Ils obtiennent des passe-droits pour se faire vacciner
Covid-19
Il n’est pas rare, en Suisse romande, que des personnes se fassent vacciner par un médecin complaisant, sans avoir encore de rendez-vous officiel. Une manière fort peu élégante de doubler ceux qui attendent sagement leur tour

Au téléphone, la voix pétulante de Michèle* ne laisse pas soupçonner qu’elle affiche déjà 75 ans au compteur. A son âge, et avec la maladie chronique dont elle souffre, cette Lausannoise est évidemment prioritaire pour avoir accès à un vaccin contre le Covid-19. Mais voilà: en Suisse, les doses arrivent au compte-gouttes, et les créneaux se font rares. Après un premier rendez-vous fixé en janvier auquel elle n’a pas pu se rendre, elle a recontacté les autorités vaudoises et attendu son tour. En vain.
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«Pendant ce temps, une amie s’est fait vacciner en même temps que son mari, alors qu’elle-même n’était pas prioritaire… Tant mieux pour eux, mais cela me dérange que cela se fasse au détriment des gens plus vulnérables. Quant à moi, je me désespérais, raconte Michèle. J’ai fini par demander à ma fille, qui travaille au CHUV, de faire quelque chose. Quelques jours après, j’ai eu mes piqûres!»
Le cas de Michèle n’est pas isolé, selon les informations recueillies par Le Temps. Dans le canton de Vaud, certains médecins outrepassent le système officiel pour vacciner des personnes de leur connaissance, avant même que celles-ci aient été convoquées officiellement. Ces passe-droits ne sont pas un phénomène massif, mais ils remettent en cause la crédibilité du système de vaccination auprès des citoyens les plus fragiles, qui jouent le jeu et attendent calmement leur tour.
Complet
Et pourtant, il y aurait de quoi s’impatienter. Vendredi dernier, sur le site CoronaVax, qui régule l’accès à la vaccination pour tous les Vaudois, tous les centres de vaccination affichaient complet. Seuls quelques cabinets isolés proposaient des rendez-vous dans les semaines à venir, mais réservés à la patientèle, comme dans celui d’Athanasia Papathanasiou par exemple, près de la gare de Lausanne. Au téléphone, on nous confirme qu’il y a quelques doses disponibles, mais toujours attribuées selon les critères officiels – pour les personnes de plus de 75 ans, ou souffrant de pathologies à risque.
Combien de personnes, en Suisse, se sont fait vacciner sans passer par la filière officielle censée garantir le respect des cas prioritaires? Impossible à savoir, car l’Office fédéral de la santé publique lui-même ne fait pas de décompte, et renvoie aux autorités cantonales pour ce type de questions.
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Dans quelle mesure les médecins du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), par exemple, ont-ils le droit de vacciner des personnes en dehors de la filière officielle? L’établissement transfère la question au Département de la santé et de l’action sociale de l’Etat de Vaud, qui précise que pour les «médecins du CHUV engagés dans le centre cantonal de vaccination, il n’est pas possible de vacciner sans passer par les coordinateurs du centre. Ces derniers sont responsables de l’accueil et de l’enregistrement des personnes qui se présentent, et ils appliquent les règles avec rigueur et bienveillance. Il peut arriver qu’à de rares occasions, si un couple âgé de plus de 75 ans se présente dont un seul a un rendez-vous, que l’époux ou l’épouse soit également vacciné dans la mesure des doses à disposition.»
Doses orphelines
Au sein de la population, ces passe-droits sont d’autant plus polémiques que la pénurie de vaccins s’accentue en Suisse. A Genève, la Direction de la santé a annoncé vendredi 5 mars qu’en raison du retard de livraison des doses de Moderna, plus de 1000 personnes avaient vu leur rendez-vous décalé d’au moins deux semaines. Dans l’intervalle, il n’y aura pas d’exception. «Si une personne ne remplit pas les critères stricts pour être vaccinée en priorité, elle ne peut absolument pas l’être», insiste Simon Regard, cochef du secteur maladies transmissibles du service du médecin cantonal genevois.
Un assouplissement de ces règles est cependant accepté dans le cas de doses orphelines. A la clinique La Lignière, à Gland, il reste ainsi tous les soirs entre deux et 14 doses inutilisées pendant la journée, sur les 250 vaccinations quotidiennes en moyenne. Plutôt que de les jeter, les équipes appellent alors des personnes placées en liste d’attente, qui doivent venir dans la demi-heure. «L’idée est de ne pas gâcher ces doses et d’optimiser le système, précise Sophie Gertsch, responsable de la communication. Nous contactons en priorité des personnes à risques bien sûr, et avons toujours trouvé preneurs.»
Scandales
En Thurgovie, la vaccination précoce de Johann Rupert, actionnaire majoritaire du groupe Richemont, a fait scandale au mois de janvier dernier. Dans un contexte de pandémie, les passe-droits des plus riches sont très critiqués. En Espagne, la vaccination à Abu Dhabi des princesses Elena et Cristina, à peine quinquagénaires, fait polémique alors qu’1,4 million d’habitants ont bénéficié d’un vaccin dans le pays.
Au Pérou, près de 500 hauts fonctionnaires, anciens ministres et un ex-président se sont fait vacciner par le laboratoire chinois Sinopharm avant même le début de la campagne dans cet Etat sud-américain, ce qui a donné lieu à un véritable «vacunagate» (vaccingate). A quelques semaines des élections générales, deux ministres en exercice ont même démissionné.
*Nom connu de la rédaction