L’obésité est une maladie grave, plus de 2,8 millions de personnes en meurent chaque année selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Celles qui n’y succombent pas souffrent généralement de pathologies associées, aussi appelées comorbidités, comme le diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires ou certains cancers. Plus de décès sont aujourd’hui dus à la surcharge qu’à l’insuffisance pondérale: la population mondiale ne meurt donc pas de faim, mais d’«intoxication» à sa propre nourriture, particulièrement inadaptée à son mode de vie contemporain.

En 2016, l’OMS répertoriait 1,9 milliard d’adultes en surpoids et 650 millions de personnes obèses dans le monde, dont 51 millions d’enfants de moins de 5 ans. La pandémie était historiquement cantonnée à l’Occident, elle a désormais gagné pratiquement tous les pays. En Suisse, le pourcentage a doublé entre 1992 et 2017, passant de 5 à 11%, selon une enquête de l’Office fédéral de la statistique. Alors que les messages de prévention battent leur plein depuis plusieurs décennies, personne ne semble être en mesure d’entraver la progression de ce fléau. Même le coût financier très important de l’obésité́ (en Suisse, il atteignait 8 milliards de francs en 2011) ne suffit pas à faire bouger les lignes. Oui, des solutions existent, tant médicales que politiques, pour la combattre!

Une balance en déséquilibre

Pourtant, l’équation paraît si simple: un excès des calories consommées par rapport à celles dépensées engendre une prise de poids. Il suffirait donc de manger moins et plus sainement, et de bouger plus pour perdre du poids. C’est d’ailleurs ce que harcèlent les messages de prévention et les médecins depuis longtemps! Force est de constater, devant la progression de l’obésité, que le message s’avère plutôt inefficace. De plus, il est particulièrement stigmatisant pour les personnes en surcharge pondérale, car, non, nous ne sommes pas tous égaux face à la prise de poids! «Une fausse idée véhiculée pendant quinze ans! Même le corps médical doit aujourd’hui être éduqué à ce sujet pour éviter les préjugés», indique le professeur François Pralong, endocrinologue et diabétologue à l’Hôpital de La Tour, institution hospitalière privée qui s’est dotée d’une structure de prise en charge multidisciplinaire spécialisée en obésité. Génétique, métabolisme, microbiote intestinal, statut social, passé pondéral ou encore santé mentale font en sorte qu’une calorie n’a pas toujours le même poids sur la balance.

A cela, il faut ajouter la sollicitation publicitaire omniprésente de l’industrie alimentaire: l’OMS reconnaît que le marketing alimentaire est une cause première de l’obésité! «L’ajout de sucres complexes et de stimulateurs d’appétit dans la nourriture, la publicité ciblée ou encore l’omniprésence des distributeurs à snacks sont criminels et créent des dépendances dès le plus jeune âge!» s’insurge Jean-Marc Heinicke, chirurgien digestif à l’Hôpital de La Tour. «Nous tentons de militer à travers les fédérations de médecins et les associations de patients, mais les lobbys agroalimentaires sont très puissants!» ajoute François Pralong.

Généralement, une personne sans problème de prise de poids se préserve de la surcharge pondérale assez facilement grâce à une vie saine. Par contre, perdre du poids durablement pour une personne qui a tendance à en prendre s’avère être extrêmement difficile, voire impossible. «Pour une personne obèse, perdre 3 kg revient à en perdre 15 pour une personne en santé. Notre métabolisme est fait pour garder les graisses et notre cerveau programmé pour orchestrer le stockage d’énergie», indique Jean-Marie Mégevand, chirurgien digestif à l’Hôpital de La Tour.

Obèse vs obèse

Le combat contre l’obésité est largement justifié, car elle endommage considérablement la qualité de vie et réduit l’espérance de vie. L’obésité accroît le risque de développer des maladies cardiovasculaires, du diabète, de l’hypertension artérielle, des cancers du côlon​ et du sein. Devant tant de risques, mieux vaut connaître la définition de l’obésité.

Une femme de 1 m 65 pleine de rondeurs, volontiers admise par la société comme étant «voluptueuse», mais qui fait néanmoins grimper la balance jusqu’à 82 kg. Un homme d’âge mûr et «profitant des plaisirs de la vie» du haut de son mètre 80 et de ses 97,5 kg. Ces deux personnes, somme toute assez courantes, sont pourtant obèses. Leur indice de masse corporelle (IMC), soit leur poids en kg divisé par le carré de leur taille en mètre, excède la valeur de 30. Pas besoin, donc, de peser 150 kg pour être obèse! On parle d’obésité morbide au-delà d’un IMC de 40 et de surcharge pondérale au-delà de 25.

L’IMC est la manière la plus simple et la plus répandue de mesurer l’obésité, mais dans les faits, il ne suffit pas. C’est l’accumulation excessive de graisse au niveau de l’abdomen qui est dangereuse. En effet, selon sa localisation, la graisse ne correspond pas au même tissu adipeux. Le tissu adipeux de l’abdomen, dit viscéral, est problématique, car il libère des substances de la famille des cytokines dans l’organisme. Elles vont générer une résistance à l’insuline et augmenter le taux de cholestérol. Cela veut dire que des personnes obèses peuvent être en bonne santé et d’autre pas. «Une mesure locale par absorptiométrie à rayons X est idéale. C’est la seule technique fiable, précise et peu coûteuse», indique François Pralong.

La chirurgie éclipse les autres traitements

La diététique, l’activité physique et le soutien psychologique sont de réelles solutions pour maigrir. Des médicaments existent également. L’un empêche l’absorption des graisses issues de l’alimentation, l’autre est une hormone permettant de stimuler la sensation de satiété. Le résultat de ces traitements est une réduction de l’apport calorique. Malheureusement, le succès de toutes ces approches est souvent limité. «Seulement 10% des personnes vont réussir à réduire leur masse corporelle de 10%. La plupart vont reprendre en arrêtant les traitements», indique Jean-Marie Mégevand.

La chirurgie bariatrique obtient des résultats exceptionnels. «75% des personnes perdent la totalité de leur excès de poids durablement», se réjouit François Pralong. Elle est actuellement le seul moyen efficace pour traiter l’obésité à long terme. Mieux, les comorbidités sont également définitivement supprimées, y compris le diabète. Depuis dix ans, le nombre d’interventions a triplé en Suisse pour atteindre près de 7000 interventions par année, selon une étude publiée dans la Revue médicale suisse.

La chirurgie bariatrique est très invasive. Elle vise à restreindre la taille de l’estomac et/ou à le court-circuiter. La pose d’un anneau gastrique pour restreindre la taille de l’estomac est une chirurgie dite restrictive qui n’est plus pratiquée en Suisse. La sleeve la remplace, elle consiste à retirer une partie de l’estomac. L’approche dite du by-pass est une chirurgie malabsorptive. Elle consiste à dévier le flux des aliments en greffant l’intestin directement à l’entrée de l’estomac. Les techniques mixtes qui mélangent malabsorption et restriction sont de plus en plus répandues.

Les dangers du bistouri

Si la chirurgie permet de guérir de l’obésité et de ses comorbidités, elle comporte des risques et induit des effets secondaires qui peuvent être lourds à porter. C’est le cas des lambeaux de peau laissés par une perte de poids conséquente. En outre, la modification du tube digestif induit des carences en vitamines, modifie le transit intestinal, ce qui engendre des sels plus odorants, peut générer du reflux gastrique et engendrer une mauvaise absorption problématique des médicaments. «Les complications opératoires graves sont rares. Les patients doivent néanmoins absolument être prévenus des risques et complications qu’ils encourent», indique Jean-Marc Heinicke.

Malgré un réarrangement draconien de leur tube digestif, une minorité de personnes vont tout de même parvenir à adapter leurs habitudes alimentaires et reprendre du poids, par exemple en ingérant beaucoup de sucre sous forme de boisson. Le succès de la chirurgie va dépendre: d’une opération réalisée par des spécialistes, d’un comportement alimentaire adéquat, de la reprise d’une activité physique pour brûler les graisses et d’un suivi médical à vie. Pour ce dernier point, François Pralong indique que les assurances ne remboursent pas au-delà de cinq ans: «Elles n’ont malheureusement pas compris que l’obésité était une maladie chronique et récidivante!»

Action élargie

En plus d’agir durablement sur la perte de poids, la chirurgie a des effets positifs sur les maladies du métabolisme liées à l’obésité. Les bénéfices de la chirurgie sur le diabète sont entre autres étonnants: François Pralong parle d’«amélioration du contrôle glycémique avant même que les patients aient perdu un gramme». Les chercheurs tentent encore de comprendre les mécanismes impliqués dans ces phénomènes et tous ne sont pas d’accord. Ils ont néanmoins pu observer que la sécrétion d’hormones n’est pas homogène le long du tube digestif. Les hormones coupe-faim, par exemple, sont sécrétées au niveau de l’intestin et leur rapprochement de l’estomac suite à l’opération fait en sorte qu’elles sont sécrétées plus rapidement. Cela expliquerait en partie la perte de poids. Les hormones stimulatrices de l’appétit étant quant à elles localisées dans l’estomac, l’opération atténue leurs effets. Selon la même logique, des hormones vont modifier la sécrétion d’insuline et contrer le diabète.

L’action métabolique globale de la chirurgie incite les spécialistes à militer pour assouplir les critères d’accès. En Suisse, elle ne peut être pratiquée qu’à partir d’un IMC supérieur à 35 et une prise en charge médicale structurée avérée inefficace sur une période de deux ans. «De plus, la valeur de l’IMC devrait être abaissée pour les patients souffrant de diabète de type 2, car le bénéfice sur leur santé est bien démontré», réclame François Pralong.


Evénement gratuit

Conférence publique: «L’obésité est une maladie. Comment la traiter?»

Date de l’événement: 26 novembre 2019, 18h30 à l’Hôpital de La Tour

Conférenciers

Dr Jean-Marie Mégevand, chirurgien digestif

Prof. François Pralong, endocrinologue

Programme et inscriptions ici