Michael Snyder, généticien: «La médecine deviendra une science guidée par les données»
interview
Une approche personnalisée de la santé permise par l'avènement de nouvelles technologies de mesure et d'analyse des données: c'est la spécialité de Michael Snyder. Ce généticien évoquera la révolution du «big data de la santé» le 8 novembre au Colloque Wright à Genève

Personnaliser la médecine. Voilà comment on pourrait résumer le cheval de bataille de Michael Snyder, directeur du Département de génétique de la faculté de médecine de l’université Stanford. ADN, ARN, protéines, système immunitaire… Ses travaux visent à mesurer, en continu ou presque, et à l’aide des nouveaux outils biotechnologiques, des millions de paramètres chez les individus. Et d’utiliser ensuite ces nombreuses données pour détecter des prédispositions à des maladies, ou proposer de meilleurs traitements. Et ça fonctionne: la preuve, il teste même cela sur lui-même, dans la lignée des grands expérimentateurs.
Invité à Genève aux Colloques Wright pour la science*, il a accordé un entretien au «Temps» afin d’évoquer cette révolution à venir de la médecine personnalisée, autrement dit du Big Data de la médecine.
Le Temps: Cela fait bientôt 15 ans que le génome humain a été décodé. Pourtant, on n’a pas vraiment l’impression que cela ait eu un quelconque impact sur la médecine et la santé. Quelle en est la raison?
Michael Snyder: C’est vrai, les espoirs qu’on avait formulé une fois le génome humain séquencé ne se sont pas réalisés, ou du moins pas aussi vite qu’on l’estimait. La médecine avance prudemment, peut-être un peu trop. Mais il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui l’analyse de notre génome à échelle individuelle va avoir un impact énorme sur la santé. Prenons l’exemple du cancer. Pour moi il serait impensable aujourd’hui de ne pas analyser son génome en étant atteint d’un cancer. On peut en tirer de nombreuses informations sur la maladie, à commencer par un diagnostic plus précoce et plus précis, et administrer des thérapies ciblées qui ont le plus de chances de fonctionner.
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– Et pour les personnes en bonne santé?
– Beaucoup de personnes vous répondront que la génomique ne leur sera d’aucune utilité, que les maladies sont trop complexes à prévoir, que les outils ne sont pas suffisamment précis ou que connaître les risques à l’avance est anxiogène. Je pense personnellement que la connaissance de notre génome est très utile, au même titre que le sont nos antécédents familiaux. Aujourd’hui, ces antécédents nous servent de guides pour prévoir des maladies ou adopter une hygiène de vie satisfaisante. Avec le génome c’est la même chose, mais avec une précision bien plus importante.
– Vous avez effectué de nombreuses mesures physiologiques sur vous-même alors que vous étiez en bonne santé. Qu’en avez-vous retiré?
– Outre le séquençage de mon ADN, j’ai mesuré près de 40 000 variables, protéines, sucres, métabolites, bactéries de la flore intestinale, etc., et ce durant plusieurs mois. Résultat, je me suis aperçu que mon génome contenait plusieurs gènes de prédisposition au diabète de type II, alors que je ne me connaissais aucun antécédent familial ni facteur de risque. Plusieurs mois plus tard, j’ai bien été diagnostiqué diabétique de type II.
– Qu’avez-vous alors fait?
– Grâce à cette information j’ai adapté mon style de vie, mon régime alimentaire, je me suis mis à courir… et deux ans plus tard, mes niveaux de sucres sont revenus à la normale. L’analyse génétique m’a donc fait gagner énormément de temps.
Mais le plus intéressant, c’est qu’on a par cette occasion peut-être identifié un lien de cause à effet entre une infection virale et un diabète. Car toutes ces mesures m’ont permis de constater que mon glucose s’est mis à grimper lors d’un gros rhume provoqué par un virus respiratoire syncitial. C’est peut-être ce dernier qui a déclenché l’activation des facteurs de risque génétiques. Voilà selon moi un exemple de ce que peut apporter la médecine personnalisée: découvrir de nouvelles maladies ou revoir nos connaissances sur d’autres qu’on pense bien connaître, telle que le diabète. Imaginez ce qu’on apprendrait si des millions de personnes participaient à ce test!
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– Vous êtes un adepte de l’auto-mesure, combien de prises de sang avez-vous fait d’après vous?
– (Rires) Je dirais 200 haut la main, mais c’est probablement plus.
– Portez-vous des «wearables», ces objets connectés orientés sur la santé?
– (Il retrousse ses manches) Bien sûr, j’ai par exemple ici deux montres connectées qui mesurent mon rythme cardiaque, la température de ma peau, les cycles de mon sommeil ou encore le nombre de pas que je fais chaque jour.
– Et ça vous est vraiment utile?
– Dans mon cas oui. Ces petits gadgets m’ont permis de diagnostiquer que j’étais atteint de la maladie de Lyme en 2015. Grossièrement résumé, j’avais constaté que mon taux sanguin d’oxygène diminuait alors que ma fréquence cardiaque demeurait stable. De fil en aiguille on a découvert que j’étais atteint de cette maladie, alors que je n’en avais encore ressenti aucun symptôme. Cela fait six ans et demi que je fais tout un tas de mesures, et ça m’a permis de diagnostiquer une forme de diabète et une maladie parasitaire. J’en suis très heureux, croyez-moi.
– Quelles conséquences ces mesures exhaustives vont-elles avoir sur la médecine?
– La médecine deviendra une science guidée par les données. Cela va tout changer. Prenons l’exemple des diagnostics. Aujourd’hui votre médecin vous compare avec d’autres personnes qui ont des symptômes similaires, ce qui est une importante source d’erreurs puisque chacun est différent. Ce n’est pas le cas avec la médecine de précision: en disposant de toutes vos données médicales au fil du temps, le médecin peut comparer votre état malade avec votre état normal. C’est une différence fondamentale. Il y a aussi d’importants changements bénéfiques en termes de traitement: la connaissance parfaite de votre organisme permettra de prescrire les médicaments les mieux adaptés, avec un moindre risque d’effets secondaires.
– Vous avez publié une étude cet été dans laquelle vous avez demandé à des algorithmes d’intelligence artificielle ainsi qu’à des médecins spécialistes de discerner la présence ou non de tumeurs sur des images de tissus pulmonaires. Les machines se sont montrées meilleures que les humains. Vont-elles remplacer les médecins?
– Les ordinateurs sont meilleurs que les humains pour reconnaître des tumeurs, c’est un fait. Aujourd’hui si vous montrez une image de tissu pulmonaire à deux spécialistes, en leur demandant s’ils distinguent des cellules tumorales, ils ne tomberont d’accord sur le diagnostic que dans 60% des cas. Nous ne sommes donc pas très efficaces. Mais ces travaux soulignent surtout que si nous voulons analyser et interpréter les grandes quantités de données générées par la médecine de précision, nous devons nous appuyer sur des machines. Ce qui ne signifie pas que les médecins généralistes vont disparaître, simplement que nous sommes à un tournant et que leur rôle va évoluer. Ils ne vont plus dicter la santé, mais la coordonner. A l’inverse, en adoptant des comportements adaptés aux résultats de ses mesures, le patient sera plus actif dans la gestion de sa santé.
– Comment voyez-vous la médecine évoluer?
– A long terme, beaucoup de personnes auront leur génome séquencé, sans doute avant même la naissance. Ceci combiné aux informations récoltées tout au long de la vie permettra de mieux prédire, diagnostiquer et traiter les maladies. Et peut-être de manière encore plus importante, de garder les personnes plus longtemps en bonne santé.
* La conférence de Michael Snyder aura lieu le mardi 8 novembre à 18.30 à Uni Dufour à Genève