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Le Nobel pour notre horloge interne

Trois chercheurs américains ont reçu le Prix Nobel de physiologie et médecine 2017 pour leurs travaux sur les mécanismes de régulation du cycle circadien

Le Prix Nobel de physiologie et médecine récompense cette année Jeffrey C. Hall et Michael Rosbash, de l’Université Brandeis à Boston, et Michael W. Young de l’Université Rockefeller à New York. (Dessin provenant su site web de l'Académie Nobel).
Le Prix Nobel de physiologie et médecine récompense cette année Jeffrey C. Hall et Michael Rosbash, de l’Université Brandeis à Boston, et Michael W. Young de l’Université Rockefeller à New York. (Dessin provenant su site web de l'Académie Nobel).

C’est elle qui nous fait dormir la nuit et nous tient éveillés le jour. Elle régit aussi notre appétit, notre température, nos sécrétions hormonales, et de nombreux autres aspects de notre métabolisme. Elle, c’est l’horloge biologique, qui fait en sorte que notre corps s’adapte aux cycles du jour et de la nuit. Le Prix Nobel de physiologie et médecine va cette année à trois scientifiques américains qui ont été parmi les premiers à élucider les ressorts de cette formidable mécanique: Jeffrey C. Hall et Michael Rosbash, de l’Université Brandeis à Boston, et Michael W. Young de l’Université Rockefeller à New York.

«Le téléphone était sur ma table de nuit et il m’a réveillé en plein sommeil. Et ce monsieur Thomas Perlmann (de l’Académie Nobel, ndlr) m’a donné la nouvelle. J’étais choqué, vraiment à bout de souffle», a raconté Michael Rosbash, aujourd’hui âgé de 73 ans, dans une interview publiée sur le site des Prix Nobel. «Je ne peux qu’applaudir le choix du Comité Nobel, qui distingue la découverte de mécanismes fondamentaux de la biologie. Les lauréats ont été les premiers à décrire un gène impliqué dans le contrôle de l’horloge biologique», souligne Howard Riezman, du département de biochimie de l’Université de Genève.

Des découvertes pionnières

Des travaux précédents avaient mis les scientifiques sur la bonne piste. Au début des années 1970, Seymour Benzer et son étudiant Ronald Konopka, au California Institute of Technology, montraient que certaines mouches drosophiles mutantes ont un cycle de vie altéré, calqué non pas sur 24 heures comme leurs congénères mais sur d’autres laps de temps.

De quoi suggérer l’existence de gènes contrôlant leurs rythmes internes. «Ce sont donc eux les auteurs de la découverte initiale et ils auraient mérité d’être distingués, mais ils sont décédés et les Prix Nobel ne sont jamais attribués à titre posthume», explique Howard Riezman.

Régulation autonome

Les récipiendaires du Prix Nobel 2017 n’ont pas pour autant démérité. Poursuivant leurs investigations sur les drosophiles, Jeffrey Hall et Michael Rosbash, qui travaillaient ensemble, et Michael Young qui œuvrait de son côté, ont isolé en 1984 un premier «gène horloge». Ils ont ensuite montré que ce gène sert à la fabrication d’une protéine qui s’accumule dans la cellule pendant la nuit, avant d’être dégradée pendant le jour.

«Le système fonctionne selon une boucle de régulation négative. Quand le gène est activé, la protéine est produite. A partir d’une certaine quantité, cette protéine éteint le gène. Quand le niveau de protéine dans la cellule commence à baisser, le gène est de nouveau activé. Et ainsi de suite. Ce mécanisme permet aux cellules de se réguler de manière autonome», indique Ueli Schibler, spécialiste des rythmes biologiques à l’Université de Genève, aujourd’hui retraité.

Les personnes qui travaillent avec des horaires décalés sont plus à risques de développer des pathologies métaboliques, allant du diabète à des maladies cardiovasculaires

Howard Riezman, biochimiste à l’Université de Genève

«Un magasin d’horloges»

Depuis ces travaux pionniers, la recherche a montré l’existence d’horloges internes chez pratiquement tous les êtres vivants, allant des micro-organismes jusqu’aux mammifères. Chez ces derniers, et donc chez l’être humain, le rythme biologique – ou cycle circadien – est sous le contrôle d’une horloge principale, un groupe de cellules nerveuses situées dans l’hypothalamus. Mais la plupart des organes et tissus possèdent également leur propre cycle de régulation en fonction des rythmes jour-nuit.

«Le système circadien d’un mammifère ressemble donc davantage à un magasin d’horloges qu’à une unique horloge», illustre joliment Carlos Ibànez, du Comité Nobel. Ce système se base sur l’exposition à la lumière et la prise de nourriture pour maintenir un rythme global.

Impact sur le foie et les muscles

Si l’avancée récompensée par le Nobel est avant tout fondamentale, l’étude des cycles circadiens n’en a pas moins des implications pour notre santé. Nous pouvons tous faire l’expérience des effets d’une perturbation de l’horloge interne lorsque nous souffrons d’un décalage horaire. Mais les personnes qui travaillent avec des horaires décalés sont affectées de manière plus durable. «De nombreuses études ont montré qu’elles étaient plus à risques de développer des pathologies métaboliques, allant du diabète à des maladies cardiovasculaires», indique Howard Riezman.

Les chercheurs tentent aujourd’hui de documenter ces effets. Une étude publiée au printemps dans la revue Cell, à laquelle participait Ueli Schibler, a ainsi montré que le foie grossit de moitié au cours de la journée, et que ses fonctions peuvent être altérées en cas de perturbation de l’horloge circadienne. Un autre travail qui vient d’être publié dans PNAS a dévoilé l’existence d’une horloge circadienne dans nos muscles. «Or ces derniers jouent un rôle important dans le métabolisme des lipides et nous soupçonnons qu’un dérèglement de leur fonctionnement pourrait concourir au développement d’un diabète de type 2», précise Howard Riezman, qui en est l’un des auteurs.