Le noma, une maladie plus que négligée
santé
Cette gangrène fulgurante de la face détruit la vie de dizaines de milliers d’enfants chaque année en Afrique. Des experts se mobilisent pour la prise en charge des patients mais aussi une meilleure reconnaissance de la maladie

Un petit voile blanc sur la tête, Alamatha montre fièrement son t-shirt licorne à l’infirmière anesthésiste qui l’accompagne au bloc. La fillette de 5 ans a fait un long chemin depuis le Mali pour bénéficier d’une intervention de chirurgie reconstructrice, dans le cadre d’une campagne humanitaire organisée à Conakry (Guinée) par l’ONG Les enfants du noma (EDN).
Il y a deux ans, cette maladie lui a littéralement dévoré la pommette et la paupière inférieure, entraînant la perte de son œil gauche. Quatre-vingts à nonante pour cent des enfants touchés par cette gangrène fulgurante de la face en meurent. Ceux qui survivent subissent en plus de la défiguration des douleurs et des troubles fonctionnels importants.
«Les séquelles dépendent de la zone où démarre la gingivite nécrosante initiale, explique le Pr Hamady Traoré, directeur du Centre national d’odontostomatologie de Bamako qui suit Alamatha. Après la cicatrisation, les survivants présentent un trou dans le visage, un déficit masticatoire important lié au blocage des mâchoires, aussi appelé constriction, et parfois une incontinence salivaire.»
Pathologie liée à des conditions de vie précaires
Avant d’être opérée, Alamatha est restée hospitalisée cinq mois à Bamako pour bénéficier d’un programme de renutrition. La maladie frappe principalement les petits confrontés à une malnutrition et des conditions de vie précaires, situation souvent aggravée par un déficit immunitaire lié à une infection telle que le paludisme ou la rougeole.
La détérioration croissante des conditions de sécurité en Afrique de l’Ouest complique de plus en plus le travail des ONG. «Nous opérions avant à Bamako, puis au Burkina Faso mais c’est devenu trop dangereux. Nous voilà donc pour la première fois en Guinée», explique le Pr Hervé Bénateau, chirurgien maxillo-facial français, membre d’EDN qui a opéré Almatha. La petite Malienne a ainsi dû parcourir plus de 1000 kilomètres en minibus pour être prise en charge.
Ces dernières années, j’étais de plus en plus gênée pour respirer, pour parler et surtout pour manger; j’étais très angoissée pour mon avenir
Pour d’autres enfants avec des séquelles encore plus sévères, les plateaux techniques disponibles localement sont insuffisants. «La chirurgie du noma est la chirurgie reconstructive la plus complexe et même dans les meilleures conditions techniques, on n’est jamais totalement satisfait des résultats, confie la Pre Brigitte Pittet-Cuénod, cheffe du service de chirurgie plastique, reconstructive et esthétique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). J’ai malheureusement croisé des patients dont les opérations tenaient plus du rafistolage que de la reconstruction et dont la situation était finalement pire après qu’avant.»
Des enfants opérés à Genève
Brigitte Pittet-Cuénod connaît bien le noma, rencontré dès le début de sa carrière aux HUG, dans le service du Pr Denys Montandon. Depuis elle prend en charge des survivants en Afrique mais aussi à Genève où plusieurs patients sont transférés chaque année grâce à un partenariat entre les HUG, la Fondation Sentinelles et Terre des hommes Valais (TdhVS).
«Depuis trente ans, nous avons déployé, au Niger et au Burkina Faso, une action socio-médicale pour lutter contre le noma et venir en aide aux patients, explique Valérie Elsig, responsable des programmes de Sentinelles au Burkina Faso. Et quand cela est à la fois nécessaire et possible nous organisons aussi le transfert d’enfants pour qu’ils soient opérés à Genève. Pendant tout leur séjour ils sont hébergés à Massongex, en Valais, par TdhVS.»
Faute de chiffres solides, l’enjeu sanitaire est sous-estimé. Et le noma est si négligé qu’il est même absent de la liste des maladies tropicales négligées de l’OMS
Sous un radieux soleil de juillet, la Maison de TdhVS a des airs de colonie de vacances. Atteints de pathologies diverses, les pensionnaires, d’âges et de nationalités variés, se retrouvent pour le goûter. Laurence, Burkinabée de 31 ans, est de loin la plus âgée. «Laurence est venue la première fois en 1992. C’est son quatrième séjour, précise le directeur des lieux, Philippe Gex. Ce n’est pas rare que les patients avec un noma reviennent, c’est une prise en charge de longue haleine.»
Toujours pas reconnu par l’OMS
Impatiente de pouvoir retrouver son pays après un séjour de dix mois compliqué par le covid, la jeune diplômée en droit nous confie son histoire, son enfance «douce et tendre» au milieu d’une famille aimante, ses séjours en Valais et les opérations dont elle a bénéficié à Genève. «Ce n’est pas une quête esthétique mais ces dernières années une constriction de la mâchoire est revenue et j’étais de plus en plus gênée pour respirer, pour parler et surtout pour manger; j’étais très angoissée pour mon avenir», explique Laurence.
Chaque année, 100 000 à 150 000 enfants seraient, comme Laurence, touchés par le noma selon une estimation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Un chiffre qui serait bien en deçà de la réalité. «Faute de chiffres solides, l’enjeu sanitaire est sous-estimé. Et le noma est si négligé qu’il est même absent de la liste des maladies tropicales négligées de l’OMS», déplore Denise Baratti-Mayer, médecin dans le service de la Pre Pittet-Cuénod et chercheuse à l’Université de Genève (Unige).
Elle est membre d'un consortium international associant scientifiques et membres d’ONG récemment créé pour mener un programme de recherche multidisciplinaire sur le noma. Parmi les membres à l’origine du projet, Marie-Solène Adamou Moussa-Pham, collaboratrice scientifique au Global Health Institute (Unige) et ex-responsable des programmes de Sentinelles au Niger.
«Durant deux ans, nous allons collecter différents types de données pour mieux cerner le fardeau sanitaire et social du noma et appuyer notre plaidoyer pour mieux faire reconnaître cette maladie, détaille la spécialiste. Aujourd’hui le noma est classé par l’OMS comme une maladie bucco-dentaire et de plus affectée à la région Afrique. Or le noma c’est avant tout la maladie de la pauvreté et de la malnutrition. Il existait encore en Europe au XIXe siècle. Si on veut l’éradiquer, il faut vraiment pouvoir bénéficier des politiques de santé qui ciblent les maladies tropicales négligées.»
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Ce projet a été cofinancé par le Centre européen de journalisme (EJC) via son programme de bourse dédiée à la santé mondiale Global Health Journalism Grant Programme for France.