Vision
Mis au point à Lausanne, l’eyeWatch est le premier implant oculaire capable de contrôler la quantité de liquide présent dans un œil atteint de glaucome, l’une des principales causes de cécité dans le monde

«eyeWatch». A l’oral, le nom évoque une montre qu’aurait développée Apple. A l’écrit, le préfixe «eye» dissipe le malentendu. Il s’agit bien d’un appareil destiné aux yeux, un implant oculaire inédit destiné à venir en aide aux patients atteints de glaucome, dont la semaine mondiale a démarré ce lundi.
Le «voleur de vue»
Deuxième cause de cécité après la cataracte, le glaucome, surnommé «voleur de vue», est une maladie neurodégénérative du nerf optique. Il concerne environ 2% de la population européenne. Collyres, lasers, chirurgies… Malgré la palette de traitements dont disposent les médecins, certains glaucomes dits réfractaires résistent à toute thérapie. Le plus souvent, c’est une accumulation excessive de liquide dans l’œil qui en est à l’origine, instaurant une pression oculaire trop élevée qui abîme le nerf optique.
C’est pour soigner ce type de glaucome que l’eyeWatch a été mis au point. Développé par le Laboratoire d’hémodynamique et de technologie cardiovasculaire de l’EPFL (LHTC), il consiste, dans les grandes lignes, en un robinet greffé dans le blanc de l’œil, capable de s’ouvrir ou se fermer pour maintenir une pression oculaire optimale. «C’est le premier implant de drainage ajustable au monde», affirme Adan Villamarin, responsable technique de Rheon Medical, start-up créée pour la commercialisation de l’appareil.
Entièrement conçu en matériaux biocompatibles, l’eyeWatch est une plaque de 6 mm de diamètre pour 0,7 mm d’épaisseur. Un minuscule tuyau le traverse de part en part. Ce dernier draine le liquide en amont et l’évacue en aval vers l’arrière de l’œil, où il est assimilé par les vaisseaux sanguins ou lymphatiques.
Ce principe ne diffère guère ce que font les médecins depuis de nombreuses années, à savoir percer un trou dans l’œil pour évacuer le trop-plein de liquide. «Après la chirurgie, la pression s’effondre, ce qui est tout aussi dangereux, puis elle remonte de manière trop importante. Cela fait 50 ans qu’on échoue à contrôler la pression oculaire», résume André Mermoud, ophtalmologiste à la clinique Montchoisi à Lausanne, qui mène les essais cliniques.
Une boussole pour contrôler l’ouverture
Tout l’intérêt de l’implant réside justement dans la possibilité de finement contrôler le débit de liquide qui s’échappe de l’œil. Cette fonction est assurée par un disque aimanté qui va plus ou moins écraser le tuyau contre la paroi. Le tout sans électronique complexe ni alimentation électrique: pour déplacer le disque, il suffit d’approcher un petit stylet dont l’extrémité contient un autre aimant. Se crée alors un couplage de champ magnétique entre les deux aimants: en faisant tourner l’aimant externe grâce à une molette, l’aimant de l’eyeWatch bouge également, soit pour serrer le tuyau, soit pour relâcher l’étreinte (6 degrés de serrage sont possibles). De l’autre côté du stylet, une boussole permet de vérifier la position du robinet.
Le patient ne se sert pas directement du stylet. C’est l’ophtalmologiste qui contrôle l’eyeWatch lors des visites de contrôle postopératoires, après avoir mesuré la pression oculaire. «Le patient ne ressent pas les variations de pression, il n’y a pratiquement aucun symptôme et c’est indolore», précise André Mermoud. L’eyeWatch est plutôt destiné à fonctionner pendant quelques semaines après l’opération, après quoi on le laisse en position ouverte pour que le liquide s’échappe et que la pression demeure normale.
Implanté pour la première fois en septembre 2015 à la clinique Montchoisi chez une patiente de 45 ans atteinte d’un glaucome grave, l’eyeWatch a, d’après ses concepteurs, fait preuve de son efficacité sur le long terme. «Nous avons pu contrôler sa pression oculaire de manière optimale, raconte le médecin. Habituellement, la pression chez ces patients évolue en dents de scie, avec des pics et des effondrements. Cela n’a pas été le cas ici, la courbe est restée beaucoup plus lisse. Cette patiente est très satisfaite du résultat, et nous aussi».
Reste qu’avec quatre patients implantés en tout, les résultats des études cliniques ne sont pas encore publiés. «Cet implant est intéressant sur le plan technologique, mais son efficacité par rapport aux techniques existantes reste à démontrer», tempère Eamon Sharkawi, responsable de l’unité glaucome de l’hôpital ophtalmique Jules-Gonin à Lausanne. «Il lui faut notamment prouver qu’il reste fonctionnel malgré la cicatrisation de l’œil, qui prend plusieurs semaines. Si ce n’est pas le cas, on peut imaginer que les assurances maladie ne le rembourseront pas», entrevoit le spécialiste.
De son côté, Rheon Medical espère implanter trente patients en Suisse d’ici la fin de l’année, et davantage lors d’autres essais cliniques en Europe. De quoi entrevoir une autorisation de mise sur le marché «d’ici 2017», a prédit son PDG Nikolaos Stergiopulos.