Pourquoi la mortalité de l’épidémie est difficile à calculer… pour l’instant
Covid-19
Faute de connaître la proportion de personnes infectées asymptomatiques, les scientifiques doivent extrapoler leurs données, et les chiffres font le grand écart d’une méthode à l’autre. L’arrivée imminente de statistiques démographiques pourrait siffler la fin de la partie

La sévérité du Covid-19, illustrée par la mortalité de la maladie, reste indéfinie. Variable d’un pays à l’autre, elle fluctue également au gré des décès, des guérisons et des choix méthodologiques. Rien que le terme «mortalité» peut désigner plusieurs grandeurs différentes. Pourquoi est-il si difficile d’avancer un chiffre en apparence aisé à calculer? La notion de mortalité renvoie vaguement à des gens qui meurent, certes, mais par rapport à quoi? Stricto sensu, le «taux de mortalité» correspond au nombre de morts du Covid-19 divisé par la population générale que l’on considère (celle d’une ville ou d’un pays par exemple).
On peut également diviser le nombre de victimes par le nombre de cas cliniquement confirmés: c’est ce qui est actuellement utilisé dans les rapports nationaux et ceux de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et que l’on devrait logiquement nommer «taux de létalité», sauf que l’on emploie également le même terme de «mortalité». En anglais, cela s’appelle le «case fatality rate» (CFR).
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Alors, faut-il revoir le vocabulaire? «Ce n’est pas si important, juge Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève. Le terme «mortalité» est plus facilement compréhensible et reste précis, du moins tant que l’on précise à quoi il se rapporte: population générale, cas confirmés (symptomatiques) ou encore personnes infectées (symptomatiques et asymptomatiques).»
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Biais importants
Ces calculs permettent d’appréhender l’épidémie de manière différente. Le taux de létalité est sans doute le ratio le plus facile et le plus rapide à calculer en pleine épidémie. Il offre une image instantanée de la situation, accompagnée d’importantes limitations. Imaginons 100 personnes diagnostiquées positives au coronavirus et dont deux meurent le lendemain. Le CFR ou taux de létalité est alors de 2%. Mais au moment du calcul, rien ne garantit le sort ultérieur des 98 survivants: vont-ils guérir définitivement ou bien certains vont-ils finalement décéder, ce qui alourdira le bilan? En d’autres termes, le taux de létalité sous-estime souvent la sévérité réelle d’une maladie épidémique.
De tous les chiffres, c’est l’excès de mortalité que l’on retiendra
Une variante du calcul plus intéressante consiste à inclure non plus les seuls cas cliniquement confirmés, mais l’ensemble des cas considérés comme infectieux, les confirmés mais aussi les asymptomatiques, ceux non déclarés ou encore diagnostiqués sans tests à l’appui, par exemple via des enquêtes épidémiologiques. Il s’agit du «taux de mortalité par infection» ou «infection fatality rate» (IFR), mais l’usage emploie plus volontiers le terme de mortalité, ce qui prête à confusion. L’IFR donne une idée plus globale de la sévérité de la maladie, mais les cas suspectés sont aussi estimés avec une précision discutable, ce qui constitue une importante source de biais.
L’expérience du Diamond Princess
De nombreuses tentatives de calcul de l’IFR du Covid-19 ont été entreprises. Il en existe autant qu’il y a d’épidémiologistes. Une des premières études sérieuses sur le sujet a consisté à extrapoler les données de l’épidémie survenue à bord du paquebot Diamond Princess dont la quasi-totalité des personnes à bord avait été dépistées lors de sa mise en quarantaine au Japon. Cette situation en vase clos est idéale comparativement aux mesures sur le continent, où les tests se concentrent sur les cas se présentant à l’hôpital.
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Des épidémiologistes de la London School of Hygiene and Tropical Medicine ont estimé à 18% la proportion de personnes infectées et asymptomatiques, d’après des résultats publiés dans la revue Eurosurveillance. Ce qui se traduisait après ajustements par un IFR de 1,2% qui, extrapolé à la Chine et en écartant notamment les biais liés à l’âge avancé des croisiéristes, était de l’ordre de 0,5%. Mais des estimations d’autres équipes vont jusqu’à 3% pour des pays européens.
Comment placer définitivement le curseur? Deux possibilités: soit tester à très grande échelle la population, ce qui pourrait être le cas dans les semaines qui viennent dans le cadre des mesures de déconfinement. Soit s’en remettre à une autre mesure, celle de l’excès de mortalité enregistré depuis l’arrivée du virus. «C’est ce chiffre que l’on retiendra, assure Antoine Flahault, car c’est le seul à refléter exactement l’impact de l’épidémie sur la population en termes de mortalité.» Les premiers chiffres commencent d’ailleurs à tomber en Suisse: lors de la première semaine d’avril, le nombre de seniors décédés était de 43% supérieur à la mortalité des années précédentes, d’après l’Office fédéral de la statistique.
Le bilan chinois revu à la hausse
Le bilan du Covid-19 en Chine s'est brutalement alourdi vendredi, la mairie de Wuhan, où le virus est apparu, révisant ses chiffres à la hausse avec 1290 décès supplémentaires. Ces nouvelles statistiques font bondir de 50% le bilan de la ville, qui s'inscrit désormais à 3869 morts. Ce décompte porte à 4632 le bilan des décès enregistré dans le pays le plus peuplé du monde.
Dans un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux, la ville de 11 millions d'habitants explique qu'au plus fort de l'épidémie, certains patients sont décédés chez eux faute de pouvoir être pris en charge dans les hôpitaux. Ils n'avaient donc pas été comptabilisés jusqu'à présent dans les statistiques officielles qui ne prennent en compte que les personnes décédées à l'hôpital.
Le total des cas de contamination constaté à Wuhan est lui aussi révisé en hausse mais de seulement 325, à 50 333 cas pour la ville, située dans le centre du pays. Pour l'ensemble de la Chine, le nombre de contaminations dépasse les 80 000.