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Difficultés respiratoires, fatigue excessive, troubles cognitifs… Comment expliquer que certaines personnes endurent ces symptômes plusieurs mois après avoir été infectées par le SARS-CoV-2, et d’autres pas?

Plusieurs équipes tentent de percer les mystères qui entourent encore le covid long, syndrome dont on estime qu’il pourrait concerner jusqu’à une personne sur cinq. Comme l’a récemment pointé un article du magazine Science, trois hypothèses semblent déjà se dessiner, qui nécessitent toutefois d’être confirmées.

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Tour d’horizon des pistes explorées, avec l’avis de Mayssam Nehme, cheffe de clinique au Service de médecine de premier recours et responsable de la consultation post-covid des Hôpitaux universitaires de Genève.

1) L’hypothèse des micro-caillots sanguins

Et si la présence de micro-caillots dans la circulation sanguine était responsable de la persistance de symptômes chez certains patients? L’hypothèse a été émise par plusieurs équipes de scientifiques, à commencer par celle de Danilo Buonsenso, pédiatre spécialisé en maladies infectieuses à la Policlinique universitaire Agostino Gemelli, à Rome.

Dans une étude parue dans The Lancet Child & Adolescent Health en juillet 2021, ce dernier décrit le cas d’une jeune fille de 14 ans souffrant de symptômes toujours présents sept mois après l’infection initiale au SARS-CoV-2. Les tests sanguins de routine sont normaux et aucune anomalie particulière n’est détectée par scanner. Le médecin pousse néanmoins plus loin les investigations en utilisant une technique appelée SPECT-CT qui combine deux types d’images différentes: la tomographie par émission monophotonique (qui fournit, grâce à l’injection d’un traceur, des images de la circulation sanguine) et une tomographie standard (afin d’obtenir des informations sur la structure des organes observés). En fusionnant les images obtenues, il est possible de voir, par exemple, quelle partie des poumons ne reçoit pas un flux sanguin normal.

Les résultats sont éloquents: on observe en effet un dysfonctionnement de la circulation pulmonaire chez l’adolescente. Depuis, Danilo Buonsenso a scanné les poumons de 11 jeunes souffrant d’une forme sévère de covid long. Chez cinq d’entre eux, là où l’on aurait dû voir du jaune ou de l’orange vif, couleurs indiquant une bonne pulsation du sang, des parties des poumons étaient bleues, preuve d’un faible débit sanguin. Pour le pédiatre, la cause pourrait être de possibles lésions de la paroi des vaisseaux sanguins ou de minuscules caillots sanguins.

La théorie des micro-caillots est également évoquée en août 2021 par l’équipe de Resia Pretorius, chercheuse au département des sciences physiologiques de l’Université de Stellenbosch (Afrique du Sud). Dans une recherche parue dans Cardiovascular Diabetology, cette dernière a démontré que des caillots pouvaient persister dans le sang des patients atteints de covid long. Des signes de coagulation excessive ont ainsi été trouvés chez 11 personnes atteintes de ce syndrome, mais pas dans le groupe contrôle d’individus en bonne santé (N = 13) ni chez ceux atteints de diabète de type 2 (N = 10). Les scientifiques ont par ailleurs identifié des niveaux élevés de diverses molécules inflammatoires piégées dans ces mêmes micro-caillots, dont certaines empêchent leur dégradation.

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«C’est une hypothèse qui revient régulièrement et qui est souvent mise en avant par nos patients atteints de covid long, analyse Mayssam Nehme. On manque toutefois encore de preuves en mesure d’associer la présence de micro-caillots aux symptômes persistants.»

2) L’hypothèse de la persistance du virus dans l’organisme

On sait, grâce à des études conduites sur des tissus des personnes infectées, que le SARS-CoV-2 peut subsister durant plusieurs mois dans l’organisme. Ces traces persistantes du virus pourraient-elles être à l’origine du covid long? Plusieurs recherches se penchent sur cette question, en comparant des cohortes de personnes atteintes de ce syndrome et d’autres s’étant remises sans entraves.

Publiée en mai 2022 dans la revue Gastroenterology, une observation clinique conduite par l’équipe d’Herbert Tilg, gastroentérologue à l’Université médicale d’Innsbruck, a recherché, sept mois après l’infection intiale, des traces moléculaires de SARS-CoV-2 dans l’intestin – un organe qui a l’avantage d’être plus facile d’accès que les poumons ou le cerveau – chez 46 patients, dont 21 atteints de covid long. Tous les participants souffraient de maladies inflammatoires de l’intestin – en rémission pour la plupart – et devaient subir une endoscopie de routine.

Conclusions: l’ensemble des personnes touchées par une persistance des symptômes du Covid-19 étaient porteuses d’ARN viral. Néanmoins, parmi celles s’étant totalement remises du Covid-19, 11 individus présentaient également des traces de virus, et 14 pas du tout. De même, les scientifiques ne sont pas parvenus à cultiver du virus en laboratoire à partir du tissu intestinal prélevé; il n’est donc pas certain que le virus retrouvé soit capable de se répliquer. Des études plus larges sont donc aujourd’hui nécessaires pour établir un lien possible entre la présence de fragments viraux et le covid long.

«Lorsqu’on s’adresse aux infectiologues, ils ne se montrent pas spécialement convaincus par cette hypothèse, qui est la moins avancée à l’heure actuelle, pointe Mayssam Nehme. Cette dernière a surtout été mise en avant par quelques rapports de cas mais dont les échantillons sont limités. On sait que le virus peut persister dans les selles plus longtemps que la durée de l’infection, ce qui constitue une raison intéressante de continuer à se pencher sur cette théorie, mais cela demande d’aller plus en avant dans l’étude de ce phénomène.»

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3) L’hypothèse du dérèglement du système immunitaire

Le syndrome du covid long pourrait-il être expliqué par un système immunitaire incapable de se mettre au repos après avoir été déstabilisé par une infection au SARS-CoV-2? Depuis quelques mois, l’idée fait son chemin chez les scientifiques.

Dans une étude parue en février dans Nature Immunology, des chercheurs de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie) ont analysé le sang d’une cohorte de 147 participants huit mois après une infection initiale, dont 31 étaient concernés par un covid long. Résultats: Avant quatre mois, peu de différences ont été trouvées dans les niveaux de certaines molécules immunitaires entre les personnes souffrant de symptômes persistants et celles s’étant totalement remises. En revanche, à partir de quatre mois, ces biomarqueurs immunitaires ont commencé à diminuer chez les sujets non touchés par ce syndrome, alors qu’ils sont restés élevés chez les patients atteints de covid long.

En particulier, deux types de molécules produites par les cellules immunitaires, les interférons de type 1 et de type 3 (des types de protéines que les cellules fabriquent lors d’une infection virale), sont restés à des niveaux élevés dans la cohorte atteinte de covid long même après huit mois, alors que les interférons disparaissent généralement après la fin d’une infection. En résumé: le système immunitaire était comme en état d’alerte permanent.

Une recherche parue fin décembre 2021 dans le Journal of Translational Medicine par une équipe du Centre médical Cedars-Sinai (Los Angeles), a également mis en avant une activité persistante des auto-anticorps, qui sont généralement liés à une inflammation chronique, jusqu’à six mois après l’infection, y compris chez des personnes ayant connu une forme légère ou asymptomatique du Covid-19. Les auto-anticorps jouent un rôle dans de nombreuses maladies auto-immunes, comme le lupus ou la polyarthrite rhumatoïde, mais sont aussi impliqués dans les cas graves de Covid-19. L’hypothèse d’une activité persistante des auto-anticorps à la suite d’une infection virale aiguë avait déjà été émise dans le cas du syndrome de fatigue chronique, mais certains chercheurs suggèrent désormais que ces dérèglements immunitaires – qui semblent davantage toucher les femmes – pourraient aussi expliquer les symptômes du covid long.

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«Toutes ces hypothèses sont plausibles et ne sont pas mutuellement exclusives, analyse Mayssam Nehme. Pour ma part, j’aurai tendance à privilégier la piste du dérèglement immunitaire qui peut tout autant expliquer l’apparition de micro-caillots que la persistance de traces virales dans l’organisme. Quant à la raison de la persistance de ces auto-anticorps chez certaines personnes, on ne le sait pas encore. Sont-ils apparus après une infection au SARS-CoV-2 ou étaient-ils déjà présents et ont-ils prédisposé les personnes à garder des symptômes? De nombreux points nécessitent d’être clarifiés.»


Covid long: qu’en est-il des traitements?

Prise d’anticoagulants, de médicaments antiviraux ou encore filtration du sang… De nombreuses pistes thérapeutiques sont sous l’œil des scientifiques. Aucune, toutefois, n’a pour l’heure été validée selon un essai clinique en bonne et due forme.

En Italie, cinq jeunes patients de Danilo Buonsenso prennent désormais des anticoagulants sous surveillance étroite, ces médicaments comportant des risques d’hémorragie grave. Certains ont montré des progrès, d’autres souffrent toujours de symptômes. Le médecin italien entend désormais mettre en place un essai clinique afin de pouvoir comparer, avec un groupe placebo, l’effet réel de ces traitements sur le covid long.

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Par ailleurs, l’aphérèse, un acte médical consistant à filtrer le sang puis à le réinjecter dans l’organisme, semble également être toujours plus pratiquée chez des personnes souffrant de covid long. Selon une enquête conduite par le British Medical Journal publiée le 12 juillet, des milliers de patients se sont déjà rendus dans des cliniques privées à Chypre, en Allemagne ou même en Suisse afin de subir un cycle d’aphérèse, voire plusieurs, encouragés par les témoignages sur les réseaux sociaux et partant du principe que des micro-caillots sanguins seraient responsables de leurs symptômes.

«Certains de nos patients à la consultation covid long sont partis en Allemagne pour faire des aphérèses, déplore Mayssam Nehme. Il faut savoir qu’il s’agit d’un acte médical lourd et invasif, qui n’est pas sans danger. Il y a de vrais risques de perturbation de la coagulation sanguine, de saignements graves et d’infections. Il est possible que ce traitement puisse représenter une solution pour les patients souffrant de formes graves de covid long, mais nous ne pouvons le recommander tant que des études cliniques n’auront pas démontré sa balance bénéfice-risque.»

Le Royaume-Uni s’apprête de son côté à lancer un essai clinique appelé STIMULATE-ICP afin d’évaluer l’efficacité de trois traitements potentiels de manière randomisée sur 4500 patients atteints de covid long. Chaque participant se verra ainsi attribué de manière aléatoire un médicament anticoagulant, un anti-inflammatoire ou un duo d’antihistaminiques connus pour réprimer l’inflammation d’un certain type de cellules immunitaires, les mastocytes.

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Enfin, un essai clinique devrait également être lancé d’ici peu à Genève, sous la supervision du professeur Idris Guessous, dans l’objectif d’évaluer l’efficacité d’un anticorps monoclonal – un traitement jusqu’ici principalement utilisé pour prévenir les covids sévères chez les personnes à risque – non encore disponible sur le marché. «Nous travaillons sur l’hypothèse que les patients atteints de covid long ont un système immunitaire dérégulé et souhaitons voir si un traitement avec un anticorps monoclonal peut débarrasser le corps de certaines molécules qui expliqueraient ce syndrome», détaille Mayssam Nehme. Le recrutement, qui devrait débuter en août, visera des personnes dont les symptômes sont toujours présents plusieurs mois après une infection initiale et dont le quotidien est impacté, en raison de troubles cognitifs ou d’une fatigue persistante.