Profil des malades, vaccination, gravité: le point sur la variole du singe
Epidémie
Les cas de variole du singe augmentent rapidement en Europe et aux Etats-Unis et concernent surtout des hommes ayant des rapports intimes avec d’autres hommes. Plusieurs pays ont autorisé la vaccination pour les personnes à risque. La demande pour les doses du vaccin disponible est forte et la Suisse examine la possibilité de faire un achat centralisé. Point de situation

Cet article est publié en accès libre vu l’importance de ces informations pour la santé publique. Mais le journalisme a un coût, n'hésitez donc pas à nous soutenir en vous abonnant.
L’épidémie de variole du singe progresse. Ce sont plus de 26 000 cas qui étaient dénombrés jeudi dans 80 pays, depuis le 31 janvier 2022. Les Etats-Unis et l’Europe – en premier lieu l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France – font partie des pays les plus touchés avec près de 90% des cas recensés. En Suisse, 304 cas de cette maladie ont été confirmés, avec une progression exponentielle depuis plusieurs semaines. «Le nombre de cas double actuellement tous les quinze jours dans le monde, observe Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale à l’Université de Genève. A ce rythme, on devrait approcher les 80 000 cas hors Afrique d’ici à la fin du mois. C’est une progression très préoccupante.» Le directeur général de l’OMS a récemment déclaré que cette épidémie constituait une urgence de santé publique de portée internationale et l’organisation onusienne a activé son plus haut niveau d’alerte. Retour sur l’évolution de la situation en plusieurs points.
■ Qui est contaminé?
Le virus circule actuellement dans un groupe de population principalement constitué d’hommes âgés entre 18 et 44 ans, selon un rapport de l’OMS daté du 3 août, et 97,5% des cas dont on connaît l’orientation sexuelle sont identifiés comme des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes. Une très faible portion de cas est en dehors de cette catégorie.
La période d’incubation après l’infection dure entre 5 et 21 jours. Les premiers symptômes sont typiquement de la fièvre, de la fatigue, des maux de tête et des douleurs musculaires, suivis par l’apparition de lésions cutanées sur les parties génitales mais aussi potentiellement sur tout le corps, et même à l’intérieur de la bouche. La contamination se fait par contact avec une de ces lésions puis auto-inoculation. Face à la flambée des cas, l’OMS a recommandé pour la première fois la semaine dernière aux hommes concernés de réduire le nombre de leurs partenaires sexuels.
Lire aussi: Variole du singe: la communauté gay menacée par la stigmatisation
Si les homosexuels sont les principales victimes de l’épidémie, pour l’instant, rien n’indique qu’ils devraient le rester. «Le mode de transmission ne semble pas – ou pas exclusivement – se faire par voie sexuelle, mais davantage par contacts entre la peau malade et la peau saine, un peu comme la gale, observe l’épidémiologue genevois. L’un des prochains groupes qui pourraient être concernés pourrait bien être les enfants entre lesquels il est difficile de limiter les contacts souvent rapprochés, notamment à l’école.» Dans son rapport, l’OMS évoquait 96 cas d’enfants de moins de 17 ans atteints de la variole du singe.
«L’augmentation des cas fait qu’un jour la transmission va très certainement déborder dans d’autres populations en dehors du groupe de population actuel, commente Laurent Kaiser, directeur du Centre des maladies virales émergentes des HUG. Il faudrait un changement dans le comportement alimentant la chaîne de transmission, comme éviter d’avoir des relations intimes ou sexuelles avec des personnes inconnues ou sans préservatif. Changer les comportements reste cependant difficile et en partie illusoire. Il reste une autre solution: la vaccination.»
■ Peut-on se faire vacciner?
Pour l’instant, il n’existe aucun vaccin spécifique contre la variole du singe. Ce dernier fait partie de la grande famille des orthopoxvirus à laquelle appartient aussi celui de la variole, maladie éradiquée de la planète en 1980 à la suite des campagnes de vaccination. Le seul vaccin utilisé par plusieurs pays pour bloquer la propagation de ce virus a été développé à base d’un virus de la vaccinia, autre orthopoxvirus, à l’origine pour protéger de la variole, dans le cadre de la lutte anti-bioterroriste. Sur son site internet, l’OMS indique: «Des études observationnelles ont montré que la vaccination contre la variole était efficace à 85% contre sa cousine la variole du singe.»
Ce vaccin appelé Imvanex (ou Jynneos aux Etats-Unis) est fabriqué par l’entreprise danoise Bavarian Nordic et considéré comme le plus sûr, même s’il n’existe que très peu de données sur son efficacité. Il a été testé sur un nombre limité d’animaux en laboratoire et de volontaires sains pour évaluer sa sécurité. Ces individus vaccinés ont développé des anticorps contre la variole. Imvanex n’a jamais été testé chez des individus atteints ou à risque d’être infectés par le virus de la variole du singe. «Nous n’avons pas la certitude que ce vaccin protège contre toutes les infections, peut-être 80%, voire moins, ajoute Laurent Kaiser. Je suis d’accord de promouvoir le vaccin. Il faut le faire mais en ciblant et en réalisant qu’il reste beaucoup de points d’interrogation sur l’efficacité et l’innocuité. Ici on saute une étape en l’autorisant sans étude dans la population.»
Le produit de Bavarian Nordic est autorisé depuis le 16 juin aux Etats-Unis où il est recommandé dans les groupes à risque et pour le personnel soignant le plus exposé. L’Agence européenne des médicaments a emboîté le pas aux Américains le 25 juillet en permettant son utilisation. Pour l’instant, l’entreprise pharmaceutique n’a pas déposé de demande d’autorisation auprès de l’Institut des produits thérapeutiques Swissmedic, qui a indiqué jeudi: «La question de savoir si le vaccin contre la variole du singe sera soumis à une procédure d’examen en continu dépendra de la situation épidémiologique.»
De son côté, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) dit examiner la possibilité de centraliser l’achat d’un vaccin contre la variole du singe. Parallèlement, la Commission fédérale pour les vaccinations (CFV) est en train d’élaborer des recommandations concernant cette nouvelle épidémie. «Le problème en Suisse, c’est surtout l’accès aux doses, affirme Laurent Kaiser. La Suisse est un petit îlot au milieu de l’Europe, elle pèse moins lourd que d’autres acheteurs; les lois du marché ont changé depuis le Covid-19, il ne suffit pas d’être riche.»
■ La variole du singe est-elle une maladie grave?
Dans la majorité des cas, la maladie provoque des lésions qui guérissent toutes seules après quelques semaines sans traitement, en laissant souvent des cicatrices. Certains malades peuvent aussi présenter des formes plus sévères. «Le virus peut se disséminer dans tout l’organisme, avec des lésions sur tout le corps, voire entraîner des formes hémorragiques touchant les organes. Des surinfections bactériennes peuvent survenir lorsque le système immunitaire est trop perturbé.»
L’infection par ce virus a été mortelle, hors de sa zone endémique en Afrique, dans de rares cas récemment rapportés en Inde, en Espagne, au Nigéria, au Ghana et en Amérique du Sud. «Il s’agit d’une nouvelle maladie, je m’attends à ce qu’on voie des décès et des complications, ajoute l’infectiologue des HUG. C’est trop tôt pour avoir une idée de la létalité de ce virus. La population touchée actuellement est jeune et plutôt en bonne santé. C’est une aberration et un non-sens scientifique de dire que cette maladie n’est pas grave car nous la connaissons encore peu, ainsi que certains facteurs de risque.» Plusieurs personnes pourraient être à risque comme celles souffrant de comorbidités, les immunodéprimés, les femmes enceintes et les nouveau-nés. «Les personnes âgées ne sont pas forcément plus à risque car la vaccination contre la variole avait cours en Suisse jusqu’en 1972, et elle pourrait offrir une forme de protection», complète l’expert.
Les années de recherche sur la variole ont abouti au développement d’un antiviral, le Tecovirimat, qui pourrait être utile pour les malades atteints de variole du singe. Ce médicament, qui n’a pas été autorisé en Suisse, a déjà été approuvé en janvier 2022 par l’Agence européenne des médicaments pour une utilisation en prophylaxie après exposition ou pour éviter les complications. Là encore, les données collectées sur son efficacité dans le contexte d’une épidémie de variole du singe sont limitées. Des essais cliniques ont été lancés pour affiner les recommandations.
■ Y a-t-il un risque de pandémie?
Oui, et elle est en train de prendre forme sous nos yeux, selon les experts interrogés. «Nous sommes nombreux à être très inquiets de la soudaine émergence de ce virus qui était resté depuis cinquante ans contenu dans la zone intertropicale d’Afrique centrale et de l’Ouest, commente Antoine Flahault. On assiste au développement d’une nouvelle pandémie qui a déjà affecté, en moins de trois mois, la moitié des pays du globe, et qui se propage à un rythme aujourd’hui incontrôlé.»
Les orthopoxvirus ont déjà prouvé par le passé qu’ils pouvaient être redoutables. «Personne n’a donc à gagner aujourd’hui à laisser ce virus se propager dans la population, continue l’épidémiologue. La Suisse pourrait encore stopper sa progression, mais elle prend un retard inexplicable sur cette maladie qui se répand et elle risque de le regretter plus tard.»
Lire aussi: L’épidémie de variole du singe est déclarée urgence de santé publique aux Etats-Unis
Un des risques est lié à l’évolution du virus qui est l’un des plus grands existant. Son ADN contient plus d’une centaine de gènes – alors que le génome du virus de la grippe, par comparaison, en contient une dizaine. S’il mute moins que celui du Covid-19, son génome pourrait tout de même changer. «Je pense que ce virus n’est pas assez pris au sérieux. Tant qu’il se transmet, il va continuer à s’adapter à l’homme. Ça peut prendre du temps – un, dix, voire cent ans – mais pour exister il va évoluer et muter comme tout virus nouveau chez l’homme. On ne peut pas exclure qu’un jour il y ait une transmission plus élargie, une nouvelle forme de pandémie. C’est peut-être un cadeau empoisonné que nous laissons à nos enfants.»