Le printemps est là, accompagné de son ballet aérien de pollens en tous genres. Pour l’ensemble des personnes allergiques, le retour de la chaleur et du soleil, synonyme de floraison de l’aulne, du frêne ou encore du bouleau suivis de près par les graminées, peut représenter un vrai cauchemar.

Les allergies respiratoires – qui touchent en Suisse au moins 12% des adultes et 6% des enfants – ne sont pas les seules à nous embêter: 6% de la population souffre d’une allergie aux acariens, ce petit arachnide de 0,3 millimètre, et entre 2 à 6% de la population serait par ailleurs concerné par une allergie alimentaire. Les aliments principalement incriminés étant le lait, l’arachide, les fruits à coque, les poissons et les crustacés.

Mais comment apparaissent les allergies et quels sont leurs mécanismes? Le nombre de personnes touchées est-il en hausse? Quelles sont les évolutions dans la prise en charge? Explications en cinq questions avec trois experts.

1) Que sait-on des facteurs déclencheurs des allergies?

Le fait qu’une personne développe une allergie repose sur deux facteurs. Le premier est son terrain génétique. «On parle alors d’atopie, pointe Sophie Vandenberghe-Dürr, médecin cheffe de clinique à l’unité d’allergologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Les patients atopiques présentent souvent de l’eczéma, des allergies respiratoires, de l’asthme et ont une anamnèse familiale positive, à savoir que l’on retrouve des allergies également chez les parents ou la fratrie.»

Le deuxième facteur est lié à l’environnement. «Si un individu, en présence de facteurs génétiques «défavorables», est exposé à un allergène potentiel comme les cacahuètes ou les poils de chats, il aura un risque de développer une allergie», explique le professeur Philippe Eigenmann, responsable de l’unité d’allergologie pédiatrique aux HUG.

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«Les allergies sont généralement déclenchées – lorsque l’on est génétiquement prédisposé –, par le fait de ne pas être confronté durant longtemps à un allergène puis d’y être, d’un coup, massivement exposé, ajoute le professeur Yannick Muller, responsable du pôle d’allergologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne. Les personnes en contact de manière régulière à un allergène ont ainsi moins de probabilité de déclencher une allergie.»

D’autres facteurs pourraient également favoriser les allergies. La pollution atmosphérique, le changement climatique (qui a des conséquences entre autres sur le début de la pollinisation, le prolongement de la saison pollinique, le type et la quantité de pollens), l’exposition aux moisissures, aux acariens, ou encore certains produits chimiques inhalés, sont autant d’éléments déclencheurs cités par une étude parue en 2018 dans le Journal of Allergy and Clinical Immunology. «Le fait de grandir dans une ferme, de vivre au sein d’une fratrie ou encore d’aller tôt en crèche pourrait, au contraire, être des éléments protecteurs, analyse Sophie Vandenberghe-Dürr. Mais ces données sont à prendre avec des pincettes compte tenu du caractère rétrospectif de la plupart d’entres elles, qui permet d’établir des corrélations mais pas des relations de cause à effet.»

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2) Le nombre de personnes touchées par des allergies est-il en augmentation?

C’est ce que soutient la littérature sur la question, même si les études épidémiologiques récentes peuvent parfois manquer à ce sujet, comme c’est le cas en Suisse. Ultime exemple en date, l’étude Sapaldia (pour «Swiss Study on Air Pollution and Lung Diseases in Adults»), publiée en 1998 dans la revue Schweizerische medizinische Wochenschrift, montrait que 11,2% de la population présentait des allergies aux pollens (avec un diagnostic confirmé par des tests allergologiques) au tournant des années 2000, contre 9,6% en 1985. Selon cette même étude, la fréquence des allergies aux pollens serait par ailleurs plus importante dans les zones à trafic intense que dans les régions agricoles ou de montagne. En cause, une pollution atmosphérique plus importante pouvant notamment avoir pour effet de provoquer une atteinte des muqueuses respiratoires favorisant l’apparition de maladies respiratoires et une sensibilisation chez les personnes atopiques.

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«Les études de population manquent clairement dans notre pays, alors que cela permettrait de confirmer l’impression que les allergies sont en augmentation, en particulier chez les enfants», regrette Yannick Muller. «En clinique nous faisons effectivement face à une augmentation des demandes de consultations en allergologie, observe de son côté Sophie Vandenberghe-Dürr. Cependant la littérature ne donne actuellement pas de réponse claire à la question d’une augmentation ou non de la prévalence globale des allergies.»

«Les données actuelles tendent à nous dire que les chiffres sont plutôt stables concernant les allergies respiratoires, analyse pour sa part Philippe Eigenmann. Du côté des allergies alimentaires, il y a clairement une augmentation, par exemple pour le nombre de personnes allergiques aux noix ou aux arachides.» Comment expliquer ce phénomène? «Les hypothèses restent vagues car les causes sont probablement multifactorielles, décrit le médecin. La génétique n’a que peu changé, donc il reste les causes environnementales qui peuvent inclure à la fois l’alimentation, notre mode de vie, ce que nous respirons ou encore l’état de notre microbiote.»

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3) Quels sont les mécanismes de l’allergie?

Il est crucial, dans un premier temps, de distinguer allergies et intolérances. «Il existe une importante confusion dans l’opinion publique à ce sujet», constate Sophie Vandenberghe-Dürr. Une allergie correspond à une réaction inappropriée du système immunitaire contre un antigène ou un allergène – généralement une protéine – qui vient de l’extérieur, alors que les intolérances sont sans lien avec une réponse excessive du système immunitaire.» L’intolérance au lactose par exemple, qui concernerait entre 7 à 20% des Caucasiens et près de 90% des Asiatiques et des Amérindiens, est ainsi liée à un déficit en lactase, une enzyme permettant l’absorption du lactose dans l’intestin grêle.

Quant aux allergies, les coupables sont à rechercher du côté des anticorps et/ou des lymphocytes T, qui sont des cellules spécialisées du système immunitaire. Les lymphocytes T sont ainsi responsables de l’eczéma et de l’asthme chronique. «Ces cellules infiltrent la peau et les bronches où elles sont activées par des allergènes eux-mêmes capables d’y pénétrer», explique l’Institut national français de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dans un dossier consacré aux allergies.

La majorité des allergies sont néanmoins causées par des anticorps appelés immunoglobulines de type E (IgE), dont la fonction normale est de lutter contre les parasites. Pour comprendre pourquoi les IgE peuvent générer des allergies, il faut savoir que ces anticorps ont tendance à s’associer à certaines cellules du système immunitaire (les polynucléaires basophiles et les mastocytes tissulaires), que l’on retrouve en nombre dans la peau, les poumons et le tube digestif. Ces mêmes cellules vont s’activer au moment où un allergène va se lier à des IgE, relarguant par la même occasion des médiateurs chimiques, dont l’histamine (mais aussi des tryptases, des prostaglandines et des leucotriènes), responsables des principaux symptômes de l’allergie, comme les rougeurs cutanées, les œdèmes, une accélération du rythme cardiaque, une constriction des bronches ou encore des démangeaisons au niveau nasal, oculaire ou cutané.

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4) Enfants ou adultes: comment les allergies évoluent-elles selon l’âge?

Chez la majorité des personnes atopiques, qui ont donc des prédispositions génétiques, les allergies se développent jeunes, c’est-à-dire au plus tard avec un rhume des foins dans l’adolescence, décrit Philippe Eigenmann. «Il arrive que l’allergie puisse aussi apparaître à l’âge adulte, mais le pourquoi reste un mystère. Il y a probablement des facteurs inhibiteurs qui empêchent l’allergie de se développer plus tôt.»

Les différentes sortes d’allergies se manifestent généralement dans des tranches d’âge bien établies: «Les allergies alimentaires se développent plutôt chez le petit enfant et celles aux pollens plutôt vers l’âge scolaire ou l’adolescence, indique le professeur genevois. Là aussi on ne sait pas pourquoi, mais il y a également des facteurs de tolérance qui entrent certainement en jeu.»

Quant à l’apparition d’allergies à l’âge adulte, il s’agit d’un phénomène moins fréquent. Hormis pour les allergies au venin de guêpe et d’abeille ou aux médicaments, qui ne dépendent toutefois pas des mêmes facteurs génétiques et environnementaux que les allergies alimentaires et respiratoires. La probabilité qu’une allergie apparue à l’âge adulte disparaisse de manière spontanée est par ailleurs très faible.

5) Y a-t-il des évolutions dans la prise en charge des allergies?

Enfants ou adultes, la prise en charge est identique et repose sur le traitement des symptômes par le biais d’antihistaminiques, ou de corticostéroïdes appliqués sur la peau ou inhalés. Dans le cas de maladies plus sévères, qui répondent mal aux traitements symptomatiques, il est aussi possible de réaliser ce que l’on appelle une désensibilisation. Cette thérapie, utilisée depuis plus d’un siècle, se base sur l’administration répétée d’extraits d’allergènes dans le but d’induire la tolérance du système immunitaire à l’encontre de ces derniers.

«L’avancée majeure concernant la désensibilisation consiste en la possibilité de prendre ce traitement désormais par voie orale et plus uniquement sous-cutanée, remarque Yannick Muller. Il y a encore quelques années, il était possible de procéder à des désensibilisations pour de nombreux allergènes mais depuis que la production a été standardisée, les options possibles sont beaucoup plus limitées.» Les désensibilisations concernent principalement les allergies aux pollens de la famille des graminées et des bétulacées (qui comprend les bouleaux, les aulnes, les charmes et les noisetiers), mais aussi les allergies aux acariens. «L’intérêt de procéder à une désensibilisation pour les animaux comme le chat, est discuté, ajoute le médecin lausannois. Nous ne le proposons par exemple pas au CHUV.»

Quelles sont les autres évolutions de la recherche en termes de prise en charge? Concernant les allergies respiratoires, de nouveaux traitements à base d’anticorps monoclonaux administrés par voies sous-cutanées ont fait leur apparition sur le marché, dont quatre sont actuellement approuvés en Suisse pour l’asthme sévère. «Ces traitements permettent de contrôler les symptômes, mais n’ont pas d’effet démontré au moyen/long terme sur la réponse immunitaire spécifique sous-jacente. Ainsi, en cas d’arrêt du traitement, les symptômes, généralement, récidivent, souligne Sophie Vandenberghe-Dürr.

La piste des vaccins est aussi explorée par la recherche. Publiée le 17 février de cette année dans la revue Allergy, une étude conduite par des chercheurs de l’Inserm a ainsi montré que chez l’animal, un vaccin pouvait produire des anticorps capables de neutraliser des protéines immunitaires clés dans le déclenchement de l’asthme allergique, les cytokines IL-4 et IL-13. Des discussions sont en cours pour organiser un essai clinique chez l’humain.

Concernant les allergies alimentaires, le traitement initial de base consiste à éviter les aliments auxquels les patients sont allergiques. Néanmoins, l’une des évolutions notables, chez les enfants, a été le changement dans les recommandations de diversification alimentaire. «On pensait jusqu’à récemment qu’il était plus prudent de retarder l’introduction des aliments allergéniques chez les enfants avec des risques d’allergies alimentaires, explique Sophie Vandenberghe-Dürr. La plupart des dernières études [dont l’étude LEAP, pour Learning Early About Peanut Allergy, ndlr] sont au contraire plutôt en faveur d’une introduction précoce pour la prévention des allergies.»

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Les sociétés savantes recommandent donc actuellement, pour la plupart des enfants, une diversification dès 4 mois. «Il est difficile d’évaluer les effets de ces changements de recommandations dans un environnement dans lequel de nombreux cofacteurs sont également en cours, pointe la médecin genevoise. Plusieurs études sont encore en cours pour essayer de déterminer le meilleur moment pour l’introduction des aliments dits allergéniques.»