Seuls 5,5% des Genevois ont été exposés au virus
Covid-19
Une enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de la population montre que le taux de prévalence reste faible... et bien inférieure au chiffre espéré. La situation épidémiologique demeure fragile

Un modeste 5,5%: telle est la proportion de Genevois ayant développé des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2, le coronavirus responsable de l’épidémie de Covid-19. Une telle prévalence est loin, très loin des quelque 70% pour espérer atteindre «l’immunité de groupe», lorsque le virus disparaît faute d’organismes à infecter. Même si ce chiffre fort préliminaire est à interpréter avec prudence, il rappelle à quel point nous sommes loin d’en avoir terminé avec le Covid-19.
Ces résultats communiqués le 22 avril par les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) proviennent d’une enquête menée auprès d’un échantillon représentatif de la population constitué de personnes sélectionnées au hasard dans le cadre de l’étude sanitaire annuelle Bus Santé. Après prélèvement d’un échantillon sanguin à chacun, les scientifiques ont effectué des tests sérologiques. Ils recherchent non pas la présence du virus, comme le font les tests de dépistage par prélèvement nasal, mais celle d’anticorps spécifiques du SARS-CoV-2. Un résultat positif suggère que la personne a bien développé une réponse immunitaire contre la maladie, ce que le système immunitaire fait en principe après être entré en contact avec l’agent infectieux.
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Attendus avec impatience, les tests sérologiques peuvent donner un aperçu de l’étendue de l’épidémie au sein de la population, et non uniquement auprès des patients malades ou hospitalisés. Ils permettent notamment d’estimer la proportion de personnes asymptomatiques (qui développent des anticorps au même titre que les malades) ou encore d’apprécier la durée de l’immunité conférée par ces anticorps, une des questions les plus cruciales que les scientifiques essaient de résoudre.
Des résultats conformes aux attentes
Les résultats obtenus sont préliminaires et correspondent aux deux premières semaines de l’enquête qui doit courir jusqu’à fin mai. Sept cent soixante participants ont été recrutés (343 pour la première, 417 pour la seconde). Les HUG annoncent une séroprévalence dans la population estimée à 3,5% pour la semaine du 6 avril et de 5,5% pour la suivante. «Nous aurions espéré un chiffre un peu plus élevé», reconnaît Silvia Stringhini, la responsable de l’unité d’épidémiologie populationnelle des HUG. Elle s’attendait, il y a à peine un mois, à une séroprévalence de l’ordre de 20%. «C’est un chiffre conforme aux attentes, sans doute un peu plus élevé que la moyenne suisse, le canton de Genève ayant été parmi les plus touchés par l’épidémie», commente le professeur Didier Trono, responsable du groupe diagnostic et testing au sein de la task force scientifique dédiée au coronavirus.
Les résultats genevois ressemblent à ceux établis ailleurs. Mardi, une modélisation française estimait à 5,7% la proportion de personnes immunisées au 11 mai, date prévue pour le déconfinement dans l’Hexagone. La semaine dernière, une étude menée auprès de donneurs de sang néerlandais annonçait le chiffre de 3%. D’autres pays, du Danemark à la Chine, ont entrepris de telles études de séroprévalence avec des résultats variant en fonction du contexte, mais toujours modestes dans l’absolu.
Les mesures d'hygiène et de distance resteront des priorités
Après plusieurs semaines de confinement durant lesquelles les contacts sociaux ont été fortement limités, il n’est finalement guère surprenant de constater une prévalence si basse. Mais alors qu’approche l’assouplissement des mesures, ces chiffres viennent quelque peu doucher les espoirs de ceux qui espéraient reprendre la vie d’avant. «Avec une part importante de la population restant vulnérable à l’infection, il faudra des mesures strictes pour éviter la propagation du virus après le déconfinement. C’est toute la vie qu’il va falloir organiser dans ce but», prédit Didier Trono.
Et le responsable de rappeler que les gestes barrière et la distanciation sociale devront rester des priorités pour limiter la transmission du coronavirus. Lorsque surviendront inévitablement des cas de Covid-19, il faudra être en mesure de les identifier et les isoler le plus rapidement possible. Tout en marchant sur des œufs avec sans doute un peu moins de 95% de sa population vulnérable, la Suisse va donc faire face à un immense défi logistique, qu’il s’agisse de mettre sur pied un tel dispositif de surveillance, de garantir une réouverture des écoles dans des conditions sanitaires convenables ou encore de monter en puissance au niveau des tests.
Aucune certitude quant à l’immunité
Car l’autre enseignement de l’étude genevoise est qu’il existe un fossé entre les cas confirmés, ceux remontés dans les statistiques journalières, et les estimations données par les tests sérologiques. Le 22 avril, le canton dénombrait ainsi 4670 cas d’après la plateforme Corona-data, un chiffre à mettre en regard des quelque 27 000 cas que représenteraient les 5,5% de l’enquête genevoise. Certes, au début de l’épidémie, seuls les cas hospitalisés les plus graves étaient testés. L’écart s’explique donc en partie par la politique de dépistage adoptée. Mais il souligne l’immensité du travail qui reste à abattre. «Cela signifie que l’on a diagnostiqué un cas sur cinq, autrement dit qu’il va falloir considérablement augmenter notre capacité à tester si l’on veut bloquer la propagation du virus après le déconfinement», note Didier Trono.
Autre point souligné dans le communiqué des HUG, l’étude «ne permet pas de conclure à une immunité totale ou partielle contre le [virus]». En d’autres termes, on ne sait pas si les personnes possédant ces anticorps sont bien protégées contre le SARS-CoV-2, et si oui, pour combien de temps, étant donné que les anticorps circulant dans le sang diminuent en nombre au fil du temps.
Un premier élément de réponse pourrait venir de tests in vitro, dits de séroneutralisation, qui consistent à détecter et quantifier les anticorps spécifiques du coronavirus dans un échantillon de sérum, ce qui aide à déterminer le seuil d’anticorps en dessous duquel le virus peut à nouveau infecter des cellules. «Mais ce qui fera véritablement foi sera le suivi sur le long terme des personnes ayant développé ces anticorps, ce qui permettra de constater au bout de combien de temps elles retombent éventuellement malades du Covid-19», détaille Silvia Stringhini. Une enquête qui nécessitera plusieurs mois au bas mot, et qui est en cours d’élaboration à Genève.