Une grande salle carrée, des détecteurs aux quatre coins de la pièce, et un bâton de bois en son centre. On enfile des élastiques munis de capteurs sur les pieds et les mains, un casque audio puis un autre de réalité virtuelle, et nous voilà projetés dans un univers fictif, ressemblant à un tipi d’Indiens. L’avatar bouge les bras et les jambes comme le corps réel. En sortant de la tente, on saisit une torche posée à côté d’un feu. La main se referme alors sur un morceau de bois, celui-là même qui nous avait intrigué avant de se parer du casque.

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Le simple fait d’avoir une concordance entre le monde virtuel et le réel donne encore plus de corps à l’expérience. S’ensuit alors une navigation entre plusieurs scènes: un labyrinthe, un stade de baseball, un vaisseau spatial en plein crash… Impressionnant, bien que de prime abord il ne semble pas y avoir beaucoup de liens avec l’objet de notre visite: le soin des phobies par la réalité virtuelle.

Et pourtant, la start-up genevoise Artanim, qui a développé cette animation, est un studio de création d’univers fictifs qui s’intéresse de plus en plus à des applications dans la médecine. «Nous travaillons notamment sur la réadaptation musculaire des victimes d’accidents, explique sa présidente Caecilia Charbonnier. Le patient voit son bras bouger à travers le casque, mais le mouvement est légèrement accentué, de façon à ce qu’il ait l’impression de progresser plus vite. Une application dans le soin des phobies est également envisageable. On peut, par exemple, imaginer faire traverser un pont suspendu aux personnes atteintes de vertige…»

Aux Etats-Unis, en France ou en Suisse, des psychologues et psychiatres utilisent de plus en plus cette technologie pour soigner les phobies. Il y a dix ans déjà, Bruno Herbelin, chercheur en neurosciences cognitives à l’EPFL, avait réalisé sa thèse sur ce sujet en partenariat avec une psychiatre, Françoise Riquier: «Nous avons travaillé principalement avec des phobiques sociaux. Je fabriquais le contenu et Françoise l’utilisait avec ses patients. Il n’y a pas eu d’essais cliniques, mais les résultats étaient très positifs!»

Le réalisme importe peu

Bruno Herbelin raconte le déroulement du premier test: «Il nous permettait de comparer les réactions de personnes non phobiques avec d’autres détectées comme telles. J’avais créé un espace avec des yeux qui flottaient. La plupart des personnes ne comprenaient pas vraiment l’intérêt de cette expérience, mais il s’est avéré que les personnes cataloguées comme phobiques sociales l’ont mal vécu. Même s’ils étaient peu réalistes, les regards des visages sur elles les gênaient.» Selon lui, le réalisme des scènes importe donc peu dans le déclenchement des symptômes d’anxiété.

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Françoise Riquier tempère cependant: «Il faut que le patient soit ouvert à cette technologie, sinon il se concentre sur les défauts et les dissonances et rejette l’exposition. Il doit se sentir immergé pour que cela fonctionne.»

Pour son travail de thèse, Bruno Herbelin a développé un scénario virtuel: les patients étaient placés debout sur une scène, devant un public d’humanoïdes, et devaient s’exprimer. Il a fourni à Françoise Riquier la possibilité de contrôler les réactions de l’audience et ainsi rendre les spectateurs plus hostiles au fur et à mesure du traitement.

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Sans la réalité virtuelle, la thérapie traditionnelle des phobiques sociaux a lieu en groupe. Ils prennent alors la parole chacun leur tour devant les autres, mais cette mise en situation a ses limites. Les spectateurs, atteints du même trouble, prennent moins la parole et sont plus sympathiques qu’en temps normal.

Mettre le patient en situation

Après l’étude de Bruno Herbelin, Françoise Riquier avait abandonné l’utilisation de la réalité virtuelle, avant de s’y remettre récemment: «Le problème principal était lié au matériel: trop onéreux, compliqué d’utilisation, trop peu de contenus différents à proposer aux patients… Aujourd’hui, celui-ci est devenu plus abordable, c’est pourquoi j’ai décidé d’essayer à nouveau.»

Retrouvez ici en vidéo notre test du casque de réalité virtuelle de Samsung

Pour permettre de meilleurs résultats, Françoise Riquier met son patient en situation avant qu’il n’enfile le casque: «Je lui dis de se souvenir de ce qu’il ressent lorsqu’il est confronté à sa peur, de se contracter, d’accélérer sa respiration… Une fois l’expérience commencée, on peut aussi rajouter des battements de cœur au rythme rapide, pour accentuer le sentiment de stress. Malheureusement, les scénarios sont toujours trop pauvres et peu nombreux… Dans tous les cas, l’utilisation du casque reste un moyen d’exposition, pas une solution.»

Bruno Herbelin partage ce constat: «C’est un marché de niche, les personnes phobiques représentent 5 à 10% de la population. C’est moins intéressant financièrement que la création de jeux vidéo. Pour le moment, les psychiatres ne sont pas développeurs informatiques, peu se risquent à créer eux-mêmes le contenu. Peut-être que dans dix ans, créer un univers virtuel sera aussi simple que de créer un site web aujourd’hui…»