Et si l’on préservait la biodiversité de notre microbiote – à savoir les milliards de bactéries, virus, parasites et champignons non pathogènes colonisant l’intestin grêle et le colon – au même titre que l’on tente de sauvegarder notre environnement? Telle est la question posée en ligne de fond d’une revue de la littérature consacrée à la vulnérabilité de la flore intestinale dans les sociétés industrialisées, et publiée dans le magazine scientifique Science le vendredi 25 octobre.

Grâce aux avancées de la recherche, on sait désormais que le microbiote intestinal joue un rôle crucial dans les fonctions digestives, immunitaires, neurologiques et métaboliques. De même, plusieurs études ont mis à jour des liens entre une altération de la flore intestinale et l’apparition de certaines pathologies, notamment inflammatoires ou auto-immunes, comme le diabète de type 2, la stéatohépatite non alcoolique – dite aussi maladie du foie gras –, ou encore la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse.

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Or la richesse de notre microbiote, qui compte en moyenne quelque 160 espèces de bactéries, est menacée dans nos sociétés. «Les mesures censées tuer ou limiter l’exposition aux microbes pathogènes, tels les antibiotiques, associées à d’autres facteurs comme le fait de manger des aliments transformés, ont eu des conséquences inattendues sur l’écosystème microbien humain, dont certaines s’avèrent difficiles à inverser», écrivent les deux auteurs Justin et Erica Sonnenburg, tous deux chercheurs au Département de microbiologie et d’immunologie au Centre d’étude sur le microbiome humain de l’Université Stanford, en Californie.

Manque de fibres

L’un des changements notables, au sein de notre alimentation, est l’apport insuffisant en fibres dites complexes que l’on trouve dans les légumineuses, les céréales complètes ou encore les fruits et les légumes. Elles représentent pourtant une source majeure de subsistance pour le microbiote.

«La rareté de ce type de glucides dans le régime alimentaire des sociétés industrialisées a été compensée par un ajout en protéines, en glucides simples et en lipides, retracent Justin et Erica Sonnenburg. Cela a pour effet de modifier la composition du microbiote. De même, il a été démontré que l’utilisation d’additifs tels que les émulsifiants et les édulcorants –omniprésents dans les aliments transformés – favorisait l’inflammation intestinale.» Une inflammation qui, lorsqu’elle s’installe de manière chronique dans le foie, les tissus adipeux et musculaires, peut conduire à une résistance à l’insuline, préalable à l’obésité et au diabète.

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le microbiote

«La perte de diversité du microbiote aurait non seulement pour effet de diminuer nos capacités métaboliques mais favoriserait également le développement de certaines bactéries comme Akkermansia muciniphila, analyse Jacques Schrenzel, chef du Laboratoire de bactériologie aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Ce type de bactérie se nourrit de notre mucus intestinal, ce qui entraîne sa dégradation, alors même que celui-ci joue un rôle important dans la protection des cellules et la réponse immunitaire.»

Quant à l’utilisation des antibiotiques par voie orale, les données accumulées suggèrent que ces médicaments auraient des effets à long terme sur la composition du microbiote intestinal. «Il a été démontré que seulement cinq jours de traitement à base de ciprofloxacine [un antibiotique à large spectre, ndlr] pouvaient décimer la communauté intestinale, qui ne s’est lentement rétablie qu’au cours des semaines et des mois suivants», soulignent Justin et Erica Sonnenburg.

L’usage des probiotiques après une antibiothérapie aurait tendance à retarder la colonisation du microbiote, comme si cela instaurait un nouvel état d’équilibre dans l’organisme

Jacques Schrenzel, Hôpitaux universitaires de Genève

Moyens d’action

Comment donc assurer la diversité de notre microbiote? «En adoptant une alimentation microbiotique, riche en fibres issues des végétaux», nous répond tout simplement Stanislav Dusko Ehrlich, professeur émérite de microbiologie à l’Institut national français de la recherche agronomique. Ce chercheur pionnier du microbiote intestinal a été à la tête du consortium européen MetaHIT ayant permis, grâce au séquençage génomique, de définir la composition de la flore intestinale avec une précision stupéfiante.

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Selon une recherche menée en 2013 par ce chercheur et son équipe, un régime enrichi en fibres pourrait restaurer une partie de la richesse perdue du microbiote en six semaines. «Ce type d’alimentation permet de garder le système écologique se trouvant dans notre ventre le plus diversifié et beau possible, décrit le scientifique. Sachant cela, pourquoi ne change-t-on pas la composition des repas dans les cantines scolaires ou celles des plats tout préparés? Pourquoi ne pas proposer aux agriculteurs de cultiver des variétés plus riches en fibres? Ces réflexions sont cruciales lorsque l’on considère le lien entre la baisse de la diversité du microbiote intestinal et l’apparition de certaines maladies chroniques ou cardiovasculaires, qui sont en constante augmentation dans les pays industrialisés.»

Quant à l’usage des probiotiques, ces bactéries ou levures modulant la prolifération bactérienne de l’intestin et censées conférer un bénéfice à leurs hôtes, mieux vaut encore rester prudent: «Les dernières études conduites sur des volontaires ayant reçu des probiotiques ont montré que nous n’y étions pas tous réceptifs de la même manière, décrit Jacques Schrenzel. Par ailleurs, leur usage après une antibiothérapie aurait tendance à retarder la colonisation du microbiote, comme si cela instaurait un nouvel état d’équilibre dans l’organisme dont on ne sait pas encore s’il est bénéfique ou pas.»

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