Des pharmacies au Tessin distribuent les antibiotiques au détail. Cette initiative, encore inédite dans le reste du pays, vise à combattre l’antibiorésistance – la résistance aux antibiotiques –, une des «plus graves menaces pesant sur la santé mondiale», selon l’OMS. Depuis le début de l’année, le pharmacien cantonal, Giovan Maria Zanini, a adopté une mesure déjà en vigueur avec succès dans plusieurs pays européens.

Quelque 80 pharmacies, sur environ 200 (la mesure est facultative), vendent désormais à leurs clients le nombre exact de cachets prescrits, plutôt qu’une boîte complète. L’intérêt de cette démarche est que le patient consommera uniquement les comprimés qui lui ont été prescrits, explique Giovan Maria Zanini. «Il ne prendra pas les médicaments en excédent plus tard pour traiter d’autres maladies en automédication et il ne les transmettra pas à un tiers.»

Meilleure observance du traitement

Même si le pharmacien donne au patient le nombre exact de cachets prescrits (avec la boîte et la notice d’emballage), celui-ci doit néanmoins payer le prix d’une boîte. Aux clients qui se rebiffent, Giovan Maria Zanini fait valoir qu’ils paient pour un traitement et non pour une boîte d’antibiotiques. Mais il assure que d’après le retour des pharmaciens participant à l’initiative, la majorité des patients accueillent favorablement la nouvelle mesure. Les antibiotiques en excédant seront à disposition si le traitement doit être prolongé, sinon ils seront éventuellement détruits.

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«Notre démarche permet tant aux patients qu’aux pharmacies de participer à la lutte contre l’antibiorésistance», estime le pharmacien. Il cite les résultats d’une étude conduite en France, publiés dans la revue scientifique PLOS One. «La fourniture de médicaments à l’unité a réduit de 10% le nombre de comprimés fournis. La distribution d’antibiotiques au détail a aussi eu un impact positif sur l’observance du traitement, et donc sur la santé individuelle et publique.»

Pour l’industrie pharmaceutique, il ne serait pas profitable de produire de plus petites boîtes, car les antibiotiques sont très bon marché, explique Giovan Maria Zanini; le contenant coûte plus cher que le contenu. Il souligne encore que l’objectif de la démarche, même si elle a des chances de réduire les coûts des thérapies médicales et le gaspillage des médicaments, est de lutter contre l’antibiorésistance.

Montrer l’exemple

Dans la même veine, à l’échelle du pays, une motion du conseiller national genevois Manuel Tornare (PS), demandant au gouvernement une étude de faisabilité sur la vente de certains médicaments à l’unité, a obtenu le feu vert du Conseil des Etats en septembre dernier. «Un appel d’offres a été lancé pour mener l’étude, des discussions sont en cours», indique Daniel Dauwalder, porte-parole de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP).

Afin de prévenir la résistance, les médicaments en excès ne doivent en aucun cas être entreposés à la maison et être administrés a posteriori

Ernst Niemack, directeur de l’Association des entreprises pharmaceutiques en Suisse

Interrogée sur l’intérêt de l’initiative tessinoise et la motion Tornare, l’Association des entreprises pharmaceutiques en Suisse (VIPS) «salue les mesures contre le développement de la résistance aux antibiotiques». Dans le domaine des médicaments, il est logique que la Suisse montre l’exemple, estime son directeur, Ernst Niemack. «Une expérience pilote au niveau national où les effets de la vente de médicaments au détail sur l’antibiorésistance seraient mesurés scientifiquement serait utile.»

Eviter le gaspillage

L’association faîtière considère que dans ce cadre, l’influence de la distribution à l’unité sur la sécurité, l’efficacité et le rapport coût-efficacité devrait également être examinée. Ernst Niemack rappelle par ailleurs l’importance de prendre des antibiotiques conformément à la prescription du médecin. «Afin de prévenir la résistance, les médicaments en excès ne doivent en aucun cas être entreposés à la maison et être administrés a posteriori.»

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Selon l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), en 2017, près de 4700 tonnes de comprimés non utilisés ont été ramenées dans les pharmacies suisses et incinérées. Il estime que près d’un tiers des médicaments achetés en Suisse ne sont pas consommés. Fournir au patient uniquement la quantité d’antibiotiques dont il a besoin permettrait de réduire le volume de déchets se retrouvant dans l’environnement, reconnaît Eliane Schmid, responsable des communications de l’OFEV. «Du point de vue de la protection de l’environnement, une telle mesure serait bienvenue.»