Alors que la propagation internationale du Covid-19 s’accélère, que l’Italie recherche son «patient zéro» et que la Suisse prend des mesures après la confirmation d'un cas au Tessin, l’épidémiologiste Julien Riou de l’Université de Berne répond à quelques questions sur l’évolution de l’épidémie.

1) En épidémiologie, qu’est-ce qu’un patient zéro?

Le terme «patient zéro» a été créé au début de l’épidémie de VIH. Les chercheurs qui voulaient comprendre l’origine du virus ont désigné une des premières personnes contaminées aux Etats-Unis sous le nom de «patient O», avec une lettre «O» signifiant «outside the state of California», hors de l’Etat de Californie. Le concept est resté, mais le zéro a remplacé la lettre O. «Dans le cas du Covid-19, le ou plus probablement les patients zéro ont été contaminés par des animaux dans le marché Huanan à Wuhan, en Chine, avant de transmettre le virus à d’autres personnes», rappelle Julien Riou.

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2) Qui est le patient zéro recherché en Italie?

Les autorités sanitaires italiennes ont baptisé «patient 1» l’habitant de Codogno qui a propagé le Covid-19 en Lombardie, en contaminant plusieurs personnes, dont sa compagne, des proches mais aussi du personnel soignant. Ce trentenaire n’ayant pas de lien direct avec la Chine, il a forcément été contaminé sur le sol italien par une autre personne, qui a elle-même importé le virus dans le pays. L’identité de ce patient zéro de l’Italie demeure inconnue.

«Tant que cet individu n’a pas été identifié, il peut continuer à propager la maladie. On tente donc de le retrouver pour identifier les personnes avec lesquelles il a été en contact et les lieux qu’il a fréquentés. Quand on est au début de l’épidémie, comme c’est le cas en Italie, on peut encore espérer contenir la propagation de la maladie en isolant les quelques personnes infectées», souligne Julien Riou.

3) Le Covid-19 se transmet-il facilement?

Dans une étude parue il y a quelques semaines, Julien Riou et ses collègues ont montré qu’une personne infectée par le Covid-19 contaminait en moyenne deux personnes supplémentaires, en tout cas en l’absence de mesures pour enrayer la propagation, comme la mise en quarantaine. Ce nombre moyen de personnes infectées par malade est connu en épidémiologie sous le terme de R0, pour «taux de reproduction de base». Il varie selon la population considérée et peut donc être différent d’un pays à l’autre. «Quand la valeur du R0 dépasse 1, cela signifie que le virus a le potentiel de devenir pandémique, ce qui semble être en train de se confirmer», relève l’épidémiologiste.

Julien Riou s’inquiète de l’évolution de la maladie dans des pays tels que l’Italie ou à plus forte raison l’Iran, qui concentre un grand nombre de cas: «Il semble qu’il y ait désormais des chaînes de transmission active dans d’autres pays que la Chine, ce qui va rendre la lutte contre la propagation de la maladie beaucoup plus difficile.» Certaines zones d’ombre demeurent sur le mode de transmission du Covid-19. On ne sait par exemple pas si des personnes sans symptômes peuvent transmettre le virus. D’après l’OMS, ce sont majoritairement les patients présentant des symptômes qui propagent la maladie, mais il est possible que les personnes infectées par le 2019-nCoV soient contagieuses avant de tomber malades.

4) Qui sont les super-propagateurs?

Certains malades ne transmettent pas seulement le virus à une ou deux personnes, mais à un nombre beaucoup plus élevé d’individus: on parle de «super-propagateurs». Un quinquagénaire britannique a été désigné comme tel dans son pays après avoir contaminé une dizaine de personnes, dont certaines dans les Alpes françaises. Ce terme est cependant controversé, car il n’est pas établi que ces personnes ont des caractéristiques qui les rendent particulièrement contagieuses; ce serait plutôt le contexte dans lequel elles évoluent qui les amènerait à propager largement la maladie. «L’hôpital est un terrain particulièrement propice à la super-propagation, car il abrite une forte concentration de personnes affaiblies. Par ailleurs, certains gestes médicaux, comme l’intubation, entraînent une forte exposition au virus, ce qui fait que les soignants se retrouvent en première ligne face au virus», explique Julien Riou.

5) Que sait-on de la mortalité du Covid-19?

En comparant le nombre de cas avérés de la maladie et le nombre d’individus qui en décèdent, on arrive à l’estimation d’un taux de mortalité de 2%. Ce qui est plus faible que celui du SRAS (9,5%) mais plus élevé que la grippe saisonnière (environ 0,2%). «Ce chiffre est à prendre avec des pincettes: on ignore encore quel est le véritable taux de mortalité du Covid-19, met en garde Julien Riou. D’abord, parce qu’il existe un décalage entre le moment où les patients sont identifiés et le moment où certains d’entre eux décèdent. Ensuite, il est probable que de nombreuses personnes souffrant d’une forme légère de la maladie ne consultent pas; elles ne sont donc pas comptabilisées. Ce phénomène nous amène très probablement à surestimer la mortalité.»