité de LDL, mais aussi de parvenir à un taux maximal de 1,4 millimole par litre (mmol/l) de sang, contre 1,8 aujourd’hui. Par ailleurs, les personnes à faible risque mais dont le niveau de cholestérol dépasserait 4,9 mmol/l, devraient également entreprendre un traitement médicamenteux à côté de mesures liées par exemple à l’alimentation ou à l’exercice physique.
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Décisions débattues
Ces décisions ne sont pas sans conséquences pour les patients: en abaissant le seuil maximal acceptable de cholestérol LDL dans le sang, le nombre de personnes devant prendre des médicaments, comme les statines – qui agissent en bloquant l’enzyme produisant le cholestérol et dont le marché mondial est estimé à 40 milliards de francs suisses –, devrait logiquement augmenter.
Cette mesure conduit des personnes en bonne santé à être traitées sans preuve d’amélioration de leur santé
«Des études épidémiologiques et génétiques ont confirmé qu’un taux élevé de cholestérol LDL dès la naissance augmentait les risques d’événements cardio-vasculaires, et qu’a contrario plus il était bas plus on était protégé, justifie François Mach, chef du Service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève et principal auteur des nouvelles lignes directrices. Le LDL n’a par ailleurs aucune utilité pour les artères.»
L’argument ne convainc toutefois pas totalement: «Des études ont certes montré les bénéfices d’une baisse maximale du cholestérol, mais surtout chez les patients ayant déjà souffert d’un infarctus aigu, nuance Nicolas Rodondi, médecin-chef au Département de médecine interne générale à l’Inselspital de Berne. En ce qui concerne la décision, à mon sens problématique, de traiter toutes les personnes à bas risque avec un cholestérol à 4,9 mmol/l, elle ne repose sur aucunes données solides. Et pour cause: ces individus ne sont jamais inclus dans les essais cliniques. Cette mesure s’appuie donc uniquement sur des avis d’experts et conduit des personnes en bonne santé à être traitées sans preuve d’amélioration de leur santé.»
Nouvelles molécules
Reste la question de la prise en charge des personnes ayant déjà eu des antécédents cardio-vasculaires, ou considérées comme à haut risque. Dans le cas où ces dernières ne devaient pas parvenir à atteindre le seuil souhaité sur la base uniquement d’un traitement reposant sur les statines, les auteurs préconisent une stratégie reposant sur l’ajout d’un autre médicament, l’ézétimibe. «Si, malgré cela, les valeurs cibles ne sont toujours pas obtenues, il conviendra de discuter la prescription d’une nouvelle classe de médicaments, appelée anti-PCSK9, qui sont des anticorps monoclonaux agissant sur les enzymes empêchant le nettoyage du mauvais cholestérol», détaille François Mach.
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En Suisse, près de 3000 patients sont aujourd’hui traités par anti-PCSK9. «Ces médicaments sont très efficaces et permettent de diminuer fortement le risque de futurs événements cardiovasculaires, ajoute le professeur genevois. Néanmoins, du fait que ces molécules ne sont sur le marché que depuis cinq ou six ans, on manque encore de recul en ce qui concerne leur sûreté, raison pour laquelle elles ne devraient pas être adressées en prévention primaire (afin d’éviter la survenue de la maladie, ndlr) chez les personnes à faible risque.»
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Bénéfices à démontrer
Un problème majeur reste leur coût: environ 5500 francs par année, à raison d’une ou deux injections par mois. «Il est surprenant de constater que, depuis l’arrivée de ces médicaments, nombreux sont les spécialistes à s’intéresser de nouveau à la question du cholestérol, s’interroge Nicolas Rodondi. Le bénéfice de ces molécules n’a été démontré que chez les personnes atteintes de maladies cardio-vasculaires en combinaison avec les statines. Il y a certainement beaucoup d’intérêt de la part des sociétés pharmaceutiques à ce qu’elles soient largement prescrites, probablement surtout en raison de leur intérêt financier.»
Les cartes sont désormais entre les mains de la Société suisse de cardiologie, qui édictera de possibles nouvelles lignes directrices à destination des médecins suisses. Plusieurs de ses membres, contactés par Le Temps, n’ont malheureusement pas daigné répondre.