Publicité

Le port du masque permet-il de s’immuniser contre le Covid-19?

Des chercheurs avancent l’hypothèse que se couvrir le visage permet le développement de formes bénignes ou asymptomatiques de la maladie

Image d'illustration: une école à Skopje. — © GEORGI LICOVSKI/EPA
Image d'illustration: une école à Skopje. — © GEORGI LICOVSKI/EPA

Et si le masque, en plus de ralentir la circulation du virus SARS-CoV-2, permettait de réduire les cas de formes sévères du Covid-19? C’est l’hypothèse avancée par plusieurs chercheurs depuis quelques mois. Figure de proue de cette théorie, l’épidémiologiste Monica Gandhi avance notamment, dans The New England Journal of Medicine, du 8 septembre, aux côtés de son collègue de l’Université de Californie à San Francisco, George W. Rutherford, que le port généralisé du masque pourrait agir comme une forme de «variolisation» et immuniser une partie de la population dans l’attente d’un vaccin.

Alors que de nombreux pays ont fait le choix d’imposer le masque, en plus de messages de prévention favorisant la distanciation physique et l’hygiène des mains, cette hypothèse pose d’ores et déjà de nombreuses questions. La plupart des spécialistes interrogés sur le sujet peinent à se prononcer pour l’heure sur ce postulat.

Lire aussi: Les masques sont-ils vraiment dangereux pour la santé?

Le terme de «variolisation» avancé par les auteurs remonte au début du XVIIIe siècle, lorsque cette technique rapportée d’Orient s’est développée en Europe comme moyen radical de s’immuniser contre la variole, aussi appelée «petite vérole», une maladie extrêmement contagieuse qui se transmettait par voie respiratoire (postillons, aérosols). La méthode consistait à appliquer dans des scarifications de personnes saines du pus de malades dans l’espoir qu’elles développent ainsi des formes atténuées de la maladie, les immunisant pour le futur.

«Cela marchait assez bien, explique le professeur d’histoire de la santé Patrick Zylberman. Sauf qu’il y avait un risque lié à la contagion des personnes ainsi volontairement infectées.» Et que l’on comptait entre sept et huit décès pour 1000 inoculés. «Si on a arrêté la variolisation, c’est que l’on voit que tout le monde réagit différemment aux agents infectieux et que cela tue plus de gens que cela n’en sauve», souligne Frédéric Altare, directeur de recherche à l’Inserm.

Lire aussi: Avis de tempête immunitaire dans les cas graves de Covid-19

La variolisation a donc été abandonnée au profit des premiers vaccins, à la fin du XVIIIe siècle, moins risqués puisque mettant l’organisme en contact avec un virus atténué ou une partie seulement du virus. «Nous utilisons le terme «variolisation» comme métaphore, car nous ne suggérons pas que des gens soient délibérément infectés par le SARS-CoV-2», comme ce fut le cas avec la variole, tempère Monica Gandhi. «Notre suggestion est que, si les masques réduisent l’inoculum viral ou la dose [la quantité de virus à laquelle le porteur est exposé], alors les masques augmenteront la proportion d’infection asymptomatique.»

«Pas de généralité dans la réaction»

Ce postulat selon lequel une exposition moins forte au virus conduirait à des formes plus bénignes de la maladie n’a jamais pu être prouvé sur des humains, puisque cela conduirait à des protocoles d’expérience impossibles à réaliser, dans le cadre desquels celui-ci serait volontairement inoculé à des cobayes. Pour autant, plusieurs études menées sur des hamsters dorés vont dans ce sens. Des travaux publiés dans Les Comptes rendus de l’Académie des sciences américaine (PNAS) ont montré que plus ces animaux étaient soumis à des doses importantes de SARS-CoV-2, plus ils développaient des formes graves de Covid-19.

L’idée qu’une petite infection donne une réponse immunitaire suffisante pour ne pas être réinfecté n’est pas encore prouvée.

Morgane Bomsel, directrice de recherche au CNRS

Mais les chercheurs manquent de recul sur le très récent Covid-19 pour tirer des conclusions définitives. «La quantité de virus qui crée la maladie dépend des gens. […] A forte dose d’agent infectieux, tout le monde est malade. Mais, pour les doses intermédiaires et faibles, on ne peut pas déterminer de généralité dans la réaction», insiste Frédéric Altare.

Lire aussi: Cinq mois de recherche sur le coronavirus: beaucoup de nouveautés, et encore plus d’inconnues

En témoigne «l’orage cytokinique» souvent observé dans les formes graves du Covid-19, lorsque le système immunitaire s’emballe dans les cellules pulmonaires infectées par le virus, noyant les alvéoles pulmonaires. «Ce n’est pas la dose qui importe, mais la capacité de chacun à avoir une réaction immunitaire», explique Frédéric Altare. Pour certaines personnes, même une faible dose de virus pourrait ainsi mener à des complications liées au Covid-19, comme par exemple les formes longues que les médecins commencent à documenter.

Contrôle intermédiaire

Autre point problématique: qu’en est-il de l’immunité acquise après une forme asymptomatique ou bénigne du Covid-19? Plusieurs études en préprint – c’est-à-dire diffusées sans relecture préalable par les pairs permettant d’analyser leur solidité scientifique – tendent à montrer que même les asymptomatiques développent une forte immunité des lymphocytes T et des lymphocytes B mémoire. Pour autant, les chercheurs manquent encore de recul sur la maladie pour évaluer l’évolution de cette immunité sur le long terme. «L’idée qu’une petite infection donne une réponse immunitaire suffisante pour ne pas être réinfecté n’est pas encore prouvée, insiste Morgane Bomsel, directrice de recherche au CNRS travaillant sur le VIH et le Covid-19. On a plutôt l’impression pour le moment que l’immunité acquise après avoir contracté le Covid-19 n’est pas sur le long terme.»

Lire aussi: Peut-on produire un vaccin contre le covid qui soit sûr et efficace?

La «variolisation» pourrait alors être conçue comme une hypothèse intermédiaire, dans l’attente d’un vaccin efficace, comme le plaide Monica Gandhi: «La durée de cette immunité est inconnue, c’est pourquoi nous avons besoin d’un vaccin pour vraiment éliminer le Covid-19, mais avoir plus d’infections asymptomatiques à court terme et une immunité à court terme nous aiderait à obtenir un contrôle intermédiaire.»

Rôle protecteur du masque

Pour ce qui est de l’utilité du masque, aucune étude expérimentale n’a encore été faite sur des humains, mais une étude publiée en mai dans la revue Clinical Infectious Diseases a apporté la première preuve expérimentale in vivo de son rôle protecteur. Les chercheurs de l’Université de Hongkong ont placé des hamsters contaminés dans des cages contiguës à celles de hamsters sains, séparant certaines par des masques chirurgicaux. Il en est ressorti que les rongeurs protégés par un masque étaient moins contaminés que ceux sans masque et, s’ils l’étaient, qu’ils développaient des formes moindres de la maladie.

Une telle hypothèse ne pourra jamais être prouvée chez l’homme avec des méthodes de conception expérimentale.

Monica Gandhi, épidémiologiste, Université de Californie

Certaines observations populationnelles tendent également à illustrer cette hypothèse pour les humains, notamment la comparaison de deux situations différentes à bord de bateaux de croisière. Sur le Diamond Princess, qui, en février, fut le principal foyer de contamination hors de la Chine, et avant que le masque ne soit choisi comme outil de prévention, près de 82% des personnes infectées étaient symptomatiques. Sur un autre bateau ayant quitté l’Argentine en mars, et où, cette fois, des masques avaient été distribués, seulement 19% des personnes contaminées étaient symptomatiques.

Lire aussi: Covid-19: «Ceux qui ont fait une forme mineure ont développé une immunité protectrice, mais pour combien de temps?»

«Le masque est probablement le moyen le plus efficace pour se protéger du Covid-19, avec la distanciation physique et l’hygiène des mains, […] mais il n’y a aucun élément scientifique pour confirmer ou infirmer cette hypothèse de la «variolisation», conclut Anne Goffard, enseignante-chercheuse en virologie et praticienne hospitalière au CHU de Lille.

L’équipe de Monica Gandhi est aujourd’hui en train d’examiner, avec des scientifiques du Massachusetts Institute of Technology (MIT), si les obligations de porter le masque décidées dans certaines villes et pays ont réduit la gravité de la maladie. Elle analyse également des études de sérologie menées à Taïwan afin de mesurer le taux d’immunité de la population et d’établir des corrélations a posteriori. «Mais il est vrai qu’une telle hypothèse ne pourra jamais être prouvée chez l’homme avec des méthodes de conception expérimentale», reconnaît Monica Gandhi.