Chaque vendredi de l’été, «Le Temps» retrace l’histoire de ces techniques qui ont fait peur à leur arrivée, bien avant la 5G.

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En ce moment, on s’en prend à celui contre la rougeole. Mais avant lui, les vaccins ont toujours fait l’objet de méfiance. Avant même que le vaccin ne s’appelle vaccin, les «anti-vax» se sont mobilisés. «On a pu observer des variations dans l’intensité de l’opposition, mais son existence est une constante», confirme Vincent Barras, directeur de l’Institut des humanités en médecine de l’Unil et du CHUV. Depuis plus de trois siècles, la même question perdure: «Pourquoi inoculer un agent infectieux à mon enfant alors qu’il est en bonne santé?», résume ce spécialiste de l’histoire de la médecine.

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Testé et royalement approuvé

L’invention du vaccin tel qu’on le connaît aujourd’hui peut être scindée en trois époques. Et trois personnages qui, toujours, ont dû faire face à la défiance de certains. D’abord, il y a Lady Montagu, au début du XVIIIe siècle. L’épouse de l’ambassadeur britannique en Turquie arrive à Constantinople en 1716. Son visage porte les stigmates de la variole qu’elle a contractée une année auparavant et à laquelle son frère, lui, a succombé.

Je n’hésiterai pas à appeler cela une opération diabolique, qui usurpe une autorité, qui n’est fondée ni sur les lois de la nature ni sur celles de la religion

Pasteur Edmund Massey, 1722

Dans la capitale de l’Empire ottoman, elle découvre la variolisation. Depuis le XVe siècle, en Afrique et en Asie, on prélève du liquide sous les croûtes des varioleux, puis on le tartine sur une écorchure d’une personne saine. Celle-ci développe une variole bénigne quelques jours plus tard, puis se trouve protégée pour le reste de sa vie.

C’est à Lady Montagu que l’on doit son importation en Angleterre. Elle en fera la publicité en s’appuyant sur le fait que son fils mais aussi des enfants de la cour royale ont bénéficié, avec succès, de ce qui s’appelle encore l’inoculation. Mais les religieux sont réfractaires. «Je n’hésiterai pas à appeler cela une opération diabolique, qui usurpe une autorité, qui n’est fondée ni sur les lois de la nature ni sur celles de la religion», écrit le pasteur Edmund Massey, en 1722.

Mi-homme, mi-vache

Le deuxième personnage clé, c’est le chirurgien de campagne Edward Jenner, connu pour être celui qui améliore le concept et invente, vers la fin du XVIIIe, le terme de vaccination. Alors que les épidémies de variole font des ravages, il remarque que les trayeuses dont il doit soigner les mains contaminées par les pis de vaches malades ne sont, pour la plupart, pas atteintes par la maladie. En 1796, il gratte les pustules sur les mains d’une fermière et les dépose sur le bras de James, un garçon de 8 ans. La fièvre monte, mais disparaît rapidement. Plus tard, la variole qui lui sera inoculée n’aura aucun effet sur lui.

La variole des vaches, c’est la vaccine. Et la vaccine n’a pas d’effet néfaste sur les humains. «Ils ne développent plus du tout la maladie, mais sont immunisés contre la variole des hommes», reprend Vincent Barras. Mais il y a un «mais». Introduire une substance animale dans le corps des humains dérange. L’opposition monte, alimentée par la peur de la minotaurisation, soit la transformation des hommes en vaches, ou en organismes hybrides à mi-chemin entre l’homme et le bovin. Les premières campagnes de vaccination officielles sont néanmoins organisées en Angleterre dès le début du XIXe siècle.

Mais c’est le troisième protagoniste qui, de loin, demeure le plus connu. «Edward Jenner ne savait pas que la variole était provoquée par un virus. C’est Louis Pasteur qui a proposé le concept de microbe, à partir duquel on a développé celui de réponse immunitaire», rappelle le spécialiste du CHUV.

Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour qu’une fabrication industrielle de vaccins se généralise. Elle permet d’abaisser les coûts et de démocratiser la vaccination. Elle est d’abord gérée par les gouvernements, puis est confiée aux entreprises pharmaceutiques. Ce lien étroit entre Etats et grand capital, toujours valable aujourd’hui, c’est un grain de plus à moudre pour les anti-vax, conclut Vincent Barras.