Les femmes sont émotionnelles, empathiques, chaleureuses et nulles en mathématiques. Les hommes sont forts, confiants, dominants et indépendants… Consciemment ou non, ces stéréotypes dictent nos premières impressions. Des études révèlent ainsi qu’à la vision d’une photo sur un curriculum vitae, une femme au visage neutre suscitera une impression de tristesse, signe d’un manque de motivation. La neutralité d’un visage masculin suggérera quant à elle l’intelligence, l’indépendance et le leadership. Que dit la science du sexisme, et comment lutter contre ces clichés si tenaces?

Premier constat: l’histoire de la construction des stéréotypes de genre est loin d’être récente. Elle daterait du Néolithique, soit il y a environ 12 000 ans. «Avec la sédentarisation et l’expansion de l’agriculture, les populations moins libres dans leurs déplacements ont développé des rapports de force», retrace André Langaney, généticien à l’Université de Genève. La domination masculine sur les femmes est alors en grande partie basée sur une inégalité dans la force physique. Cet état aurait entraîné l’apparition de stéréotypes de genre.

Education et modèle social

Dans la société occidentale moderne, ces stéréotypes tendent à scinder les femmes en deux groupes. «Celles au foyer sont perçues comme chaleureuses et peu qualifiées, alors que les femmes ambitieuses sont jugées compétentes et froides», décrit Franciska Krings, professeur à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne. Les adjectifs qualifiant un leader sont en effet encore traditionnellement associés à des caractéristiques dites masculines, comme l’agressivité et la confiance en soi.

Nous sommes tous victimes de préjugés. Bien que nous ne partagions pas forcément certains stéréotypes, ils peuvent ressortir en situation de stress, par exemple

Marianne Schmid Mast, professeur en comportement organisationnel à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne

Pour atteindre des postes à responsabilités, les femmes doivent donc prouver qu’elles les possèdent aussi. Une fois dans une position de leader, elles perdent ce que la société leur attribue de féminin. «Il est avéré que les femmes sont statistiquement plus douées dans la reconnaissance des émotions d’autrui et qu’elles se sous-estiment plus que les hommes. Néanmoins, une part importante de ces caractéristiques est due à l’éducation et au modèle social», analyse Marianne Schmid Mast, professeur en comportement organisationnel à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne.

Pourquoi ces biais sont-ils si profondément ancrés en nous? C’est qu’ils nous aident à comprendre le monde qui nous entoure. «Si le cerveau devait constamment analyser en détail chaque nouvelle personne rencontrée, il serait surchargé d’informations», explique Franciska Krings. «Nous sommes tous victimes de préjugés. Bien que nous ne partagions pas forcément certains stéréotypes, ils peuvent ressortir en situation de stress, par exemple», ajoute Marianne Schmid Mast. Aux Etats-Unis, des études ont ainsi révélé que des policiers, lorsqu’ils poursuivaient un agresseur dont ils ne savaient pas s’il portait une arme, tiraient plus facilement sur des hommes de couleur. Quelle que soit la couleur de peau des policiers en question!

Biais implicites

Les femmes peuvent être victimes de stéréotypes qu’elles accolent elles-mêmes à leur genre. Comme celui d’être nulles en mathématiques! Dans une expérience menée en 2016, la Française Isabelle Régner a demandé à des écoliers de 12 ans de retenir une figure complexe, avant de la reproduire de mémoire. Lorsque l’enseignant informait les élèves qu’ils allaient être jugés sur la géométrie plutôt que sur la qualité du dessin, les jeunes filles ont moins bien réussi l’exercice que leurs acolytes masculins. A l’inverse, lorsqu’elles pensaient être jugées sur des critères artistiques, les résultats entre les sexes étaient similaires.

Sournois, les biais implicites peuvent se révéler très difficiles à contrer. Une autre étude, datant de 2007, a analysé les effets des comportements masculins lors d’entretiens d’embauche. Certains recruteurs masculins devaient adopter une attitude bienveillante envers les femmes, tandis que d’autres étaient plus hostiles. Etonnamment, les performances des femmes étaient moins bonnes face à un homme bienveillant. «L’attitude paternaliste d’un homme envers une femme, dans ce cas, place cette dernière dans une position d’infériorité», détaille Fabio Lorenzi-Cioldi, professeur en psychologie à l’Université de Genève. A contrario, une attitude hostile met la femme sur la défensive, elle protège alors plus fermement ses intérêts.

Alors comment lutter contre ces clichés? Selon les experts, il est indispensable d’augmenter la mixité et de privilégier l’égalité des sexes, mais aussi de dispenser une meilleure éducation relative aux biais sexistes et à leurs effets. «Lutter contre ces mécanismes naturels demande de la motivation, mais aussi de disposer de suffisamment de temps pour prendre des décisions de manière consciente et réfléchie», estime Marianne Schmid Mast.